Au lieu d’augmenter les dépenses de programmes, le gouvernement du Québec devrait hausser les investissements dans la réfection des infrastructures publiques, dont bon nombre sont désuètes ou dans un état déplorable. Selon un rapport de chercheurs à HEC Montréal, Québec devrait abolir le Fonds des générations pour utiliser ces surplus afin de réellement réduire l’endettement public.

En préambule du budget provincial qui sera déposé le mardi 10 mars à Québec, trois économistes du Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) rappellent au ministre des Finances qu’il devrait accorder la priorité à la réfection des infrastructures au lieu de se préoccuper de la distribution des surplus budgétaires dont il croit disposer. En considérant les surplus budgétaires des quatre dernières années, le gouvernement estime qu’il a la marge de manœuvre pour augmenter les dépenses de programme.

« Les Québécois amassent actuellement des fonds dans leur bas de laine collectif alors que leur maison s’écroule peu à peu », précise Robert Gagné à propos du Fonds des générations. Le directeur du CPP de la Fondation Walter-J. Somers à HEC Montréal est l’un des auteurs du rapport L’équité intergénérationnelle au Québec : une mécanique défaillante, avec ses collègues Jonathan Deslauriers et Jonathan Paré.

Équilibre budgétaire

Le rapport rappelle les trois piliers mis en place depuis 25 ans pour favoriser l’équité entre les générations. Le premier pilier a été l’adoption en 1996 de la Loi sur l’élimination du déficit et l’équilibre budgétaire par le gouvernement de Lucien Bouchard. On voulait ainsi éviter que les dépenses courantes du gouvernement continuent d’alimenter la dette publique.

Le retour à l’équilibre budgétaire est alors prévu pour 1999-2000. La loi prévoit trois cas de figure qui peuvent retarder ce retour à un budget équilibré : une récession, une baisse exceptionnelle des revenus découlant par exemple d’une réforme des transferts fédéraux, et enfin, une catastrophe qui affecte considérablement les revenus et les dépenses du gouvernement. Advenant un ou des déficits, la loi stipule que ceux-ci doivent être remboursés à partir des surplus dégagés lors des cinq années financières suivantes.

Le budget a été équilibré dès 1998-1999, un an plus tôt que prévu. Le surplus dégagé en 2000-2001 est utilisé pour équilibrer le budget de 2001-2002. En assurant cette gestion responsable du solde budgétaire, la loi a favorisé la réduction de la dette publique et a aussi réduit le fardeau du service de la dette, ramené à 12 % en 2005, comparativement à 17 % en 1997-1998. En 2019, le poids du service de la dette dans les revenus du gouvernement est de 7,6 %.

De 2014-2015 à 2018-2019, le gouvernement a engrangé des surplus de 21,3 G$, dont 8,3 G$ pour la seule année 2018-2019. La valeur relative de la dette brute du Québec diminue et la cible de 45 % par rapport au PIB du Québec sera atteinte en 2019-2020, cinq années plus tôt que prévu.

Le second pilier a été érigé en 2006 par la création du Fonds des générations sous le gouvernement de Jean Charest. Ce fonds est alimenté par les redevances hydrauliques, les revenus miniers, les biens non réclamés, la taxe spécifique sur les boissons alcooliques, les revenus de placements du fonds et l’indexation du cout moyen de la fourniture de l’électricité patrimoniale.

Le troisième pilier a été ajouté en 2007. Confronté à la vétusté des infrastructures à la suite de l’effondrement du viaduc de la Concorde à Laval, le gouvernement a promulgué la Loi favorisant le maintien et le renouvellement des infrastructures publiques.

En 2009, on a aussi créé une réserve de stabilisation où sont affectés tous les surplus après les versements faits au Fonds des générations. Les sommes sont utilisées pour réduire les besoins de financement courants du gouvernement ou pour rembourser la dette.

Des piliers fragiles

Les déficits cumulés par les gouvernements représentent près de la moitié de la dette publique québécoise, atteignant 100,5 G$ en 2019, précise le rapport du CPP. À cette dette majeure léguée par les générations précédentes s’ajoute le passif découlant du déficit de maintien des infrastructures.

Dans la foulée de la récession de 2008, le gouvernement a suspendu les articles de la Loi sur l’équilibre budgétaire en 2009-2010 afin de se soustraire à ses obligations. Jusqu’en 2015, les cinq déficits successifs ajouteront quelque 17 milliards de dollars (G$) à la dette publique en raison des déficits structurels.

Ironiquement, les sommes cumulées dans le Fonds des générations depuis sa création totalisent 17,2 G$, soit environ la même somme que le cumul des cinq déficits budgétaires suivant la dernière récession. Ce jeu à somme nulle n’a aucunement permis de compenser la dette de consommation des générations passées, selon les chercheurs.

En 2012, la Vérificatrice générale constate par ailleurs que la réfection des infrastructures est menée de manière désordonnée. Il faudra attendre jusqu’en 2015 pour que le gouvernement réalise un inventaire exhaustif des besoins.

En 2019, on estimait à 24,6 G$ les investissements requis pour ramener les infrastructures désuètes à un état acceptable. Dans le Plan québécois des infrastructures (PQI) 2019-2029, on prévoit une prise en charge d’environ 80 % de ce déficit en une décennie, en plus des sommes allouées au maintien des actifs en bon état.

Les dépenses annuelles moyennes prévues au PQI sont de 11,5 G$ par année, ce qui réduit de manière importante la marge de manœuvre du gouvernement, estiment les chercheurs.

Des moyens

Le rapport du CPP suggère des moyens pour s’assurer de l’efficacité des trois piliers de l’équité intergénérationnelle. Pour renforcer la Loi sur l’équilibre budgétaire, le CPP suggère de ne plus forcer le gouvernement à renforcer les déficits à même les surplus des années suivantes. Cependant, l’apparition du premier déficit l’obligerait à déposer et à respecter un plan de retour à l’équilibre budgétaire dans un horizon restreint.

En éliminant cette contrainte du remboursement des déficits, la réserve de stabilisation n’aurait plus d’utilité. Pour aider à la gestion pluriannuelle du solde budgétaire, les déficits ponctuels inférieurs à 1 % du budget devraient toutefois être autorisés, pour autant qu’ils soient remboursés l’année suivante. De cette manière, une partie des surplus dégagés pourra être conservée sous la forme d’un actif financier pour rembourser ce type de déficits.

Le CPP suggère aussi d’abolir le Fonds des générations et d’utiliser les fonds disponibles pour rembourser la dette. Par la suite, les revenus dédiés au Fonds devraient être exclusivement affectés à la réduction de la dette ou à la diminution des besoins de financement courants du gouvernement. Cela réduirait la pression budgétaire imposée par le PQI, et devrait permettre de combler la totalité du déficit d’entretien des infrastructures d’ici 2029, au lieu de se limiter à la cible actuelle de 80 %.