La hausse constante des couts de l'assurance santé met énormément de pression sur les gestionnaires de régimes collectifs. Les employeurs constatent que bien des employés ne suivent même pas le traitement qui leur est prescrit.Les assureurs qui seront les premiers à élaborer des outils pour augmenter l'adhésion au traitement deviendront des chefs de file du marché, confirment des intervenants du secteur interrogés par le Journal de l'assurance.

De nombreux assureurs ont décliné les demandes d'entrevue faites par le Journal de l'assurance pour discuter du problème de l'adhésion au traitement. L'un des rares à avoir accepté de le commenter est Pierre Marion, directeur principal ventes et relations avec la clientèle à la Croix Bleue Medavie. Les employeurs sont encore peu nombreux à s'inquiéter du problème de l'adhésion au traitement, dit-il. Il estime toutefois que l'industrie de l'assurance doit se montrer prête à proposer des solutions lorsque ses clients réclameront de mieux contrôler les couts de l'assurance santé.

Pression des employeurs
« Les employeurs mettent de la pression pour que l'on améliore la gestion des régimes d'assurance collective, et pas seulement pour en réduire les bénéfices, mais surtout pour assurer la pérennité des régimes à long terme. Ils veulent faire en sorte que ce qu'ils offrent aux employés maintenant, ils pourront encore l'offrir dans 10 ou 15 ans », dit-il.

Trouver des solutions à ce problème signifie le changement des modes de gestion des régimes collectifs, « ce qui va dans le sens contraire de ce que l'on connait. Mais l'idée fait son chemin », dit-il. M. Marion s'attend à ce que d'ici trois à cinq ans, outre la gestion des médicaments d'exception déjà faite par les assureurs, ces derniers offrent des outils à leurs clients pour mieux gérer leur régime collectif.

L'objectif est de s'assurer que tout le monde a accès au meilleur traitement possible au meilleur cout possible, poursuit-il. « Cela comprend de suivre les conseils des spécialistes et d'adhérer au traitement qu'ils proposent. »

Cette responsabilité est collective, tant de la part du patient, qui doit accepter de se soigner, que du côté du médecin et du pharmacien, lesquels doivent s'assurer que le traitement prescrit est suivi. Si tous ces gens exécutent leur tâche, l'employeur qui paie la note ne devrait pas avoir besoin d'intervenir, indique-t-il.

Toutefois, ces responsabilités ne sont pas assumées dans la réalité et il est temps d'agir, estime Johanne Brosseau, conseillère principale en gestion de la santé au Groupe Aon conseil à Montréal. Chef du remboursement au Québec chez la société pharmaceutique Merck Frosst, Louis Rhéaume est aussi de cet avis. Merck Frosst et d'autres géants de l'industrie pharmaceutique, comme Pfizer et Sanofi-Aventis, financent les travaux de recherche de l'Université Laval et de l'Université de Montréal sur l'adhésion au traitement.

« C'est bien de faire de la prévention. Il faut dire aux gens de faire attention à leur santé, de mieux manger, d'avoir des habitudes plus saines, mais ça ne suffit pas toujours. S'ils sont malades, ils doivent se soigner, et si ça comprend la médication, il faut les prendre, les pilules! », dit M. Rhéaume.

Selon lui, l'une des raisons qui explique cette situation vient du fait que les professionnels de la santé n'ont pas le temps de parler aux patients. Ensuite, dès que les patients se sentent un peu mieux, ils décident d'interrompre leur traitement. « Il est nécessaire que tous les partenaires du secteur privé s'entendent pour trouver des solutions et ne pas attendre après le gouvernement, car ça va prendre 20 ans », ajoute M. Rhéaume.

 

Deux bombes à retardement : les médicaments d’exception et les grands réclamants
Deux bombes à retardement guettent les régimes d’assurance collective au Québec : les médicaments d’exception et les grands réclamants.

 

Johanne Brosseau, de la firme Aon, soulève le problème des médicaments d’exception. Au Québec, c’est le gouvernement qui détermine quels sont les médicaments qui sont inscrits dans le Régime général d’assurance médicaments (RGAM), incluant certains médicaments très couteux. Les assureurs privés n’ont pas le choix de les rembourser.

Dans les autres provinces, ce sont les contribuables qui assument la facture des médicaments les plus couteux. Au Québec, les assureurs privés paient la moitié de la facture sans avoir rien à dire, souligne-t-elle. « Pendant combien de temps le Québec peut-il obliger les employeurs à rembourser du Remodulin (pour traiter l’hypertension artérielle) à 380 000 $ par année ? »

L’autre problème qui persiste est la part de plus en plus grande prise par les grands réclamants dans le cout des régimes. « Quand je fais le tour des grandes entreprises, dit Mme Brosseau, les gens sont toujours surpris quand je leur montre nos données. Des demandes de remboursement pour des médicaments qui coutent plusieurs milliers de dollars, j’en vois passer toutes les semaines. »

Pierre Marion, de la Croix-Bleue Medavie, confirme l’évaluation faite par Johanne Brosseau sur la proportion des grands réclamants. « Chez les assureurs privés, on constate que 20 % des réclamants représentent 80 % des couts de l’assurance santé. C’est pour ça que l’ensemble de l’industrie a créé une société de mutualisation, pour partager les risques associés à ces maladies et éviter de nuire à l’expérience d’un petit groupe d’employés assurés », dit-il.

Mais le cout des primes liées à la mutualisation grimpe de manière exponentielle, ajoute Mme Brosseau, et les employeurs rechignent. Cela ajoute de la pression sur la pérennité des régimes privés, dit-elle, car les employés aussi finiront par protester. Le gouvernement ne devrait pas attendre que 10 % des assurés représentent 90 % des couts pour agir, insiste-t-elle.

 

La part des employés
Johanne Brosseau souligne que trop de salariés se montrent indifférents à cette situation. Pour eux, l'employeur paie le régime et l'assureur rembourse les médicaments. « Pourtant, au Québec, la part de l'employeur est un avantage imposable », rappelle-t-elle.

Les régimes collectifs offerts aux employés, incluant l'assurance santé, font partie des avantages sociaux qui permettent aux employeurs de recruter et de retenir des employés, souligne-t-elle. Toutefois, les couts de ces régimes augmentent en moyenne de 10 % par année. De plus, 95 % de l'augmentation est attribuable à l'assurance santé et principalement au cout des médicaments. Les médicaments représentent selon elle 70 % du cout des régimes collectifs.

De son côté, Pierre Marion rappelle que la tendance à la hausse du cout des médicaments a été moins forte ces dernières années, soit entre 5 % et 10 %, alors que des augmentations annuelles de 15 % étaient fréquentes il y a peu de temps. Le phénomène est attribuable au plus petit nombre de nouveaux médicaments qui sont mis en marché. Il observe toutefois que les couts augmentent plus vite du côté des services paramédicaux.

Johanne Brosseau fait le tour des entreprises clientes d'Aon pour rappeler aux salariés qu'ils peuvent contribuer à réduire cette augmentation constante du cout des régimes. « Je pense qu'il faut leur rappeler qu'ils sont responsables de faire attention à leur santé », dit-elle. Dans les cas où la médication est requise, on arrive à réduire les frais du régime en encourageant l'achat des médicaments génériques lorsqu'ils existent.

Économie de 10 %
Chacune de ces visites en entreprise génère en moyenne une économie de 10 % l'année suivante. Et cette économie n'est pas accessible qu'aux grandes entreprises, précise-t-elle. Un membre de son équipe vient de le faire pour une entreprise de 125 employés. « C'est un programme clé en main : intervention, clinique, dépistage. Quand on sonde le personnel, les employeurs qui donnent accès à ce genre de régime sont très bien perçus », dit-elle.

Mieux gérer l'absentéisme (ou le présentéisme) permet de détecter tout problème de santé à temps, de manière à éviter ainsi qu'il empire et devienne plus difficile à gérer, souligne Pierre Marion. « Il ne faut pas oublier, précise-t-il, qu'il y a de plus en plus de gens qui doivent s'absenter du travail non pas pour eux-mêmes, mais pour s'occuper de l'un de leurs proches. »

Johanne Brosseau estime qu'il est dans l'intérêt des assureurs d'offrir de nouveaux produits d'assurance santé qui comblent les besoins exprimés par les employeurs. « Pour servir le premier client, le fournisseur trouve toujours que c'est du trouble. Mais quand le système sera rodé, l'assureur fera des affaires d'or, car les employeurs leur seront attachés pour longtemps! »