Avec son projet de loi 1 adopté le 14 janvier, Québec s’est rendu aux demandes des entreprises et des syndicats préoccupés par les effets dévastateurs de la récession sur la santé des régimes à prestations déterminées. Les caisses ont maintenant 10 ans pour amortir leur déficit et peuvent faire garantir leurs prestations par la Régie des rentes du Québec en cas de difficulté.Le projet de loi 1 est la Loi modifiant la Loi sur les régimes complémentaires de retraite et d'autres dispositions législatives en vue d'atténuer les effets de la crise financière à l'égard de régimes visés par cette loi.

Les régimes à prestations déterminées constituent une caisse de retraite à même les cotisations de l'employeur et celles des participants s'ils en versent. Ce sont des actuaires qui établissent le coût des prestations et fixent les cotisations qui doivent être versées dans le régime pour le maintenir à flot. La rente de retraite correspond à un pourcentage du salaire multiplié par les années de service.

Aggravée par la récession, l'insolvabilité de ces régimes a atteint des sommets à la fin de 2008, partout au Canada. Le ratio moyen de solvabilité, qui représente la capacité du régime à remplir ses engagements envers les participants, était de 70% au 31 décembre 2008.

L'Univers des fonds communs des gestionnaires de retraite de Morneau Sobeco indique que la situation financière des caisses de retraite s'est détériorée en moyenne d'environ 25 % en 2008 sur base de solvabilité. C'est la pire année qu'aient connue les caisses de retraite en 30 années d'existence de l'indice de Morneau Sobeco.

Lors de son allocution à la suite de l'adoption de son projet de loi 1, le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale, Sam Hamad avait déclaré que combler cet écart entre 70 % et 100 % coûterait 22 milliards$. « Ce sont 950 régimes au Québec qui sont touchés par le projet de loi 1, soit 100 milliards$ d'actif et un million de Québécois, des travailleurs et des retraités. »

Estimation inquiétante

Dans un bulletin intitulé Le Point sur les pensions - Numéro 30 - Janvier 2009, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) révélait aussi une estimation inquiétante pour la période se terminant le 30 juin 2008. À cette date, 71 % des 400 régimes de retraite fédéraux à prestations déterminées étaient sous-capitalisés, affichant ainsi un déficit au niveau de la solvabilité. Six mois plus tôt, au 31 décembre 2007, la proportion de régimes sous-capitalisés était de 56 %.

La déconfiture des marchés financiers en fin d'année a été telle qu'elle a effacé l'amélioration de la solvabilité qu'avaient connue les régimes de retraite à prestations déterminées depuis 2001, a d'ailleurs expliqué en entrevue Patrick De Roy, directeur chez Morneau Sobeco pour les régimes à prestations déterminées.

Avec les déficits qui s'accumulent dans les caisses de retraite, le Projet de loi 1, qui permet de les amortir sur une période de 10 ans plutôt que cinq ans, a été unanimement salué tant par les syndicats que par le patronat.

Aussi, plusieurs déficits pourront être consolidés au moment de l'évaluation actuarielle du régime, ce qui réduira la cotisation totale exigée. Les régimes pourront également étaler sur cinq ans les pertes de placement en recourant au « lissage de l'actif », une mesure qui permet au régime d'étaler sur une période maximale de cinq ans les pertes de placement.

Le projet de loi 1 tend du même coup un filet de sécurité sous les régimes en difficulté. La Régie des rentes du Québec (RRQ) versera aux participants et bénéficiaires le manque à gagner dans le cas où, par exemple, un régime prendrait fin parce que l'entreprise a fait faillite. La Régie se substitue ainsi au secteur privé pour une période transitoire de cinq ans, après quoi les rentes des participants devront être prises en charge par un assureur.

Le montant versé par la RRQ dépendra du niveau de solvabilité du régime. Pour un régime provisionné à 75 %, la Régie garantira pendant cinq ans le versement de 75 % de la rente due à l'employé.

De plus, le projet de loi rend certains règlements de la RRQ ou du gouvernement rétroactifs. Aussi, les nouvelles normes de pratique sur la valeur actualisée des rentes de l'Institut canadien des actuaires pourront s'appliquer à l'avance. Prévues le 1er avril 2009, elles pourront servir aux évaluations actuarielles effectuées le 31 décembre 2008 ou plus tard.

La nouvelle norme peut réduire de 5 % la valeur actualisée des rentes pour un participant admissible à la retraite, et de 15 % et plus celles des jeunes participants.

Le ministre des Finances fédéral, Jim Flaherty, n'est pas en reste en termes d'allègement. Ottawa autorisait le recours à la nouvelle norme depuis le 12 décembre dernier. Superviseur des régimes de juridiction fédérale, le Bureau du surintendant des institutions financières pose toutefois deux conditions : le rapport actuariel de cette évaluation doit être soumis au BSIF au plus tôt le 1er avril 2009; le régime de retraite ne doit pas avoir cessé d'exister avant le 1er avril 2009.

Des règlements à venir

En entrevue exclusive au Journal de l'assurance, le ministre Sam Hamad a vanté la rapidité avec laquelle les parties à la table de consultation ont fait consensus. Le député libéral de Louis-Hébert estime qu'il est rare de voir syndicats et patronat arriver à un accord en si peu de temps. Le comité de travail qui a mené à l'adoption du projet de loi 1 a en effet été mis sur pied en novembre.

Le projet de loi 1 n'est toutefois pas complet puisque quelques règlements restent encore à venir, en avril ou mai, a déclaré le ministre. « Ils sont d'ordre technique et ne modifieront pas l'esprit du projet de loi. »
M. Hamad rappelle que les mesures transitoires sont en place pour trois ans.

Est-ce que le public se substitue au privé en laissant la RRQ prendre charge du versement des prestations d'un régime en difficulté? Sam Hamad se défend de concurrencer le privé à cet égard. La RRQ n'est pas un passage obligé. C'est une option, ajoute-t-il. « Les parties en cause peuvent faire appel au privé si elles le souhaitent.

L'idée est de garantir les valeurs. Aussi, la RRQ prend charge du régime pendant cinq ans seulement. Après, il sera retourné au secteur privé. »

Le ministre ajoute que la responsabilité de la RRQ ne sera pas illimitée. Si un régime dont elle prend la charge voit son ratio d'insolvabilité baisser de 70 % à 65 % au bout de 5 ans, parce que les rendements sont insuffisants, le gouvernement ne comblera que l'écart seulement. Si la performance de la Régie permet par contre au régime d'afficher un ratio de 75 %, les bénéfices additionnels sont retournés à l'employé, explique-t-il.

Aux détracteurs qui disent que ces mesures transitoires ne règlent pas le fond du problème, le ministre Hamad répond du tac au tac : « On verra ça plus tard. Commençons par gérer la crise, poursuit-il. Mon mandat est d'atteindre un équilibre entre le principe d'équité et un triangle où chacun tire de son côté : les employeurs, les employés actifs et les retraités. »

Cotisations déterminées

À travers tous ces signaux mixtes sur l'économie (voir encadré sur les optimistes et les pessimistes ci-contre), les caisses de retraite ont accueilli avec enthousiasme les nouvelles mesures. Mais elles ne rêvent pas : si la déprime persiste, le projet de loi 1 ne suffira pas à tout régler à lui seul.

Pour leur part, les régimes à cotisations déterminées ne profitent pas de ces mesures. Dans ces régimes, la participation de l'employé (et de l'employeur, s'il y en a) est placée dans des fonds communs. La rente de retraite n'est pas garantie par les années de service. Elle dépend du rendement à long terme des fonds que le participant a choisis.

Par ailleurs, le gouvernement n'entend pas intervenir dans le domaine des régimes à cotisations déterminées, a précisé en entrevue le ministre Sam Hamad. « Ces régimes sont comme les REÉR collectifs. Tous ont perdu de l'argent mais nous ne pouvons pas payer pour tout le monde. Chacun doit prendre ses responsabilités. Nous avons déjà parlé de l'importance de l'information à donner au participant sur les choix qu'il doit faire, mais il n'est pas question de se mêler de la gestion de ces régimes. »

Mesures insuffisantes

Pour Robert Pouliot, de Morneau Sobeco, les mesures des gouvernements sont louables mais insuffisantes parce que temporaires. « Ils devraient reconnaître que ces modifications d'urgence répondent à un incendie mais ne rendent pas la maison invulnérable au feu », lance-t-il.

Selon lui, on doit soit réformer les régimes à prestations déterminées de façon durable, soit admettre que le balancier ira du côté des régimes à cotisations déterminées de façon irréversible.

M. Pouliot croit que le gouvernement devrait aussi prêter l'oreille à ce qu'il qualifie de « souffrance des employés qui participent à un régime à cotisations déterminées ».
Le fait que plusieurs employeurs aient migré en tout ou en partie vers les régimes à cotisations déterminées ces dernières années posera un problème supplémentaire aux investisseurs, croit pour sa part Sherry Cooper.

L'économiste en chef de BMO Marchés des capitaux estime que le fardeau de la récession se trouve ainsi transféré sur les épaules des ménages canadiens. « Ils doivent maintenant gérer leur patrimoine en plus de le constituer », a-t-elle expliqué lors de la conférence de l'Economic Club of Canada.

Conséquences d'un tel transfert en temps de récession? Le risque de voir toute une génération de retraités incapables de maintenir leur niveau de vie, ce qui entraînera un « problème politique et économique énorme », avertit-elle.

Parce que les régimes de retraite à cotisations déterminées ne sont pas plus épargnés que les caisses de retraite traditionnelles. À première vue, le fardeau des employeurs semble moins lourd puisqu'ils n'ont pas à apparier actif et passif, à se soumettre à des tests de solvabilité ou à financer un déficit à la hâte. C'est le participant qui est responsable de faire fructifier ses cotisations pour atteindre ses objectifs de retraite.

Or, ce sont les participants qui souffrent souligne Claude Leblanc, premier vice-président, régimes de retraite chez Standard Life. Les entreprises qui ont un régime à cotisations déterminées ne sont pas en danger, poursuit-il, mais la baisse des marchés provoque une prise de conscience douloureuse chez plusieurs de leurs participants.

Fini la retraite à 65 ans

Plusieurs investisseurs sont inquiets. « Pour ceux qui ont 35 ans, la baisse des marchés n'est pas un problème. Mais pour ceux qui ont 50-60 ans et qui ne semblent pas avoir compris le principe de répartition de l'actif, c'est une catastrophe », déplore M. Leblanc.

Évaluer

Chaque participant doit par ailleurs évaluer sa situation personnelle avant d'agir. Harmoniser paiements d'hypothèques avec objectifs de rendement personnels; actualiser le risque de ses placements. Souvent, il peut être opportun d'être plus agressif avec la portion de cotisation venant de l'employeur et plus conservateur avec la nôtre, conseille M. Leblanc. « Vérifiez aussi si vous pouvez vendre des actifs non enregistrés pour compenser les pertes avec des gains en capital. »

Mais avec une baisse d'une telle amplitude, il n'y a plus de théorie qui s'applique, admet-il. « Les gens sont affectés. Ils ont réalisé ce qu'est vraiment leur profil de risque. Personne ne peut vraiment savoir ce qu'est son profil de risque tant qu'il n'a pas subi une perte dans ses placements. »

Les émotions sont aussi à fleur de peau dans la population en général. « On entend souvent dire par les temps qui courent : je vais devoir prendre ma retraite 5 ans plus tard, dix ans plus tard, ou plus loin encore... Liberté 55 est devenue Liberté 75 pour plusieurs. C'est peut-être l'âge normal de la retraite qu'on est en train de redéfinir », s'interroge M. Leblanc.

L'épargne systématique demeure l'actif le plus important des investisseurs, même en temps de crise. C'est la pierre d'assise, ajoute-t-il. Ceux qui épargnent depuis longtemps n'ont perdu que les trois à quatre dernières années de gains.

Selon lui, la retraite à 65 ans est un idéal qui remonte à l'époque où l'espérance de vie était de 72 ans. Elle est maintenant de 80 ans, dit-il. Alors pourquoi ne travaillerait-on pas jusqu'à 70 ans? C'est un retour du balancier social, croit-il. Il existe déjà toute une économie sociale non comptabilisée chez les 65 ans et plus, par le bénévolat entre autres. Ces gens sont en pleine santé et peuvent contribuer à la société.