Des entreprises ont adopté la nouvelle norme de santé et de sécurité psychologiques en milieu de travail dans l’espoir de freiner les couts liés aux maladies mentales. Le Conseil du patronat du Québec les accueille pourtant froidement et demande au secteur public de faire sa part. Développée par la Commission de la santé mentale du Canada, la norme de santé et de sécurité psychologiques se destine aux milieux de travail qui souhaitent favoriser la santé mentale et prévenir les préjudices psychologiques. La norme propose des étapes et des actions à prendre pour y parvenir et pour maintenir les acquis.

La norme est volontaire, mais Bell Canada et quelques autres pionniers se sont empressés de l’adopter. Elle constitue pour eux le premier guide à définir clairement le rôle des gestionnaires d’entreprises appelés à intervenir face aux problèmes de santé mentale de leurs employés. « Elle permet de lever le drapeau lorsque se présente une situation liée à un enjeu de santé mentale, et aide les gestionnaires à faire en sorte qu’elle se dénoue de façon optimale », dit Lucie Dutil, vice-présidente en ressources humaines de Bell Canada.

Pour Mme Dutil, les bénéfices d’une telle norme compensent largement les couts de son application. Bell Canada n’entend donc pas perdre une minute pour le faire. « Notre objectif est d’avoir fait un bon bout de chemin sur l’implantation de la nouvelle norme, d’ici 12 mois », dit-elle.

Bell était déjà engagée dans diverses démarches, comme une campagne de sensibilisation qui a fait augmenter l’achalandage de son programme d’aide aux employés de 35 %. Bell a aussi démarré en 2011 un projet pilote dans lequel elle axe ses pratiques de retour au travail sur les besoins des personnes atteintes de maladie mentale. Parmi ces pratiques : veiller à les accueillir et à bien préparer leur retour.

Programme obligatoire chez Bell


Bell prend aussi les grands moyens pour sensibiliser ses gestionnaires. Son programme de formation en santé psychologique est obligatoire. L’entreprise de téléphonie a formé 3 000 cadres jusqu’à maintenant, soit plus de 80 % de son effectif de gestionnaires. La formation est offerte à toutes les nouvelles recrues gestionnaires, cadres et chefs d’équipes. Bell Canada compte 49 000 employés au Québec.

 

Mme Dutil recommande aux entreprises de ne pas attendre d’avoir la recette parfaite pour adopter la nouvelle norme. Elle soutient que l’application de telles normes est de nature à faire diminuer non seulement l’absentéisme, mais aussi le présentéisme.

Autre pionnière, la firme d’actuaires-conseils Morneau Shepell a adopté la norme, tant pour elle-même que dans les conseils qu’elle dispense à ses clients en avantages sociaux. Claudine Ducharme, associée, services-conseils en santé et en assurance collective pour Morneau Shepell, a aussi siégé au comité technique chargé d’élaborer la norme.

« Cette norme nous permet d’identifier les personnes clés et de regarder où sont les leviers qu’elles ont pour agir », a dit Mme Ducharme en entrevue au Journal de l’assurance. Elle insiste aussi sur les bénéfices. « Si les gens quittent le bateau, car le milieu de travail est malsain, combien cela coute-t-il de remplacer les ressources qui ont quitté? Favoriser un climat sain permet de retenir le personnel », observe-t-elle.

Elle s’attend aussi à pouvoir implanter les normes en 12 mois. « Mettre le système et le processus en place peut paraitre lourd, mais c’est ensuite une roue qui tourne d’elle-même. »

Mmes Dutil et Ducharme ont toutefois insisté sur l’adoption de la norme, qui ne se résume pas simplement à copier-coller une recette magique. L’entreprise doit consentir des efforts et documenter ses processus. Les entreprises auront ensuite avantage à partager leurs bons coups entre elles pour permettre aux meilleures pratiques d’évoluer. Enfin, elles devront faire un audit des processus mis en place pour en dégager les résultats et déterminer si elles ont atteint les objectifs fixés au départ.

Marie-Claude Pelletier, PDG de Groupe entreprises en santé (anciennement ac), a suivi de près le développement de cette norme qu’elle qualifie de mode d’emploi pour passer à l’action. Elle a aussi été l’une des artisanes de la norme Entreprise en santé, en vigueur depuis quatre ans. Norme volontaire, elle touche tous les aspects de la santé en milieu de travail, y compris l’aspect psychologique. Une fois la norme implantée, l’entreprise n’est pas forcée de la faire certifier. Celle qui le désire peut le faire auprès du Bureau de normalisation du Québec. Pour sa part, la norme de santé et de sécurité psychologiques ne mène à aucune certification.

La PDG de Groupe entreprises en santé tire de son expérience que l’implantation d’une norme de santé en entreprise prend « normalement entre 12 et 18 mois ». Elle signale que la norme Entreprise en santé a fait son chemin au Québec. « 39 entreprises ont obtenu leur certification, alors qu’elles n’étaient pas obligées. » Elle a ajouté qu’entre 200 et 300 entreprises travaillent actuellement à l’implanter.

Mme Pelletier n’ose pas s’avancer sur le taux de pénétration que pourrait connaitre la nouvelle norme au sein des entreprises canadiennes, mais croit que la tendance est favorable. « Il y a un éveil de plus en plus significatif sur l’importance pour l’entreprise de prendre soin de la santé de ses employés, et pas seulement parce que c’est le fun. C’est aussi un moyen de retenir les employés, d’en attirer de nouveaux et d’abaisser les couts des régimes d’assurance. »

Peu importe la norme que l’entreprise choisit, il est important qu’elle suive une démarche rigoureuse dans laquelle on pose les bons gestes pour obtenir les bons résultats, dit Mme Pelletier. « Trop souvent, on escamote l’étape du diagnostic, de la collecte des données et de l’établissement des objectifs. On applique tout de suite une démarche avant de savoir si c’est une bonne chose à faire. » C’est, selon elle, le meilleur moyen d’obtenir des résultats médiocres.

L’organisation ne doit pas non plus faire reposer l’application de la norme sur les épaules d’une seule personne, ajoute Mme Pelletier. Chez Bell Canada, Lucie Dutil a signalé que le processus se déroule sous la responsabilité de trois personnes, mais que tous les gestionnaires, ainsi que des consultants externes, sont impliqués.

Le CPQ contre


Malgré l’adhésion de quelques entreprises, le Conseil du patronat du Québec (CPQ) s’est opposé dès le départ à la création de cette norme, dont l’ébauche a été présentée une première fois pour consultation en 2011. Or, il n’a pas réussi à se faire inviter au comité de travail pour son développement.

 

Lors du premier colloque des associations patronales sur la problématique de la santé psychologique, qui s’est déroulé à Montréal, en février, Carmel Laflamme, vice-présidente, santé et sécurité du travail, est revenue sur ce point. Malgré son absence, elle se félicite toutefois que la version finale se soit distanciée du format original dans une mesure qui « rejoint ce que nous disions », a-t-elle dit en entrevue avec le Journal de l’assurance, en marge de l’évènement.

Certains aspects restent toutefois à améliorer et, selon Mme Laflamme, la norme devrait davantage tenir compte du fait que la santé mentale dépend de plusieurs facteurs de risque. « Au moins 60 % des facteurs qui amènent détresse et problèmes de santé mentale ne sont pas liés au travail, dit-elle. Ce n’est pas en agissant seulement sur le milieu de travail que nous règlerons les enjeux liés à la santé mentale. » Elle croit au contraire que les responsabilités doivent être partagées entre l’entreprise, l’employé et le secteur public.

La responsabilité du réseau public est indispensable, renchérit-elle, notamment en vertu du Programme national de santé publique (2003-2012). Il y était prévu d’augmenter la proportion de personnes de tous âges en bonne santé mentale, réduire le nombre de tentatives de suicide et le nombre de suicides, sensibiliser le public et les professionnels aux signes avant-coureurs des troubles anxieux et dépressifs et diffuser de l’information sur les activités et les services offerts.

Mme Laflamme a rappelé qu’il existe déjà plusieurs normes qui portent sur la santé et la sécurité au travail en général. Outre Entreprise en santé et sa certification BNQ 9700-800, elle signale la norme internationale de santé et sécurité au travail (OSHAS 18001), et la norme canadienne de gestion de la santé et de la sécurité au travail (CSA Z1000).

«  90 % des entreprises québécoises sont des PME, rappelle Mme Laflamme. Elles croulent sous les charges administratives. Souvent, elles n’ont même pas de programme d’aide aux employés. Plutôt que de créer une nouvelle norme et d’alourdir leur fardeau, pourquoi ne pas travailler à l’intérieur de ce qui existe déjà, notamment ce qui est prévu par la Loi sur la santé et la sécurité au travail? »

En vertu de son plan d’action, le CPQ souhaite accentuer ses efforts de sensibilisation auprès de l’appareil gouvernemental, afin que le réseau public assume sa juste part de responsabilités. Il souhaite aussi que ses membres documentent les actions qu’ils entreprennent pour favoriser la santé et la sécurité psychologique au travail, afin de dégager des indicateurs valables et les partager entre eux. Mme Laflamme considère, en effet, que la norme est plutôt floue à cet égard.

Pour sa part, le secteur de l’assurance de personnes a favorablement accueilli la Norme de santé et sécurité psychologiques en milieu de travail. L’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP) l’a saluée parce qu’elle cadre avec sa position d’encourager la création de programmes axés sur ces enjeux. Elle avait d’ailleurs adopté, en 2009, des lignes directrices en ce sens.