Si rien n’est fait d’ici dix ans, les changements climatiques qui bouleversent la planète pourraient être irréversibles. Les assureurs ne pourront en ignorer les impacts et le dossier pourrait tomber dans leur assiette plus vite qu’ils ne le pensent.C’est ce qu’a affirmé Jacynthe Lacroix, conseillère scientifique principale, changements climatiques, pour Environnement Canada, lors du colloque Planète Assurance, tenu en juin dernier, à Montréal. Mme Lacroix est aussi la représentante canadienne au sein du Groupe intergouvernemental de l’évolution du climat (GIEC), mis en place par l’Organisation des Nations Unies (ONU).
Mme Lacroix a révélé qu’un des éléments qui est ressorti de la dernière rencontre préparatoire du GIEC à Bonn, en Allemagne, touchait directement les assureurs.
« Lors de cette rencontre, les pays en voie de développement ont demandé à ce que les assureurs soient impliqués dans la lutte aux changements climatiques. Ils veulent voir comment les assureurs vont être impliqués dans la convention-cadre de Bali (qui fera suite à celle de Kyoto), pour les aider à s’adapter aux changements climatiques. Les assureurs ont intérêt à regarder ce qui se passe au niveau international, car ça pourrait retomber dans leur assiette », a mis en garde Mme Lacroix.
La conseillère scientifique a dressé un portrait alarmant de la situation. Elle a rappelé qu’il fallait faire en sorte que le réchauffement climatique ne dépasse pas 2ºC par rapport à l’époque préindustrielle correspondant à 1750. Il a déjà augmenté de 0,75ºC depuis ce temps.
Une hausse de 2ºC peut sembler peu, mais il faut préciser qu’il y a des milliers d’années, la Terre était recouverte d’une épaisse couche de glace. La température était en moyenne de 4ºC inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui. Mme Lacroix a expliqué que ce type d’observation se distingue de la météo qu’on peut observer dans une seule journée de celle du climat, qui s’échelonne sur plusieurs années.
Au cœur du problème : les gaz à effet de serre (GES). Les émissions de tels gaz devront donc être réduites de 80 % par rapport à 2000 pour éviter d’atteindre les 2ºC fatidiques. Elles ont augmenté de 70 % de 1970 à 2004.
« Quoiqu’on fasse aujourd’hui et dans les prochaines années, les changements climatiques demeureront. Ils vont se poursuivre et nous devrons nous adapter. La question n’est plus de savoir si le climat change actuellement, mais à quelle vitesse les changements se feront-ils et où sentirons-nous les impacts, » lance Mme Lacroix.
Les effets des changements climatiques seront nombreux, selon la conseillère scientifique. Rareté de l’eau potable, fonte des glaciers, vagues de chaleur, pluies abondantes, prolifération d’insectes nuisibles, feux de forêts, hausse du niveau des mers et manque de nourriture, n’en sont que quelques-uns.
Impacts au Canada
Au Canada, le réchauffement climatique se fait deux fois plus vite à cause de la fonte des glaces au nord du pays, a expliqué Mme Lacroix. Quand les glaces fondent, la lumière du soleil se reflète directement dans l’eau des océans, qui absorbent la chaleur. Cette chaleur contribue ensuite à faire fondre plus de glace et le cycle se répète. Le même phénomène s’applique pour la neige et les sols, ce qui contribue aux hivers plus doux.
Les impacts des changements climatiques seront divers au Canada. Au nord, on observe la fonte du pergélisol, soit le sol gelé en permanence. « Il y a des routes, des habitations et des pipelines construits là-dessus. À partir du moment où il fond, ça devient de la boue liquide et tout s’enfonce. On voit de plus en plus de camions embourbés sur les routes à cause du réchauffement trop rapide des routes gelées. Ça entraîne aussi l’effondrement des bâtiments et des berges près de l’océan. C’est un gros problème, car la plupart des villages nordiques au Canada sont situés sur ces berges », explique Mme Lacroix.
Le Canada pourrait aussi subir des sécheresses plus prolongées, entrecoupées de précipitations très abondantes, surtout dans l’ouest du pays, mais le Québec sera aussi affecté. Bonne nouvelle parmi plusieurs mauvaises, il neigera moins souvent. Néanmoins, quand il neigera, les Canadiens risquent d’y goûter, puisque les tempêtes tropicales monteront plus vers le nord.
Les précipitations plus abondantes signifient aussi plus d’inondations et de périodes gel-dégel. « C’est catastrophique pour les infrastructures et pour les écosystèmes actuels, avertit Mme Lacroix. Par exemple, en 1982, nous avons connu un hiver très doux à cause d’El Niño. À un moment, les érables avaient commencé à bourgeonner et c’est alors qu’on a vu s’installer des froids de -30ºC. Nous avons alors perdu 25 % de nos érablières. On risque de revoir ce phénomène plus souvent. »
Dans l’ouest du pays, les sécheresses entraînent des feux de forêts, qui ont doublé en superficie depuis 1970, et sur l’agriculture, qui est moins viable puisqu’il est impossible d’irriguer les Prairies.
« Un autre fléau s’est ajouté depuis quelques années : les insectes. Ceux-ci ont ravagé les forêts de la Colombie-Britannique et ont traversé la barrière des Rocheuses. Ils sont maintenant en Alberta », dit Mme Lacroix.
En plus de ravager les forêts mondiales, ces insectes transportent diverses maladies, comme la malaria. Le GIEC estime que cette maladie pourrait toucher 300 millions de personnes sur le globe en 2080. Le Québec et l’Ontario pourraient être touchés.
Le réchauffement climatique entraînera aussi une hausse du niveau des mers, selon Mme Lacroix.
« Cette hausse est due à 50 % au réchauffement des eaux océaniques et à 50 % à la fonte des glaciers. Le meilleur scénario parle d‘une hausse moyenne du niveau des mers de 28 à 48 centimètres pour les 100 prochaines années. De 1900 à 2000, la hausse a été de 17 centimètres. Dans le golfe du St-Laurent, elle a été de 30 centimètres. Cette hausse pourrait donc atteindre 60 centimètres de plus d’ici 100 ans. Par surcroît, ce sont des scénarios conservateurs, car ils ne tiennent pas compte de la fonte du Groenland et de l’Antarctique », précise-t-elle.
La température pourrait aussi augmenter dans les régions nordiques. « La température changera et pourrait grimper de 10ºC dans le nord du Canada. On ne peut remonter assez loin sur la Terre pour voir ce qu’implique une hausse aussi forte, surtout en si peu de temps. C’est un scénario catastrophique », dit Mme Lacroix.
Impacts dans le monde
Et encore, le Canada s’en tire bien au niveau des conséquences des changements climatiques, fait remarquer Mme Lacroix. L’Afrique et l’Asie seront les régions les plus touchées. Elles n’ont pas la capacité financière de faire face à des catastrophes d’envergue et comptent les populations les plus pauvres. Ces deux éléments font dire à Mme Lacroix que les changements climatiques pourraient être la goutte qui fera déborder le vase dans leur cas.
En Afrique, le GIEC estime qu’entre 75 et 250 millions de personnes seront exposées à un stress accru face à la raréfaction des ressources en eau d’ici 2020. Une hausse du climat de 3ºC pourrait faire passer ce chiffre à entre 400 millions et 1,4 milliard de personnes. Les changements climatiques pourraient aussi amener une réduction de 50 % des cultures arrosées par la pluie d’ici 2020, ce qui entraînerait un risque accru de famine. Le GIEC ajoute qu’en ce moment, dix millions de gens meurent de faim ou de malnutrition à chaque année, soit 25 personnes par jour ou une à toutes les cinq secondes.
En Asie, la fonte des glaciers pourrait se faire d’ici 20 à 30 ans, ce qui entraînera des inondations et des avalanches, suivies d’un manque d’eau, touchant ainsi un milliard de personnes. Le GIEC estime même que les deux tiers de la population mondiale pourraient vivre un stress hydrique d’ici 2025.
En Europe et en Océanie, le stress hydrique sera aussi présent, en plus d’une hausse des feux de forêts. En Amérique du Sud, la forêt tropicale pourrait faire place à la savane. À travers le monde, de 20 à 30 % des espèces, autant animales que végétales, sont menacées par les changements climatiques.
Le pire pourrait suivre ensuite. Le GIEC a identifié trois risques qui pourraient être apocalyptiques. « L’effondrement de l’Antarctique Ouest pourrait amener une hausse minimum du niveau des mers de six à sept mètres. La probabilité que cela se produise est cependant très faible, mais elle est là », spécifie Mme Lacroix.
Le deuxième risque est l’arrêt de la circulation thermohaline et de la grande boucle océanique, qui transporte les courants d’airs chauds, comme le Gulf Stream. « Elle amènerait une baisse des températures de 8ºC à 10ºC en 20 ans en Europe de l’Ouest. Il y a une faible probabilité que cela se produise, mais on prévoit tout de même une baisse de vitesse de la boucle de 30 % », avance-t-elle.
Le dernier risque est un important rejet de méthane des hydrates, dont le pergélisol et les fonds océaniques regorgent. « Ils sont 23 fois plus puissants que le Co² en termes de GES. Le rejet serait alors incroyable et ferait accélérer le réchauffement climatique d’une manière que les modèles scientifiques ne peuvent pas prévoir. C’est épeurant », reconnaît Mme Lacroix.
Si nous ne ressentons pas les effets des changements climatiques, nos enfants et nos petits-enfants les subiront, estime Mme Lacroix. « Le réchauffement actuel se fait 1 000 fois plus rapidement que ce que la Terre a jamais connu. Quand on s’attend à un réchauffement de 2ºC à 6ºC, on ne peut pas en imaginer les conséquences », dit-elle.
Le réchauffement climatique est sans équivoque et est amené à se poursuivre selon Mme Lacroix. « Même si on arrête d’émettre des GES, la planète continuera à se réchauffer. Les effets des GES actuels sont d’au moins 100 ans. D’ici 2030, le réchauffement sur chaque continent est insensible au choix de scénarios actuels d’émissions de GES. C’est ce qu’on va faire dans les prochaines années qui décidera de quoi la Terre aura l’air à la fin du siècle. Ça nous laisse dix ans pour bouger. Si nous n’avons pas pris de décision et que nous n’avons pas décidé d’aller de l’avant, nous allons en payer le prix », conclut-elle.