Des assureurs dénoncent un stratagème par lequel un tiers finance les primes d’un assuré et lui remet une somme forfaitaire en échange d’un prêt consenti à un taux d’intérêt souvent plus élevé que la moyenne. Le prêteur se rembourse au décès de l’assuré. Certains assureurs interdisent désormais à leurs conseillers de participer à cette pratique.

Selon ce stratagème, un preneur souscrit une police d’assurance et, quelques semaines après, l’assureur reçoit une demande de mise en gage du contrat au profit d’une firme de financement. Le preneur reçoit en contrepartie un prêt garanti par le capital assuré de la police, et la firme de financement devient le payeur des primes du contrat d’assurance. Le prêteur n’a aucun lien avec l’assuré.

Dans les notes internes dont le Journal de l’assurance a obtenu copie, les assureurs Financière Manuvie, Financière Sun Life, Industrielle Alliance et La Capitale, ainsi que les agents généraux BridgeForce et PPI Solutions, dénoncent cette pratique. Les assureurs disent qu’ils n’accepteront pas de produire des polices destinées à cet usage. La Capitale, Industrielle Alliance et PPI menacent d’annuler le contrat de distribution d’un conseiller qui aurait participé au stratagème. Manuvie demandera à son service de conformité d’enquêter sur tout conseiller soupçonné de s’être prêté à cette pratique. Enfin, Sun Life demande à ses conseillers d’obtenir un avis juridique avant d’aller de l’avant en ce sens avec une autre compagnie.

Prêt sans recours

Ce prêt consenti à l’assuré, et dont les primes sont payées par le prêteur, est ce que plusieurs nomment prêt sans recours ou financement des primes sans recours. Si le montant du prêt excède la prestation de décès, le bénéficiaire ne touche rien. Dans la situation inverse, la firme ne peut exiger le solde du prêt. Toute l’opération a pour unique valeur la vie de l’assuré. « Le prêt et les primes payées constituent un prêt portant intérêt à un taux pouvant atteindre 12 % par année, qui sera remboursé à même le capital-décès; tout excédent, s’il en est, sera versé au bénéficiaire désigné », indique l’avis de l’Industrielle Alliance.

Dans son avis, PPI Solutions observe que la police type achetée à une fin de financement des primes affiche un capital assuré qui oscille entre 500 000 $ et un million de dollars (M$). « Au décès, toutes les primes payées par la compagnie plus le prêt de 25 000 $ ou 50 000 $ et les intérêts capitalisés sont déduits de la prestation de décès », écrit PPI en signalant que ces prêts sans recours sont consentis à des taux d’intérêt déraisonnablement hauts. La Capitale observe, pour sa part, que les polices achetées à cette fin sont souvent des contrats d’assurance temporaire 100 ans (T100).

Les dénonciateurs du financement des primes estiment que le stratagème contrevient au principe de l’assurance vie en permettant qu’un tiers sans intérêt assurable devienne propriétaire de la police de l’assuré. Dans son avis, PPI Solutions assimile le stratagème à un potentiel de life settlement scheme (règlements d’assurance viatique).

La vice-présidente et tarificatrice en chef, services aux particuliers et marchés des groupes à affinités de Manuvie, Karen Cutler, observe que ce stratagème est présenté aux consommateurs comme l’occasion de se procurer une police gratuite. Selon son avis, le principe de l’assurance veut qu’un preneur soit en mesure de payer ses primes.

« Il n’est pas logique d’emprunter des fonds dans le but précis de payer les primes d’un contrat d’assurance souscrit pour des besoins de protection pure. Le titulaire du contrat devrait disposer des ressources nécessaires pour souscrire celui-ci, selon le revenu qu’il gagne, et le capital assuré demandé doit être raisonnable », indique-t-elle.

Nouveau phénomène

Plusieurs assureurs mentionnent dans leur avis qu’il s’agit d’un phénomène récent. Le vice-président à l’administration et aux relations avec la clientèle de La Capitale, Christian Dufour, le confirme.

« Le stratagème s’est répandu cet été, surtout hors Québec, toujours en provenance de la même firme et des mêmes quatre ou cinq conseillers. Nous produisions des polices et, peu après, elles étaient mises en gage auprès de cette firme », a-t-il révélé en entrevue avec le Journal de l’assurance.

Il dit avoir travaillé sur ce dossier en collaboration avec son contentieux pour savoir si cette pratique est légale. « C’est tout à fait légal, mais ce n’est ni une pratique saine ni une pratique rentable. Nous sommes quelques compagnies à avoir convenu de modifier nos propositions d’assurance en conséquence. Si votre intention en souscrivant une assurance est de la mettre en gage d’un prêt offert en garantie dans les deux à trois prochaines années, par exemple, nous pourrions refuser de délivrer la police », prévient M. Dufour.

La pratique n’est pas rentable pour l’assureur puisqu’elle fausse ses hypothèses actuarielles. Elle maintient assurées des personnes qui n’auraient peut-être pas les moyens de payer les primes de leur police. « Ces assurés n’auront aucun intérêt à annuler leur police, car les primes sont payées, et ils reçoivent en plus un montant d’argent », explique M. Dufour.

Selon lui, les firmes de financement ont su tirer parti de l’écart entre la valeur actuarielle d’une police et sa valeur de rachat, moins élevée. « Si la valeur de rachat de votre police est de 20 000 $ et qu’une firme de financement vous en propose 60 000 $, vous venez de faire 40 000 $ », illustre M. Dufour. La valeur actuarielle repose, en gros, sur les réserves mises de côté par l’assureur, dit-il. Cette réserve augmente avec l’âge. Même si elle n’a pas de valeur de rachat, une T100 d’un million de dollars émise pour un assuré à 40 ans aura une grande valeur si celui-ci atteint 90 ans.