Depuis le 12 mars, les réclamations en soins personnels sont en chute libre. Dès leur facture d’avril, plusieurs assureurs ont fait crédit à leurs clients d’assurance collective en proportion de la chute des réclamations pour ces soins.

Le scénario s’est reproduit en mai, mais les réclamations pourraient exploser en juin. Le 20 mai, la ministre de la Santé et des Services sociauxDanielle McCann, et le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité socialeJean Boulet, ont annoncé la reprise de certaines activités de soins personnels le 1er juin, à l’extérieur de la région de Montréal. Parmi elles, les entreprises de soins de santé privés ainsi que de soins corporels et esthétiques, incluant les soins dentaires, de psychologie, d’optométrie, de physiothérapie, d’ostéopathie et les services de coiffure et d’esthétique. Dans la région de Montréal, le déconfinement a été fixé au 15 juin.

Il était temps pour plusieurs. Le confinement aura vidé en quelques jours les cliniques des dentistes, des optométristes et de nombreux secteurs de soins thérapeutiques. En réaction à ce phénomène, la majorité des assureurs ont annoncé des crédits allant de 50 % à 80 % des primes d’assurance collective dédiées à la couverture des soins dentaires. Plusieurs d’entre eux ont aussi crédité la prime dédiée aux soins visuels et autres soins complémentaires, généralement de 20 %.

Les premiers crédits sont entrés en vigueur lors de la facturation de la période d’assurance collective qui couvre la période du 1er au 30 avril. Par exemple, Canada Vie a crédité pour cette période 50 % de la prime d’assurance collective allouée aux soins dentaires et 20 % de la prime allouée aux soins oculaires et aux soins complémentaires.

Jusqu’à nouvel ordre

En entrevue au Portail de l’assurance, Marie-Pierre Tremblay, directrice générale du développement des marchés de Canada Vie, a révélé que l’assureur offrira un crédit à la fin de chaque mois pour lequel l’assureur a observé la même tendance à la baisse.

Pour l’instant, difficile de dire si la tendance se maintiendra, signale la dirigeante. « L’ampleur de ces crédits est proportionnelle à la chute de nos réclamations. Elle reflète les impacts que nous observons depuis le début de la distanciation sociale à la mi-mars, explique-t-elle. C’est une situation exceptionnelle qui bouge très vite. Ces impacts varient beaucoup de semaine en semaine, d’une région à l’autre et selon l’entreprise assurée », ajoute la directrice générale.

Dentistes : engorgement à prévoir

Pourquoi les rabais sont-ils moins élevés pour les soins autres que le dentiste ? L’enjeu était moins grand, répond Mme Tremblay. Elle prend les psychologues en exemple : plusieurs sont en mesure de fournir des soins virtuels par l’entremise de plateformes de services comme Microsoft Teams. « Les participants de régimes peuvent choisir de poursuivre les traitements avec leur psychologue en utilisant ces services ».

D’autres pourront choisir la télémédecine. « Nous n’avons pas encore de statistiques de ce côté, mais nous savons que la télémédecine est très prisée en cette période de distanciation sociale. Plus de 200 de nos clients ont ce service que nous offrons avec Dialogue.co et qui inclut l’accès à un service de télépsychologie. »

Vice-président exécutif, assurance collective à La Capitale, Mario Albert affirme que la réduction de prime offerte en soins dentaires est même moins élevée que la baisse des réclamations observée, parce que La Capitale a voulu se donner une marge. L’assureur a offert une réduction des primes en soins dentaires de 60 % durant les mois de mai et de juin pour les PME offrant cette garantie

« Nous prévoyons un rebond des réclamations après le déconfinement des dentistes », révèle M. Albert. Selon lui, des réclamations pour les traitements de caries ou de canal n’auront été que retardées et non annulées, alors que les examens ou les nettoyages auront été annulés.

PDG de Groupe financier AGA, Martin Papillon a vu les réclamations chuter pour les soins dentaires et paramédicaux. « Il ne rentre plus de réclamations pour ces soins depuis la mi-mars », révèle le dirigeant du cabinet d’assurance collective. Il ajoute que des promoteurs de régime économisent des sous durant cette période.

À l’instar de M. Albert, il croit que les dentistes feront du rattrapage après le confinement, ce qui ne sera pas le cas du côté des soins paramédicaux « Je ne suis pas convaincu que les praticiens en soins paramédicaux pourront se rattraper. Je serais étonné qu’un participant qui avait prévu un rendez-vous chez le dentiste le 15 avril n’y aille pas, mais pour les soins paramédicaux, les assurés remettront à plus tard. Ils atteindront la limite de 300 $ de couverture en octobre plutôt qu’en juillet. Ce n’est pas ce qui aura un cout réel sur les régimes », lance-t-il.

Les médicaments moins touchés

Quant à la décision de La Capitale de ne créditer que la prime dévolue aux soins dentaires, le vice-président exécutif explique ne pas offrir de réduction de prime pour les soins de santé complémentaires, car leur prime est combinée avec celle des médicaments et de l’assurance voyage, deux secteurs qui pèsent sur les réclamations.

« Dans le cas des médicaments, il n’y a pas eu de hausse importante dans le nombre de réclamations. On a toutefois observé une légère hausse dans le cout de la réclamation moyenne notamment en raison d’une hausse des honoraires des pharmaciens découlant de la directive gouvernementale visant à limiter à 30 jours les renouvellements de prescriptions afin d’éviter le risque d’une pénurie », rappelle Mario Albert. « En assurance voyage, il y a eu beaucoup plus de réclamations que d’ordinaire pour la garantie d’annulation de voyage », ajoute-t-il.

Marie-Pierre Tremblay, de Canada Vie observe de son côté que les réclamations en assurance médicaments de ses régimes collectifs demeurent stables malgré les circonstances. Elle dit voir une légère hausse des réclamations à l’endroit de l’assurance invalidité. « Nous n’avons pas encore de statistiques ni d’informations qui nous permettent de savoir si cette hausse est rattachée à la COVID-19 », dit-elle.

Les fournisseurs de services de télépaiements des réclamations d’assurance médicaments observent la même tendance. Nancy Tibbo d’Express Scripts Canada dit qu’elle continuera de suivre la situation et sera prête à donner plus d’information en juin ou juillet. « En attendant, nos expériences sont les mêmes : la tendance pour les réclamations dentaires et pour les soins ponctuels est baissée. Les réclamations d’assurance médicaments demeurent stables », dit-elle.

Président de Telus Santé et Solutions de Paiements, Luc Vilandré dit quant à lui avoir observé un léger fléchissement des réclamations de médicaments à partir de la semaine du 13 avril. Ce fléchissement est survenu en raison de la chute du nombre de visites dans les cliniques médicales, dit-il. Une situation qu’il mesure quotidiennement, alors que Telus Santé est connecté à un réseau de 26 000 médecins au Canada. « Nous avons déployé des services de santé virtuels pour ces médecins. Pas de doute que la télémédecine profite de la distanciation en faisant des adeptes supplémentaires. Dans certaines provinces, des cliniques nous ont mentionné avoir reçu la moitié du nombre de visites habituelles, révèle M. Vilandré. Des gens attendront avant de faire traiter un problème de santé mineur. Ce creux aura un impact sur le nombre de consultations hebdomadaires, ce qui aura un impact sur le nombre de prescriptions émises. »

Parmi les médicaments moins réclamés que d’habitude figurent les antibiotiques et autres médicaments destinés à traiter des problèmes de santé ponctuels, précise Luc Vilandré. Il rapporte ne pas avoir mesuré d’impact direct de la directive des 30 jours sur le nombre de prescriptions émises.

Pour sa part, Martin Papillon rappelle que ceux qui avaient pris l’habitude des prescriptions de 90 jours devront aller à la pharmacie trois fois plutôt qu’une, ou se faire livrer leur médicament. « La consommation de médicaments devrait être la même sur un cycle annuel, mais la directive des 30 jours causera une légère hausse du prix des médicaments sur l’année, car il n’y aura pas l’escompte sur les honoraires du pharmacien pour une prescription plus longue », explique le PDG de Groupe financier AGA.

Le léger fléchissement observé du côté des médicaments pour traitements ponctuels ne s’observe pas du côté des médicaments de maintenance, rappelle pour sa part Luc Vilandré. « Une personne diabétique n’arrêtera pas de prendre ses médicaments parce qu’il y a la COVID-19 », illustre-t-il. Les maladies chroniques demeurent ainsi un problème entier au sein des régimes.

De 100 % à 0 % en 5 jours

Si l’impact de la pandémie sur les réclamations d’assurance médicaments est mitigé, celui sur les soins complémentaires est spectaculaire. « C’est surtout du côté dentaire et soins complémentaires que cela frappe fort, rappelle le président de Telus Santé et Solutions de Paiements. Nous avons observé une baisse de volume très très significative des réclamations dans ces deux secteurs. »

Les activités du réseau de cliniques de Telus s’en ressentent. Elles ont été réduites à presque rien depuis le début du confinement, poursuit M. Vilandré.

Parmi les réseaux soutenus par Telus Santé, Medisys en a fait l’expérience avec ses cliniques principalement axées sur la médecine corporative pour des clients employeurs. « Il s’agit par exemple de bilan de santé annuel pour les cadres. Nous avons vu une baisse drastique jour après jour, de toute la séquence du flot d’activités. Nous sommes passés de 100 % de capacité, à 70 %, à 30 % et presque zéro en cinq jours », révèle-t-il.