Le modèle d’affaires des assureurs IARD en habitation est déficient et ne peut faire face aux changements climatiques. Si l’industrie ne le modifie pas, elle frappera un mur. Le statu quo n’est donc pas une option.C'est la mise en garde qu'a livrée John Strome, président de La Capitale assurances générales (qui possède aussi l'assureur à courtage L'Unique), au Congrès de l'assurance et de l'investissement 2008, en plus de livrer sa vision pour faire face à ce défi.

Pour M. Strome, les changements climatiques doivent être vus d'un autre œil que celui des montants à indemniser. Les assureurs doivent changer leur perception face au phénomène.

« J'y vois personnellement un défi et une opportunité pour l'industrie. On doit assumer notre rôle. Ça passera par des investissements et par la prévention. Ça passera aussi par les contrats et par la tarification, mais toujours en fonction des besoins des consommateurs. Il ne faut pas les oublier dans l'équation. Ça demandera l'implication de tous les intervenants si on veut que ça fonctionne. Ça ne peut pas être fait juste par le Bureau d'assurance du Canada ou par un seul assureur. C'est vraiment un effort collectif qui fera qu'on sera capable de relever ce défi », dit-il.

Selon M. Strome, une des raisons qui rend le contrat d'assurance déficient est qu'il n'a pas été conçu pour les dégâts d'eau, mais qu'il a été adapté pour les couvrir quand même. Il ajoute que 50 % des indemnités versées par les assureurs au Québec en 2007 l'ont été pour les dégâts d'eau, contre 21 % en 2001.

Il cite une autre raison : le segment d'affaires de l'automobile finance celui des biens depuis quelques années. L'industrie fait aussi face à une hausse des indemnisations. Puisque les changements climatiques engendrent des catastrophes plus sévères, les infrastructures municipales sont mises à mal plus souvent, ce qui cause plus d'inondations et de refoulements d'égouts.

M. Strome ajoute que les gens ont en plus changé leurs habitudes de vie. Ils achètent plus d'appareils pour le confort qu'auparavant, tels des cinémas maisons, des écrans de télévision géants, ce qui augmente la valeur assurable de leurs biens.

Une autre cause de la hausse des indemnisations est l'urbanisation. « Les mises en chantier se succèdent. Le béton remplace la verdure. On le voit avec l'avènement des grands centres commerciaux et des grands stationnements tout asphaltés. Il y a de nombreuses infrastructures municipales qui n'ont pas été conçues pour absorber autant d'eau. Ça devra faire partie de notre réflexion », dit M. Strome.

Menaces

Pour M. Strome, les menaces que cachent les changements climatiques sont bien réelles. À son avis, les consommateurs n'accepteront pas n'importe quelle hausse de prix ni de voir des protections être supprimées.

« On frappera un mur quelque part. Éliminer des garanties engendrera plus d'insatisfaction et de critiques des consommateurs. Ça pourrait nous mener vers une intervention de l'État et vers une perte de crédibilité et de marché pour notre industrie », prévient M. Strome.

Les assureurs ont ainsi avantage à coordonner leurs interventions avec l'État, puisqu'il fait face aux mêmes défis et qu'il doit payer pour la sécurité civile, affirme M. Strome.

« L'augmentation de la population a entraîné la construction de logements dans des zones plus exposées aux catastrophes. La cadence des investissements et travaux s'est accélérée. Ça fait suite à certains événements très malheureux, soit l'effondrement de certains ponts et ponceaux, qui ont causé des décès. L'État doit aussi s'adapter pour maintenir l'ordre, structurer les interventions en matière de zones de construction et avoir un Code du bâtiment qui est adapté et appliqué. C'est une problématique d'ensemble et il faudra arriver avec une solution de tous les intervenants », dit-il.

Pour les assureurs, une partie de la solution passera par la révision des modèles qui servent à évaluer l'ampleur des conséquences possibles des catastrophes, dit M. Strome.

« Depuis les années 1970, l'augmentation des indemnités pour cause de désastres naturels s'est multipliée par 20. Dans la dernière décennie, les assureurs mondiaux ont versé plus de 243 milliards de dollars de réclamation reliées aux catastrophes naturelles. De plus, au cours des huit dernières années, il y a eu à Toronto trois événements ne devant se produire qu'une fois aux 100 ans. On voit que le modèle a ses lacunes. L'industrie doit s'adapter. Le statu quo n'est pas une option », dit-il.

Quatre avenues

M. Strome croit que l'industrie IARD doit évaluer quatre avenues de développement pour faire face aux changements climatiques. La première est au niveau des investissements. En plus de s'investir comme industrie dans la recherche de solutions, les assureurs devront choisir dans quoi ils veulent investir. Une option pourrait être de le faire dans des sociétés et des secteurs qui travaillent à développer les énergies renouvelables et à réduire les gaz à effet de serre.

La deuxième avenue est la prévention. M. Strome rappelle que Munich Re collabore avec le London School of Economics, en Angleterre, sur l'évaluation des conséquences économiques des changements climatiques pour gérer et réduire les risques. Le réassureur a investi quatre millions de livres anglaises dans ce projet.

« On fait déjà une partie du travail de prévention quotidiennement en inspectant les résidences. Toutefois, la nature de l'inspection est orientée vers la prévention des incendies et l'évaluation de la responsabilité civile. Elle n'est pas orientée vers le dégât des eaux et des pertes possibles. Plusieurs changements peuvent être faits », dit-il.

La troisième avenue concerne le contrat d'assurance habitation. Selon le président de La Capitale, l'industrie devra développer des produits novateurs, qui vont influencer positivement les résultats techniques des assureurs.

« Il faut tenir compte des besoins des consommateurs. Il est très important qu'on les place au centre de l'équation. Actuellement, beaucoup d'assurés ne savent pas pourquoi ils sont couverts, ou encore de quelle façon ils le sont pour les dégâts d'eau ou les pertes dues au climat », dit-il.

M. Strome ajoute ne pas être convaincu que les consommateurs sont bien sensibilisés aux impacts des changements climatiques sur leur police d'assurance. « En ce moment, l'assuré ne fait que payer une prime de 800 $ pour sa maison et ça couvre l'incendie, le vol et les dégâts d'eau. Notre défi sera d'avoir des garanties qui sont abordables, qui sont disponibles, puis, évidemment, pour notre survie future, il faut aussi que ça soit rentable », dit-il.

Le président de La Capitale note que l'industrie tient ses assurés bien au fait des innovations qu'elle fait en matière de protection incendie et de vol automobile, mais qu'elle ne le fait pas en ce qui a trait aux dégâts d'eau. Selon M. Strome, l'industrie doit montrer qu'elle est proactive dans ce domaine.

Comme exemple à suivre, M. Strome cite le cas de la Floride, où les gens doivent être assurés contre les ouragans. « Ils ont une garantie distincte, avec une limite distincte, des conditions distinctes et une prime distincte. S'ils ne la prennent pas, les gens reçoivent des avis par la poste. L'assuré sait pourquoi il est assuré et comment. Cette transparence prend ainsi toute son importance », dit-il.

Tarification

En plus d'être transparent, les assureurs devront travailler à concevoir une tarification adaptée.

« On a créé des territoires, mais c'était des territoires incidents, qui couvraient les risques d'incendie. Ensuite, on les a adaptés pour leur ajouter le vol. Ces territoires ne sont pas adaptés aux dégâts d'eau, mais encore une fois, on utilise les mêmes. Actuellement, les modèles de couverture sont sous-tarifés. Ils se basent sur des périodes beaucoup trop longues lorsqu'on regarde les catastrophes. L'exemple de Toronto le montre bien », dit-il.

Dernière avenue de développement : les relations de l'industrie avec l'État. À cet effet, M. Strome fait remarquer qu'il n'y a aucun effet dissuasif visant à diminuer les risques pris par les citoyens, puisque l'État dédommage tout le monde sur un même pied d'égalité. Pour pallier ce problème, le président de La Capitale propose de suivre l'exemple de la France en mettant en place un fonds de réserve pour couvrir les risques, relevant d'un régime administré par l'industrie et dans lequel l'État aurait à s'investir.

La France dispose d'un tel régime depuis 1982. Il est basé sur quatre principes : la solidarité et la mutualisation du risque, accompagnées d'une garantie obligatoire et d'une prime obligatoire. L'argent amassé est mis dans un fonds, géré par l'industrie. Pour le supporter, une réassurance est garantie par l'État, qui s'appelle le CCR, qui est une compagnie de réassurance de l'État.

« Ce qui est vraiment intéressant, c'est que lors d'une catastrophe, c'est l'industrie qui prend la pôle et qui dédommage les gens. C'est drôlement intéressant en termes d'image. On se plaint souvent que nous n'avons pas une belle image auprès du public et qu'à chaque fois qu'il y a une perte, on n'est pas là. Avec un tel régime, on aura l'occasion, en faisant équipe avec le gouvernement, d'être là pour aider le consommateur dans une situation qui n'est pas plaisante pour lui », fait valoir M. Strome.