Le premier ministre François Legault a récemment annoncé près de 70 millions de dollars pour lutter contre l’érosion et la submersion côtières dans l’est de la province.

Le Bas-du-Fleuve, la Gaspésie-les-Îles-de-la-Madeleine et la Côte-Nord forment probablement les régions les plus menacées par les changements climatiques au Québec. Cette aide financière ne représente qu’une partie des investissements que devra faire le gouvernement dans ces secteurs menacés.

Si rien n’était fait pour prévenir ou réduire ces risques, des milliers de résidences seraient menacées au cours des prochaines années ou des prochaines décennies par la montée des eaux et les tempêtes violentes dans ces territoires.

Alors que le centre et l’ouest de la province se rappellent encore les fortes inondations printanières de 2017 et 2019, l’est du Québec a toujours en mémoire les événements du 6 décembre 2010. Des orages d’une extrême violence avaient entraîné 250 évacuations et fait 800 sinistrés.

Certaines municipalités ont connu des reculs de 12 à 15 mètres dans certains secteurs. À Sainte-Luce et Sainte-Flavie, respectivement 72 % et 76 % des propriétés en bord de mer avaient été touchées. Au total, à la suite de cette tempête historique, 65 maisons ont dû être démolies et une quinzaine d’autres ont été relocalisées dans des zones sûres. 

Des scénarios catastrophes de cette ampleur sont encore peu fréquents, mais le phénomène du rétrécissement des berges du Saint-Laurent n’a jamais cessé dans cette région de la province. « L’érosion touche l’ensemble de la côte gaspésienne. Certaines parties de routes et maisons sont effectivement à risques », dit Dany Voyer, géographe et aménagiste à la Municipalité régionale de comté (MRC) de Bonaventure.

De l’autre côté de la péninsule, le préfet de la MRC de la Haute-Gaspésie, Guy Bernatchez, est particulièrement inquiet pour la route 132 qui longe le fleuve, notamment entre La Martre et Marsoui où la chaussée est parfois très endommagée par les fortes tempêtes. La route 132 est la voie terrestre qui relie la Gaspésie au reste de la province, a-t-il rappelé au Portail de l’assurance, et à certains endroits, il serait très difficile de lui faire franchir les hautes montagnes.

67 M$ pour six projets 

Après analyse de plus d’une centaine de sites potentiels d’intervention dans l’estuaire et le golfe Saint-Laurent, les secteurs avec les niveaux de risque les plus élevés ont été priorisés par le ministère de la Sécurité publique (MSP) pour une intervention à court terme. Ces zones correspondent aux secteurs côtiers les plus habités où les bâtiments, les routes et les infrastructures sont fortement exposés à l’érosion et à la submersion côtières.

Les conséquences possibles des changements climatiques dans ces régions, décrit-on, sont l’atteinte des résidences, des bâtiments et des infrastructures par le déferlement des vagues causant l’érosion et la submersion côtières de même que la projection de débris de grosseurs variées qui pourraient provoquer des dommages majeurs et possiblement des blessures aux occupants des bâtiments. 

Les 67,4 M$ dévoilés par Québec au début du mois de mars seront engagés dans le renforcement de six secteurs jugés particulièrement exposés. Une première tranche de 9,4 M$ sera consacrée à la protection d’infrastructures et de biens menacés à Notre-Dame-du-Portage, une municipalité de villégiature qui s’étire le long du Saint-Laurent à quelques kilomètres à l’ouest de Rivière-du-Loup.

Quels sont les cinq autres secteurs considérés à risques qui bénéficieront du reste de l’enveloppe de 67 millions ? Le MSP refuse pour l’instant de divulguer la liste de ces lieux. 

Les solutions envisagées par Québec 

De multiples solutions sont déjà sur la table à Québec pour faire face aux dommages appréhendés : le déplacement de résidences trop près de l’eau, le rechargement de plage, la construction d’épis rocheux, la construction de brise-lames afin de protéger les berges et les maisons ou des travaux de « riprap », lesquels se situent entre une recharge de plage et un enrochement.

La réalisation des travaux dans les six premiers secteurs dépendra de la solution retenue. On souhaite qu’ils soient terminés d’ici mars 2027, soit dans quatre ans. Pour l’instant, dit-on au MSP, aucune maison susceptible de délocalisation n’a encore été identifiée. Cette lenteur lui est reprochée par les milieux concernés. 

Sur un pied de guerre 

Dans l’est de la province, les gens sont pleinement conscients de la menace que fait poser le réchauffement climatique sur leur territoire et ils sont sur un pied de guerre depuis plusieurs années en vue d’y faire face.

Le Laboratoire de dynamique et de gestion intégrée des zones côtières de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) a mis en œuvre un projet de recherche et action dont l’objectif principal est de réduire la vulnérabilité des communautés et des écosystèmes côtiers à l’érosion côtière. Il couvre 123 municipalités exposées et dix communautés autochtones.

Ses travaux ont abouti au dépôt d’un vaste rapport, Projet résilience côtière, qui a été produit sous la direction du responsable de la Chaire de recherche en géoscience côtière de l’UQAR, Pascal Bernatchez. Le Laboratoire se livre à de nombreuses recherches et publie un bulletin, La zone côtière, qui aborde plusieurs aspects de la situation. Un indice de vulnérabilité a été développé et appliqué sur 8 sites couvrant un total de 171 km de côtes afin de cibler les zones les plus vulnérables actuellement et d’ici 50 ans.

Hausse du niveau de la mer 

Les changements climatiques, explique-t-on dans le rapport, entraînent une réduction du couvert de glace et une hausse du niveau de la mer qui auront pour effet d’accentuer l’érosion et d’étendre les zones affectées. La tendance du niveau marin est en augmentation pour l’ensemble des stations marégraphiques du Québec maritime depuis la fin des années 1990 et l’accélération de la hausse est même plus importante que la moyenne mondiale dans le sud du golfe. Parallèlement, on observe une densification urbaine et le développement de nouveaux quartiers le long du littoral, lesquels risquent de se retrouver en danger. 

Le portrait qu’ont réalisé les chercheurs montre la très grande vulnérabilité de ces territoires aux changements climatiques. « On compte 2 387 bâtiments exposés auxquels s’ajoutent 1 301 bâtiments entre 2020 et 2099 seulement pour les régions du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie-les-Îles-de-la-Madeleine et de la Côte-Nord », écrit-on. En outre, 114 km de tronçons de route et 32 km de voies ferrées sont exposés. 

Dans la MRC de La Matanie, cite Laurie Deslauriers-Leblanc dans son mémoire de maîtrise à l’UQAR, les dommages pourraient toucher 186 bâtiments résidentiels, industriels, commerciaux et de services d’ici 2065 si aucune intervention n’est effectuée. Dans la MRC d’Avignon, ce sont 307 unités qui risquent d’être affectées.

Dans le bulletin no 3 de La Zone côtière, on décrit le cas d’un résident de Rivière-Saint-Jean, en Minganie, qui a assisté à des reculs de 90 mètres de son terrain en 15 à 20 ans.

Relocalisation ou rénovation ? 

Au total, 392 événements climatiques d’importance ont été recensés entre 1880 et 2010 dans ces territoires et avec les changements climatiques, ils devraient augmenter au cours des prochaines années et des prochaines décennies. Que peuvent faire les résidents pour protéger leurs propriétés ?

Pour des élus municipaux consultés par l’étudiante à la maîtrise, la relocalisation apparaît comme l’ultime solution dans une optique de prévention. Cependant, des gens interrogés reprochent la stratégie du ministère des Transports du Québec qui attend trop, selon eux, pour signifier aux résidents que leur maison est en danger et que seuls les propriétaires de résidences côtières en risque imminent peuvent être indemnisés. Un sondage a révélé que la rénovation des bâtiments pour les adapter aux impacts potentiels des risques côtiers est jugée très ou extrêmement importante par 59 % des résidents côtiers de l’est du Québec.

L’assurabilité́ des biens en zones côtières  

L’assurabilité́ des biens est une autre façon d’adapter les communautés côtières et peut être étroitement liée à la relocalisation, indique Laurie Deslauriers-Leblanc. La littérature est mince en ce qui a trait à l’indemnisation des biens en zones d’érosion et plus étoffée pour le risque d’inondations. Actuellement, les fonds proviennent en grande partie du gouvernement du Canada.

La chercheuse souligne que ce type d’indemnisation gouvernementale peut avoir un effet pervers parce que les propriétaires à risques savent que l’État sera là pour assurer une partie des dommages matériels. Cela peut les inciter à ne pas adapter leur domicile aux sinistres potentiels et plutôt attendre à ce que l’État arrive en renfort, comme cela a été le cas dans d’autres régions. 

Pour remédier au problème, des experts cités dans le mémoire de l’étudiante ont déjà suggéré que les assurances habitation imposent des primes qui reflètent le risque d’inondations. Ainsi, les propriétaires seraient indirectement encouragés à réduire l’impact probable des risques en construisant des infrastructures résistantes ou en construisant dans des zones hors risque.

Selon Sandlik et al. (2010), cités par Mme Deslauriers-Leblanc, l’assurance pourrait être prohibée lorsque le risque serait trop grand. Les propriétaires qui voudraient construire dans ces « zones noires » n’auraient aucune couverture par les assureurs privés et ne recevraient pas de dédommagement de l’État. 

Le consortium Ouranos tient un webinaire sur les enjeux d’adaptation aux changements climatiques dans l’estuaire et le golfe Saint-Laurent le 5 avril prochain.