Les changements climatiques ne doivent pas être considérés uniquement comme un risque pour l’industrie de l’assurance. Ils doivent aussi être vus comme une occasion d’affaires.C’est ce qu’ont affirmé les conférenciers du colloque Planète Assurance, tenu en juin dernier, à Montréal.

Paul Kovacs, directeur exécutif de l’Institut de prévention des sinistres du Canada, croit que les assureurs devront s’adapter à cette situation, puisqu’ils sont appelés à l’avant-plan lors de catastrophes.« Cette visibilité peut s’avérer positive lorsque nous réussissons à aider les gens en couvrant leurs dommages rapidement. Elle peut cependant être négative si nous ne faisons rien et que nous n’allons pas sur les lieux. L’assurance fait beaucoup parler d’elle lors de tels événements. C’est une grande occasion pour l’industrie, mais aussi un gros risque », soutient M. Kovacs, qui est aussi professeur adjoint à la recherche en économie de l’Université Western Ontario.

Les assureurs devront donc se montrer à la hauteur des attentes de leurs clients lors d’une éventuelle catastrophe, selon M. Kovacs.

« Les gens s’attendent aussi à avoir de l’aide lors de tels événements. Lors de la crise du verglas en 1998, les assureurs pouvaient recevoir des milliers d’appels dans une journée. Lors d’une catastrophe, tous vos titulaires de police veulent vous parler au même moment. C’est donc une bonne occasion de réussir. Il y a beaucoup plus de compétitivité dans de telles occasions. Il y a aussi un gros risque d’échouer. Les assureurs ont donc à se préparer, à simuler et à tester », dit-il.

Selon M. Kovacs, les assureurs ne devraient pas être surpris quand une catastrophe se présente. « La première fois, lors de la crise du verglas, ils ont pu improviser. Certaines compagnies ont cependant appris de cet événement et se sont préparés à d’autres éventualités. Elles évaluent ce qu’elles feront. Elles ont déjà planifié de faire venir des gens de l’extérieur pour aider ceux qui feront face à la catastrophe sur le terrain», indique-t-il.

Fixer le bon prix

Le principal défi qui attend les assureurs avec les changements climatiques sera de fixer le bon prix sur le produit offert.

« Comme de tels événements surviennent peu fréquemment, il est difficile pour les actuaires de mesurer le risque et de mettre le bon prix sur la prime. De plus, les consommateurs comprennent mal comment leur couverture s’applique. Bien des gens pensent qu’ils sont couverts en cas d’inondations, alors que ce n’est pas le cas. À l’opposé, ils ne se croient pas couverts en cas de feu de friches, alors qu’ils le sont. Il est aussi difficile de résoudre des cas lorsque les catastrophes surviennent. Par exemple, la dernière tempête qui a frappé la Floride a amené les politiciens à confronter les assureurs sur la place publique. Ça peut donc être bien difficile de régler des réclamations », avertit M. Kovacs.

Les assureurs devront néanmoins faire leur travail, qu’il plaise ou non à la population, met en garde le directeur de l’Institut.

« Les assureurs doivent trouver le moyen de bien concevoir leur produit et de savoir ce que leurs clients veulent. Ça peut parfois être difficile, comme on le voit en Floride présentement. Les assureurs présents dans cette région doivent convaincre les gens qu’ils ont mis le bon prix sur leur prime. Le coût d’un ouragan est plus élevé qu’il y a quinze ans. La côte floridienne est maintenant un endroit dangereux où habiter. Les gens ont de la difficulté à comprendre la forte hausse des prix et ne sont pas contents. Les politiciens ne veulent pas entendre ça et certains se sont levés pour dire qu’ils allaient faire baisser les tarifs d’assurance. Si c’est une prime légitime, elle doit être payée à son juste prix », relate M. Kovacs.

Ce dernier ne cache pas que le dialogue est difficile entre les assureurs et les politiciens.

« Il y a des frustrations dans ce dialogue. Les assureurs doivent parler et expliquer leur rôle. Le prochain événement majeur en Floride amènera la banqueroute de l’État. C’est inévitable. Il y a aussi d’autres juridictions qui présentent de tels problèmes. Dans d’autres parties du monde, ça va mieux. Les assureurs y assument fièrement leur rôle et dédommagent les réclamations en demandant un prix approprié. Les assureurs doivent donc être efficaces. Ce n’est pas facile, mais c’est la seule manière d’y faire face », assure M. Kovacs.

Signaux clairs

Mark Way, chef de la gestion de la direction de la comptabilité, de la durabilité et de la gestion des risques chez Swiss Re, croit que les assureurs devront envoyer un signal clair pour dire que certains endroits sont plus dangereux que d’autres.

« Les assureurs doivent faire preuve de leadership en matière de changements climatiques. Nous sommes des experts en matière de risque et on devrait nous écouter. Il faudra mitiger ce risque et appliquer le tout à court terme. Payer selon le kilométrage est un phénomène relativement nouveau en assurance automobile. C’est pourtant directement en lien avec les changements climatiques. Nous devons baser notre prix en fonction du risque réel. Nous pouvons envoyer un signal très clair aux gens en fixant le prix selon l’endroit où ils vivent, comme en Floride par exemple », dit-il.

M. Way ajoute que les assureurs doivent avoir une meilleure compréhension de la planification régionale dans les secteurs à risque, comme dans les régions côtières.

« Nous avons l’option d’appliquer des mesures d’adaptation. Par exemple, si une catastrophe naturelle frappe une région côtière, est-il vraiment nécessaire de reconstruire au même endroit? Si ça l’est, il faudra donc améliorer les constructions et les plans d’urgence, puisque ces régions subiront d’importants dommages dans les années futures », explique-t-il.

Les actuaires présents dans les compagnies d’assurance devront donc revoir leur manière de calculer, selon Paul Kovacs.

« Pour les actuaires, il est difficile d’identifier le coût exact des dommages d’un événement qui sera lié aux changements climatiques. Comment vont-ils l’évaluer? Les actuaires devront se pencher sur les 10 à 20 dernières années pour fixer les prix. Ils doivent cependant aller plus loin que ça. Il faut essayer de comprendre ce que les scientifiques disent à ce sujet pour essayer d’ajouter des complémentarités à la façon actuelle de calculer. Pour obtenir le bon prix, il faut regarder ce qui se fait à l’international pour aller au-delà de l’approche actuarielle. C’est d’ailleurs ce à quoi les gens s’attendent de l’industrie », fait-il remarquer.

Marie-Hélène Malenfant, chef de l’équipe actuariat de l’Autorité des marchés financiers, confirme que les actuaires devront bonifier leurs calculs.

« Les méthodes de calcul pourraient passer par des procédures qui touchent toutes les catastrophes naturelles et qui permettent d’identifier l’exposition aux risques et le provisionnement spécifique. Les régulateurs pourraient demander aux actuaires de fournir des informations additionnelles sur le provisionnement et sur ses différentes hypothèses de risque », précise-t-elle.

Les assureurs pourraient faire face à des litiges judiciaires concernant les changements climatiques. Le phénomène est récent, mais pourrait prendre de l’ampleur, selon Mark Way. La Cour Suprême des États-Unis a rendu un premier jugement à cet effet en avril 2004 à l’encontre de l’Agence de la protection environnementale américaine, pour qu’elle mette en place une réglementation sur l’émission des gaz à effet de serre (GES) au Massachussetts.

« Qui aurait cru un jour qu’on pourrait poursuivre les fabricants de cigarettes à cause de ses effets nocifs? C’est chose faite, relate M. Way. Même chose pour l’amiante. Aux États-Unis, les coûts de remplacement de l’amiante sont évalués à entre 200 et 265 G$. Pour la seule année 2004, l’industrie de l’assurance a perdu 55 G$ à cause de l’amiante. Nous ne savons pas encore si les changements climatiques seront susceptibles de générer des poursuites, mais c’est une chose à laquelle l’industrie doit réfléchir. Ce n’est pas quelque chose de réjouissant, car ça augmentera le nombre de procès », anticipe M. Way.

Quelques solutions

L’industrie de l’assurance peut mettre quelques solutions à profit pour réduire l’émission des GES selon M. Way. « L’industrie pourrait offrir des rabais sur les bâtiments verts par rapport aux bâtiments traditionnels. Quelques fermes aux États-Unis commencent à en profiter. L’industrie pourrait également couvrir la performance et les risques des systèmes d’énergie renouvelables. Si une propriété est détruite, l’assureur pourrait convaincre le propriétaire de rebâtir celle-ci avec des matériaux verts et à meilleure efficacité énergétique. L’industrie pourrait aussi couvrir la performance et les risques associés aux projets visant à réduire l’émission de GES », dit-il.

L’industrie de l’assurance a aussi quelques options pour tirer profit des changements climatiques. « Les cats bonds permettent de transférer le risque financier du marché du risque vers le marché des capitaux. Dans ce cas, le propriétaire prend seulement le risque de perdre son investissement. Les investisseurs peuvent aussi investir dans les fonds verts », mentionne M. Way.De plus, le marché de l’assurance sur la température (weather market) prend de l’ampleur. « Un détaillant de motoneiges peut maintenant assurer ses ventes. S’il fait face à un hiver doux et que ses ventes diminuent, son assurance couvrira la différence. Les assureurs peuvent également être actifs sur le marché des crédits de carbone en vendant de l’assurance ou en devenant un échangeur actif sur ce marché. Les banques le sont déjà et les compagnies d’assurance le seront aussi », prédit M. Way.

Il ajoute que l’industrie n’a pas encore étudié toutes les occasions qui s’offriront à elle à cause des changements climatiques.

« Je suspecte que nous n’avons pas encore compris toutes les possibilités des nouveaux produits qui pourraient être lancés. En Europe, les Hollandais ont compris comment faire face aux inondations et font des choses incroyables. Ils ont même conçu une maison flottante. Ça peut paraître fou à première vue, mais ça démontre l’importance de se tenir à l’affût de tout ce qui se passe au niveau international. On doit donc tout regarder pour voir ce qui peut être bon pour nous aussi », affirme M. Way.

Daniel Demers, vice-président et directeur général au Québec du Bureau d’assurance du Canada, croit aussi que de nouvelles occasions peuvent se présenter pour développer de nouveaux produits.

« Avant, les assureurs n’assuraient pas les endroits où ils savaient que des inondations pouvaient se répéter. Maintenant, il peut y avoir des inondations à des endroits inattendus. Le caractère accidentel apparaît dans certaines situations maintenant. Il y aura de nouvelles possibilités de couvrir dans certaines circonstances », dit-il.

M. Demers souligne que les gens ont de plus en plus de biens, ce qui fait augmenter le montant des réclamations. « Avant, quand l’eau refoulait dans un sous-sol, il n’y avait que pour quelques centaines de dollars de dommages. Maintenant, les gens y ont des planchers plus sophistiqués, des téléviseurs au plasma et des cinémas-maison. Il n’est donc pas rare de voir des dommages de 100 000 $ pour un seul sous-sol », rappelle-t-il.

Paul Kovacs croit que l’industrie peut faire face au défi des changements climatiques comme elle l’a fait avec l’alcool au volant.

« Les assureurs doivent bien faire dans le dossier des changements climatiques et fixer le bon prix. Aussi, la définition d’assurance pourrait être ambiguë par rapport aux changements climatiques. Qu’est-ce que l’assurance dans ce cas? Ça inclut quoi? Est-ce que c’est sujet à la réglementation ou on peut le faire passer comme un autre type de produit financier? Tout débute donc avec le dialogue avec les consommateurs. Marier tous les enjeux sera un défi excitant », défend M. Kovacs.