Des conseillers effectuent un virage vers la gestion à honoraires, sans abandonner les commissions. Plusieurs axent leur pratique sur les fonds de série F pour la clientèle fortunée. D’autres solutions à frais réduits leur permettent de servir les petits investisseurs.
La lutte entre les différents réseaux de distribution est féroce pour le contrôle des 4,1 billions de dollars d’argent des Canadiens, selon les statistiques compilées par Strategic Insight. Le monde bancaire pèse lourd, accaparant 1 444 milliards de dollars (G$) de l’argent en circulation au Canada. Les courtiers en valeurs mobilières de plein exercice en ont 1 128 G$. La part des conseillers financiers s’établit à 501 G$.
Les conseillers indépendants en fonds communs tentent de se démarquer face aux banques, dans un monde de divulgation des frais… et bientôt sans commissions. Ils se tournent vers des produits à honoraires, dont les fonds de série F. L’enjeu est de taille. Selon les plus récentes statistiques de l’Institut des fonds d’investissement du Canada et du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ), l’actif des fonds communs a atteint 1 339 milliards de dollars (G$) au Canada au 31 décembre 2016, dont 244,7 G$ au Québec.
La sensibilité monte d’un cran
Avec les relevés détaillés sur les frais et les rendements qui circulent depuis le début de l’année en raison du nouveau modèle de relation client-conseiller (MRCC2), la sensibilité aux frais monte d’un cran. Conseillers et clients parleront de plus en plus du cout des produits d’investissement par rapport à leur valeur ajoutée, observe Benjamin Reed-Hurwitz, consultant associé et analyste principal de Strategic Insight. Les fonds communs pourront se distinguer aux yeux de l’investisseur qui prête une valeur au fait de pouvoir bénéficier de la touche personnelle d’un gestionnaire de placement, croit-il. Chaque composante du cout sera selon lui scrutée à la loupe, pour tous les produits.
Les fonds communs de série F en bénéficient. Cette catégorie de fonds permet au conseiller de négocier les frais de gestion avec son client, selon l’actif qu’il gère pour lui. Le client lui paiera directement ces frais. Le cout de l’investissement devient alors transparent, plutôt que d’être intégré dans le ratio des frais de gestion (RFG). De plus, le manufacturier du fonds ne paie aucune commission au conseiller, ce qui permet de maintenir un RFG inférieur à celui d’un fonds avec commission intégrée.
Les effets de la pression règlementaire
La pression règlementaire qui ravive la discussion autour des frais produit son effet. Des manufacturiers réduisent leurs frais des fonds de série F. Parmi d’autres, SEI Canada l’a fait pour 23 fonds de série F.
Le profil des ventes de fonds communs se redessine pour plusieurs, notamment pour Invesco Canada, relate son vice-président et directeur régional des ventes Alain Huard. « Nos ventes des fonds de série F ont fortement augmenté, autant dans le réseau des courtiers en valeurs mobilières de plein exercice que dans celui des planificateurs financiers et des représentants en épargne collective. Nous vendons de moins en moins de fonds avec frais de sortie. Ces fonds sont devenus une portion minime de nos ventes totales. Par contre, les fonds sans frais en demeurent une bonne portion », a-t-il confié au Journal de l’assurance.
Des joueurs à cheval entre le réseau indépendant et le réseau bancaire vivent aussi cette tendance. Alors que les fonds de série F de BMO Gestion mondiale d’actifs ne constituaient que 19 % de toutes ses ventes de fonds de série conseiller au 31 octobre 2014, ils comptaient pour 51 % de celles-ci au 31 octobre 2017, a révélé Léon Garneau Jackson, vice-président, ventes, Est du Canada pour le manufacturier. « Toute l’industrie vit à peu près le même phénomène », ajoute-t-il.
Montée des fonds à frais réduits
Les fonds traditionnels de BMO maintiennent leurs marques malgré la montée fulgurante au sein de l’institution d’une autre solution à frais réduits : les fonds négociés en bourse (FNB). « Nous avons connu une année record en ventes de FNB. Les ventes de fonds communs et de fonds distincts ont aussi connu une très bonne année », dit M. Jackson.
BMO observe aussi une décroissance des produits à frais de sortie. « Ils représentent maintenant moins de 5 % de nos ventes », a révélé M. Jackson. Selon ses statistiques, ces fonds compteraient en moyenne pour 2 % des ventes de l’industrie des fonds communs.
« Avec MRCC2, les conseillers ont réalisé qu’ils devaient se montrer les plus transparents possible dans leur rémunération. Aussi, les gens craignent ce qu’il pourrait advenir des commissions de suivi, alors qu’on a beaucoup parlé de leur abolition dans les dernières années », explique M. Jackson.
Il signale que plusieurs conseillers ont alors décidé de convertir leur pratique vers la gestion à honoraires. Selon lui, les fonds de série F se prêtent bien à ce modèle, tant pour les conseillers en placements (de plein exercice) que les représentants en épargne collective.
« Pas la folie furieuse » pour les fonds de série F
Vice-président administration, investissement de Groupe Cloutier Investissements, François Bruneau observe aussi la tendance des fonds à frais réduits, mais dans une moindre mesure en ce qui touche les fonds de série F. « Nous dénotons une demande pour la création de comptes de gestion à honoraires par l’entremise de fonds de série F. ce n’est pas la folie furieuse. Ces fonds demeurent relativement peu utilisés par nos conseillers », dit-il.
Cela pourrait changer. Les fonds de série F se démocratisent. « Les fonds de série F étaient auparavant strictement offerts dans le cadre de comptes nominés (nominee accounts), explique M. Bruneau. Les manufacturiers veulent maintenant mousser les fonds de série F dans des réseaux comme le nôtre. Ils offrent de s’occuper de la facturation, ce qui réduit la nécessité d’établir un compte nominé ».
Dans le compte nominé, c’est le cabinet de courtage qui détient et enregistre en son nom les valeurs des clients, non le manufacturier du produit. Par exemple, des actions, des FNB ou des fonds communs de série F pourront être gardés dans le compte du client, qui en devient le bénéficiaire. Le cabinet facilite les transactions et s’occupe de la facturation. Or, la structure de compte nominé n’est pas à la portée de tous les cabinets, explique M. Bruneau. Elle commande par exemple d’offrir des services fiduciaires.
Meilleure accessibilité
« C’était moins accessible pour les petits joueurs parce que le compte nominé exige de retenir les services d’un fiduciaire, dit M. Bruneau. Les fiduciaires qui se spécialisent dans les réseaux dont l’actif est plus modeste ne courent pas les rues. »
Dans les dernières années, Groupe Cloutier Investissement a en revanche observé une forte croissance des produits de gestion privée des manufacturiers. « Avant, il était difficile de se battre contre les grandes institutions. Or, les produits tarifés à honoraires peuvent s’adresser à une clientèle dont les actifs oscilleront par exemple entre 500 000 $ et 750 000 $, un segment souvent délaissé par les grands courtiers en valeurs mobilières de plein exercice. Ce créneau est maintenant devenu une grosse majorité des dépôts que nous recevons », signale François Bruneau.
Président et fondateur de De Champlain Groupe financier, Sylvain De Champlain est convaincu des avantages des fonds de série F. Ces fonds lui permettent en fait d’amorcer un virage vers la gestion à honoraires. « Nous effectuons ce virage depuis huit mois. À ce jour, 45 % de mes affaires sont passées à la gestion à honoraires. Je vise à ce que d’ici le printemps, tous mes clients aient un compte à honoraires », a-t-il révélé.
Souci de transparence et d’équité
Exacerbé par MRCC2, un souci de transparence a motivé ce changement de cap, et aussi un souci d’équité envers les clients, explique M. De Champlain. Selon lui, le ratio des frais de gestion (RFG) approximatif d’un portefeuille équilibré diversifié est de 2,3 %, peu importe le montant des actifs. Il utilise ce ratio pour comparer la formule traditionnelle à ses fonds à honoraires. « Dans la formule à honoraires, plus les actifs sont élevés, plus les frais de gestion sont bas, alors que les 2,3 % du fonds diversifié traditionnel ne changent jamais, dans la rémunération à commission ».
En fonds de série F, 1,15 % des 2,3 % échoira à la compagnie de fonds, qui s’en servira pour payer entre autres les frais de gestion. Le conseiller facturera de son côté des honoraires de 1,15 %. « Ils sont prélevés par mon courtier en épargne collective, Investia Services financiers, qui en gardera 0,2 %, alors que 0,95 % me reviendra », précise le conseiller.
Or, il lui apparait injuste et illogique de facturer les mêmes frais pour un client qui a un actif d’un million de dollars et l’autre qui en a pour 500 000 $. « Parce que je ne travaille pas plus fort pour l’un que pour l’autre », lance-t-il. Dans un exemple d’échelle d’honoraires selon l’actif, M. De Champlain illustre comment son modèle fondé sur les fonds de série F permet une meilleure équité.
« Pour un client dont l’actif s’établit à 500 000 $, les frais totaux seront plutôt de 2,1 %. Le manufacturier retiendra 1,1 %, et le courtier 1 %. Par rapport à la formule traditionnelle avec commissions intégrées, mon client de série F économise environ 1 000 $ par an, soit 0,2 % de son actif de 500 000 $, explique-t-il. Dans le modèle avec la commission intégrée au RFG, tout se paie automatiquement et ce n’est pas transparent. Dans la formule à honoraires, la part de la compagnie et celle du courtier sont séparées. Le courtier veille lui-même à se faire payer. Le RFG total devient moins cher. » M. De Champlain reconnait toutefois que la formule à honoraires coutera plus cher que la moyenne pour les investisseurs dont l’actif est inférieur à 100 000 $.
Le meilleur des deux mondes
Services financiers Eric F. Gosselin recherche, pour sa part, le meilleur des deux mondes. Son site Web, Finances-Etc.com, annonce que les clients peuvent choisir entre gestion régulière et à honoraires. « Je travaille avec des fonds de série F pour les clients les plus fortunés et avec des fonds sans frais pour les plus petits clients. J’ai cessé de vendre des fonds avec frais de sortie il y a cinq ou six ans », souligne son président Eric F. Gosselin.
Dans son mémoire présenté en juin 2017 aux Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), en réponse à la consultation sur l’option d’abandonner les commissions (81-408), M. Gosselin recommande d’ailleurs d’abolir les frais de rachat. Il recommande aussi de transformer les commissions de suivi en honoraires de service uniformes, ce qui éliminerait selon lui l’apparence de conflits d’intérêts.
Il prône toutefois le maintien des fonds à frais réduits. Il suffirait selon M. Gosselin de réglementer la période de rachat et d’en encadrer l’usage auprès des investisseurs plus vulnérables. En entrevue, il a décrit ces investisseurs comme « les jeunes qui n’ont pas encore acheté une maison ou les clients de plus de 70 ans ».
Il ajoute que ce type de commissions aidera les recrues à s’établir. « Si nous abolissions toute commission, nous nous retrouverions avec une absence de relève et la possibilité de petits investisseurs sans conseils. Alors que de leur côté, les institutions financières ont des conflits d’intérêts mur à mur avec leurs produits maison », a tranché le conseiller, qui gère un actif de 115 M$ en fonds d’investissement, pour quelque 400 familles.