Les conseillers financiers sont formés dans un seul et même but: vendre, vendre et vendre. Le fait de refuser de répondre aux besoins d’un client va totalement à l’encontre de leurs objectifs. Mais que faire d’un client à problèmes?Pour plusieurs vendeurs d’expérience, et même des experts légaux, la meilleure solution pour le conseiller consiste à rompre le lien d’affaires avec un client qui lui pose des problèmes, sinon il risque fort de le regretter.
« Chaque conseiller compte au moins un client difficile dans son bloc d’affaires », remarque Jim Bullock, registraire au Peel Institute of Applied Finance, situé à Toronto.
Lui-même a dû mettre fin à plus d’une relation d’affaires difficile au cours de sa carrière. « Un client intraitable ou très exigeant demande souvent un service de première classe, duquel il n’est d’ailleurs jamais satisfait. Je n’ai pas coupé les ponts avec un client difficile aussi souvent que j’aurais dû. En rétrospective, j’aurais dû me débarrasser de beaucoup plus de clients », regrette M. Bullock.
En plus du client difficile, Jim Bullock cite aussi le cas du client qu’il qualifie de cowboy. C’est celui qui adopte un comportement hors de l’ordinaire et qui impute le blâme à tout le monde, excepté à lui-même, si les choses vont de travers.
M. Bullock estime que ce type de client est monnaie courante. C’est celui qui effectue des placements que le conseiller désapprouve ou encore qui contracte une assurance dont le montant et la couverture ne seront pas profitables, aux yeux du représentant. « Les courtiers doivent comprendre que ce type de client est une véritable bombe à retardement », avertit M. Bullock.
Trouver le bon moment
David Di Paolo, avocat associé au bureau torontois de Borden Ladner Gervais, soutient qu’il peut s’avérer ardu de déterminer quand il est préférable de couper le lien d’affaires avec un client. « L’instinct d’accroître sa clientèle prime d’abord chez le conseiller financier. Par conséquent, la notion de ne plus faire affaire avec un client ne correspond pas du tout à ce qu’on lui a appris. C’est la raison pour laquelle il tarde à couper toute communication avec le client en question et connaît alors une série de problèmes », explique-t-il.
M. Di Paolo estime qu’un client qui effectue des placements au-delà du niveau de tolérance jugé par le représentant est l’indice d’une relation d’affaires potentiellement problématique, tout comme le cas du conseiller qui sent de plus en plus qu’il joue le rôle d’exécutant.
« Méfiez-vous si le client vous téléphone plusieurs fois par jour, qu’il vous fait des demandes répétées et que vous avez l’impression qu’il vous surveille constamment. En fait, le lien de confiance est rompu. Un bon client s’informera sur les rendements de son portefeuille et saura confiant que le conseiller le tiendra au courant, advenant un événement important qui affecterait ses placements. » En somme, résume l’avocat associé, s’il y a mésentente dans la relation d’affaires, un conseiller devrait envisager d’y mettre fin. »
L’avocat explique qu’il a rencontré beaucoup de conseillers financiers dont les clients ont perdu des sommes et qui les critiquent sévèrement. Dans ce contexte, dit-il, il est préférable de se retirer de la relation d’affaires, surtout si ces clients ont le reproche facile dès que leurs attentes ne donnent pas les résultats escomptés.
M. Di Paolo croit que les conseillers financiers devraient faire preuve de plus de fermeté envers leurs clients. « Certains représentants craignent de s’affirmer vis-à-vis de leurs clients. Ils ne veulent pas s’exposer à leur colère si ceux-ci font fi de leurs recommandations et choisissent d’acquiescer à leurs choix. Le conseiller devrait plutôt dire au client : « Ou vous tenez compte de mon avis ou bien vous vous trouvez un autre conseiller. » L’avocat considère que dans la plupart des cas, un client invité à trouver un autre conseiller optera pour cette solution.
Jim Bullock propose une façon élégante de couper les ponts avec un client. « Lorsqu’il se plaint que vous n’avez pas agréé à sa demande, que vous l’avez fait tardivement ou encore que vous avez commis une erreur, reconnaissez qu’il entretient de grandes attentes et qu’il est méticuleux, remarques plus flatteuses que négatives. Vous pourrez ainsi ajouter : « Un client de votre calibre a droit au service empressé et attentionné d’un conseiller autre que moi. »
« Le client reçoit alors la remarque comme un compliment » , poursuit M. Bullock. « Le moment est particulièrement bien choisi de vous retirer si vous connaissez un collègue disposé à se charger du dossier. Un nouveau représentant sera heureux de profiter de cette occasion d’affaires, parce qu’un client, même difficile, est préférable à aucun client. »
Question de tact
Toujours à la lumière du même cas, Jim Bullock insiste sur le fait qu’un conseiller financier doit démontrer beaucoup de tact afin que le client ne colporte pas de mauvais commentaires à son sujet. « Il arrive souvent que vos clients proviennent du même milieu professionnel. Dans mon cas, ma clientèle est formée de médecins. Si vous vous conduisez mal avec l’un d’entre eux, soyez assuré qu’il s’empressera de transmettre le message à ses confrères. »
Enfin, dans le processus de retrait d’un client de son bloc d’affaires, le registraire du Peel Institute recommande de conserver quand même son dossier, « puisque dans une certaine mesure, vous pourriez devoir aider le client ou encore avoir à vous défendre. »
Nicole Lavertue est conseillère en sécurité financière et assureur vie agréée au bureau de Granby de Force financière Excel. En 25 ans de carrière, Mme Lavertu se rappelle avoir connu quelques relations difficiles, dont une avec un important client, qu’elle a toutefois réussi à conserver dans son bloc d’affaires. « Au départ, au lieu de m’en occuper moi-même, je l’ai référé à une autre collègue dynamique et animée de nouvelles idées », raconte-t-elle.
Sa collègue a demandé à une autre collègue de l’aider dans ce dossier. « Ça a fonctionné en partie, mais le client nous a échappé parce qu’il y avait trop de personnes qui s’occupaient de lui. De plus, le client s’est senti exploité », relate Mme Lavertue. Elle reconnaît toutefois que ce dernier faisait des demandes répétées à ses collègues sur plusieurs aspects de son dossier.
Mme Lavertue a alors décidé de reprendre le dossier à son compte. Elle a rencontré le client à plusieurs reprises afin de mieux connaître ses besoins et a pu ainsi rétablir le lien de confiance. « En assurance, l’art consiste à trouver la motivation du client. Il veut savoir s’il est compris. Bien souvent, on ne l’écoute pas. De plus, un client a un sixième sens et sait très bien si on l’apprécie ou non », soutient-elle.
Dans deux autres cas, la conseillère en sécurité financière a dû mettre un terme à deux relations d’affaires, dont une avec une cliente qui était pourtant sa meilleure amie. « Je leur avais vendu les meilleures polices d’assurance et de bons placements, mais elles ont choisi de retirer leurs placements. Je me suis sentie trahie et le lien de confiance n’existait plus. » Mme Lavertue est d’avis qu’il faut se protéger et se méfier « car des gens peuvent vous user à la corde. »
Suzanne Lefebvre travaille en assurance depuis 20 ans. Elle est rattachée au bureau de Sherbrooke de Force financière Excel. Elle évoque un seul cas de client difficile.
Il s’agit de l’époux d’une de ses clientes. « Ma cliente a effectué des placements et pendant les années de vaches grasses, elle connaissait évidemment de très bons rendements. Son mari préférait attendre. »
L’époux a finalement décidé de faire des investissements. Dès le lendemain de sa démarche, les taux ont commencé à chuter sans arrêt, pendant plusieurs mois. « Il était très exigeant. Même si son rendement était de 10%, il voulait 20%. Il m’a ensuite demandé d’effectuer le calcul du rendement quotidien de ses placements depuis les débuts. »
Mme Lefebvre a alors compris que le client n’était pas un investisseur, mais plutôt un spéculateur. « Je lui ai dit que mon travail consistait à suggérer des placements. Nous avons fait des modifications dans son portefeuille. Ses placements sont actuellement très risqués, il n’aura de résultats que dans un an, mais c’est la dernière fois que je le verrai à ce moment-là », soutient-elle.
La conseillère estime qu’elle aurait dû initialement demander au client quelles étaient ses attentes. Elle est d’avis qu’il est inutile de dépenser beaucoup d’énergie, en pure perte. « Que le client voie alors un autre conseiller, car ça monopolise 105% de mon énergie. »
Avocat associé au cabinet Laroche Rouleau & Associés, Pierre Rouleau est spécialisé notamment en assurance responsabilité professionnelle. Il abonde dans le même sens que les deux conseillères en sécurité financière. « Dans une relation d’affaires, le principe « quand ça commence mal, ça finit mal », s’applique. Si la relation de confiance fait défaut, le conseiller doit rencontrer son client. Si la situation ne se rétablit pas, il doit le référer à un autre conseiller », dit-il.
M. Rouleau signale que les poursuites de clients à l’endroit de conseillers financiers sont moins nombreuses qu’on pourrait le croire, compte tenu du nombre de conseillers certifiés.
Il cite deux cas typiques qui aboutissent en cour. Le premier est le conseiller dont le dossier du client qui le poursuit est si mal tenu qu’il est quasi inexistant. Le deuxième est celui du conseiller financier que l’avocat qualifie « d’imbécile heureux », celui qui croit qu’il prodigue les meilleurs conseils en matière de placement.
Dans tous les cas, M. Rouleau estime qu’un dossier bien tenu, des notes sur chacune des interventions ainsi que des feuilles de temps claires sont les meilleures armes contre tout type de poursuite. « Un dossier bien tenu donnera beaucoup de crédibilité devant un juge. C’est un gage de succès presque assuré en cour. C’est une méthode de travail qui a fait ses preuves depuis longtemps », fait-il valoir.
Pour l’avocat spécialisé, un conseiller financier a tout avantage à connaître l’ensemble du dossier du client aux plans personnel, financier et même matrimonial, afin de lui offrir des produits bien adaptés à ses besoins. Il importe aussi de tenir compte du profil du client. « On ne recommande pas à un client de 70 ans d’acheter des titres technologiques. Il faut connaître sa tolérance au risque.