Les assureurs privés devraient couvrir les activités prescrites pour combattre la dépression, comme ils le font pour la médication. C’est l’avis clinique émis par un résident de troisième année en psychiatrie de l’Université d’Ottawa, le Dr Nicholas Fabiano

Dr Nicholas Fabiano

Décrit comme une « étoile montante » par la revue de neurosciences Brain Medicine, ce jeune médecin déjà très actif dans sa spécialité a été cité dans de nombreux médias, notamment par le Washington Post.

Dans un article paru dans le British Journal of Sports Medicine, intitulé Could not prescribing exercise for depression be psychiatric malpractice?, il soutient qu’il ne faut pas négliger l’activité physique pour traiter la dépression ; elle doit au contraire faire partie du traitement. Et il croit que ces programmes devraient être couverts par les assureurs privés. 

La dépression et son traitement 

Selon l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM), 14 % des Canadiens éprouveront un trouble dépressif majeur dans leur vie.

La dépression touche davantage les femmes que les hommes indiquent l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et plusieurs autres organismes. L’ACSM souligne toutefois que les hommes sont nettement moins susceptibles de demander du soutien en santé mentale ou d’obtenir une aide professionnelle. 

« La dépression affecte généralement plus les femmes que les hommes, mais aucun sexe ou groupe d’âge n’est à l’abri d’un épisode dépressif », rappelle d’ailleurs Manuvie. L’assureur souligne en outre que les troubles de santé mentale, notamment la dépression, sont une des causes principales de l’absentéisme au travail à travers le pays, « comptant pour plus du tiers des demandes de prestations d’invalidité de longue durée ». 

Les individus dépressifs présentent un risque accru de nombreuses maladies physiques et problèmes de santé, comme l’obésité, le diabète et l’hypertension artérielle, note le Dr Fabiano dans son article du British Journal of Sports Medicine, qu’il signe avec deux collègues chercheurs. 

Par ailleurs, la dépression augmente le risque de développer une maladie du cœur, explique l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, car elle perturbe la fonction immunitaire. L’OMS souligne aussi la relation entre la dépression et d’autres problèmes de santé, comme le cancer et les affections respiratoires. 

« Traditionnellement, les principaux traitements de la dépression reposent sur les antidépresseurs et la psychothérapie, résume le Dr Fabiano dans l'introduction de son article scientifique. Bien que ces approches soient efficaces dans certains cas, une proportion importante de la population — entre 30 % et 50 % — n’y répond pas. Par ailleurs, ces interventions ne ciblent pas les problèmes de santé physique et peuvent même, dans certains cas, les aggraver. » 

Des effets antidépresseurs comparables

Dans un échange écrit avec le Portail de l’assurance, le Dr Fabiano insiste sur les impacts positifs de la méthode qu’il préconise en psychiatrie. « L’exercice physique a des effets antidépresseurs similaires à ceux des traitements de première intention tels que les médicaments et la thérapie, affirme-t-il. Au-delà de la dépression, l’exercice physique présente de nombreux avantages pour la santé en général. » 

Dans son analyse publiée dans British Journal of Sports Medicine, il précise d’ailleurs que l’exercice physique est de plus en plus reconnu comme traitement de la dépression. Plusieurs lignes directrices en matière de santé dans le monde la recommandent, assure le chercheur.

« Au-delà de la réduction des symptômes dépressifs, l’activité physique s’avère efficace pour prévenir et gérer de nombreuses comorbidités physiques, lesquelles touchent de façon disproportionnée les personnes souffrant de dépression, explique-t-il. L’exercice a également montré un potentiel pour réduire les tentatives de suicide chez les personnes dépressives. » 

Paradoxalement, soulève l'article scientifique, 92 % des professionnels de la santé mentale interrogés lors d'un sondage ont déclaré n’avoir reçu aucune formation officielle sur la prescription d’exercices.

Malgré tous ses bénéfices sur le plan clinique, l’exercice physique est rarement prescrit ou privilégié en milieu psychiatrique, se désole le Dr Fabiano.

Un changement s’impose 

Dans son article, le chercheur soutient que les professionnels de la santé ont tort de négliger l’activité physique dans le cadre d’un traitement pour la dépression. Au contraire, elle doit plutôt faire partie intégrante du plan d’action. Un changement s’impose, selon lui. 

« Ignorer l’importance de l’activité physique comme traitement de la dépression n’est pas qu’une occasion manquée. C’est presque de la négligence », estime-t-il dans un communiqué publié par l’Université d’Ottawa.

« Les données issues de la recherche ne laissent planer aucun doute : l’activité physique aide réellement à soulager les symptômes de la dépression. Alors pourquoi est-il encore si rare que les psychiatres la prescrivent en complément d’un traitement médicamenteux ou d’une thérapie ? », s'y demande-t-il aussi. 

Le Dr Fabiano préconise que la prescription d’exercice dans le traitement de la dépression devienne aussi courante que celle des antidépresseurs. Ce qui ne veut pas dire de suggérer à tout le monde de faire une marche. Pour répondre aux besoins spécifiques des patients dépressifs, il suggère des plans d’exercices structurés et personnalisés qui suivent le principe F.I.T.T. (Fréquence, Intensité, Temps et Type). 

Il encourage donc les professionnels en santé mentale, et plus largement le milieu médical, à prendre l’activité physique au sérieux pour traiter la dépression. Il faut, presse-t-il dans le communiqué, « l’enseigner dans les facultés de médecine, l’inclure dans les lignes directrices cliniques et veiller à ce qu’elle soit couverte par les assurances ».

Il souhaite aussi que les médecins dirigent les patients vers des spécialistes de l’activité physique, et que des technologies, par exemple les moniteurs d’activité physique, soient intégrées aux suivis médicaux. 

« On n’a aucun problème à prescrire une pilule; alors pourquoi hésite-t-on à prescrire l’activité physique ? », se questionne-t-il. Selon le Dr Fabiano, l’exercice doit être abordé comme un élément central des soins de santé mentale, et non comme une solution complémentaire que les patients peuvent tenter ou non en fonction de leurs envies. 

Pour l'implication des assureurs 

Les compagnies d’assurance pourraient jouer un rôle très important dans cette stratégie, souligne le Dr Fabiano au Portail de l’assurance.

« Tout comme ils couvrent les coûts des médicaments et de la thérapie, ils devraient également couvrir les aspects facilitant l’exercice physique chez les personnes souffrant de dépression », dit-il. Il songe à la couverture des abonnements à des salles de sport, des gyms, des entraîneurs, entre autres options. 

« En couvrant les programmes d’exercice physique pour les personnes souffrant de dépression, les assureurs investissent dans la santé globale de leurs patients, affirme le chercheur. La dépression est associée à une multitude de troubles médicaux nécessitant des médicaments qui s’aggravent mutuellement s’ils ne sont pas bien contrôlés. L’exercice physique peut traiter les deux simultanément, tout en réduisant potentiellement les besoins en médicaments, tant du point de vue de la santé mentale que physique. »

 

[Avec la collaboration d'Amélie Cléroux.]