« Il n’est pas exagéré de dire que notre avenir dépend de la façon dont nous relèverons le défi du changement climatique. »

C’est par cette citation empruntée au rapport final du Groupe d’experts sur la finance durable que Jeremy Rudin, surintendant des institutions financières au Canada, a amorcé sa plus récente allocution. Il ajoute que cette remarque inclut aussi le secteur financier.

Lors de cette allocution prononcée le 7 février à Vancouver, en Colombie-Britannique, M. Rudin a révélé quelles sont les questions qui guident le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) lorsque vient le temps de mesurer le risque que pose le changement climatique sur les banques et assureurs qu’il supervise. Il les divise en trois types de risques : physique, de responsabilité et de transition.

Les risques physiques

Quand il parle de risques physiques, M. Rudin fait référence à ceux qui se rapportent notamment à la fréquence et à la gravité des feux incontrôlés, des inondations, des vents extrêmes et de l’augmentation du niveau de la mer, entre autres phénomènes. Il recommande à l’industrie d’éviter de se montrer complaisante devant la possibilité qu’un ou plusieurs assureurs ne soient pas en mesure de faire face à une hausse subite de la fréquence ou de la gravité de tels événements.

Il souligne aussi que les risques physiques ne concernent pas que les assureurs de dommages. Il en a donné des exemples.

« Les risques physiques pourraient provoquer directement la dévaluation des biens physiques et financiers que possèdent les institutions financières et les régimes de retraite, comme l’immobilier commercial et les fonds de placement dans de tels biens. Ils pourraient aussi faire chuter directement la valeur des actifs que possèdent les institutions financières si les biens donnés en gage par les emprunteurs sont exposés à de tels risques. »

C’est pour cette raison que le BSIF bâtit un éventail de scénarios graves, mais vraisemblables, comportant des risques physiques au Canada. Le BSIF veille ainsi à ce que les institutions qu’elles supervisent y soient préparées, dit le surintendant.

Les risques de responsabilité

Quant au risque de responsabilité lié au changement climatique, M. Rudin a dressé un parallèle avec ce que l’industrie de l’assurance a subi dans le dossier de l’amiante. Il juge que les réclamations pourraient être comparables dans les deux cas. Ce qui veut dire que le secteur de l’assurance subira des « contrecoups appréciables, mais gérables. »

Le BSIF n’écarte toutefois pas un scénario où les réclamations en responsabilité civile dues au changement climatique seront sensiblement plus couteuses que dans le dossier de l’amiante.

« Par conséquent, nous devrons confirmer que les assureurs gèrent leur exposition aux réclamations en responsabilité civile de manière à en limiter l’impact éventuel à un montant qu’ils sont en mesure d’acquitter », a-t-il commenté.

Les risques de transition

Selon M. Rudin, le type de risques le plus important à considérer est celui des risques de transition. Cette forme de risque sera engendrée par les efforts engagés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre plutôt que par le changement climatique à proprement parler.

Ils découleront principalement des politiques que les administrations publiques ont déjà adoptées ou qu’elles adopteront pour réduire les émissions. M. Rudin anticipe aussi que les changements d’attitude de l’investisseur ou du consommateur donneront lieu à des risques de transition.

Il voit ainsi deux cycles se profiler dans cette transition.

Le premier cycle est caractérisé par l’impact de la transition sur les industries dont les activités, voire les modèles d’affaires au complet, seront fortement et directement perturbées. Les secteurs d’activité comme ceux de la production de combustibles fossiles, de la production d’électricité et des transports figureront probablement sur la liste, mais ils ne seront certainement pas seuls, dit M. Rudin.

Puis, le second cycle de risque de transition sera la période où la chute des bénéfices et de l’emploi dans les industries perturbées aura des effets en chaine sur l’économie globale. Les effets sur l’économie ne seront pas nécessairement tous négatifs, affirme le surintendant.

« Si nous voulons opérer le passage à une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre, nous produirons de nouveaux débouchés alors même que nous ébranlerons des marchés existants. Ces nouveaux débouchés offriront des occasions d’affaires aux institutions financières. Nous pouvons espérer que l’incidence globale de la situation sur l’économie sera faible, voire positive. »

Toutefois, le BSIF dispose de peu d’information concluante sur l’incidence de la transition au second cycle, car la situation dépend largement des décisions stratégiques futures et de technologies qui n’ont pas encore fait leurs preuves, dit M. Rudin.

« Nous serions néanmoins prudents de nous préparer à la possibilité d’une transition qui aura un impact économique global fortement négatif, au moins pendant un certain temps. En tant que régulateur financier prudentiel, il nous incombe de longue date de nous assurer que les institutions financières sont toujours en mesure de poursuivre leurs activités sans interruption en tenant compte d’un éventail de scénarios économiques graves, mais vraisemblables. »

Une grande question

Considérant tout cela, le BSIF doit se poser une grande question, croit M. Rudin. Même si le système financier est prêt à traverser une récession grave et prolongée, quels moyens pourrait-il encore manquer au BSIF pour pouvoir faire la transition vers une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre ?

« Trouver réponse à cette question sera le principal défi à relever pour adapter le régime prudentiel aux conséquences du changement climatique dans les années à venir. Nous ferons le point sur notre travail dans ce domaine à mesure que l’année avancera », a fait savoir le surintendant.