Le système d’immigration ne répond pas aux besoins des propriétaires de PME confrontés avec des problèmes de relève et de pénurie de main-d’œuvre, selon un rapport de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). La lourdeur du système est dénoncée, tout comme les incohérences de certaines règles.

La FCEI déplore particulièrement le décalage entre les emplois à pourvoir dans les entreprises et les niveaux de compétences des immigrants auxquels le gouvernement donne la priorité. « Notre système d’immigration ne permet pas aux propriétaires de PME d’avoir accès facilement aux travailleurs immigrants », souligne Jasmin Guénette, vice-président des affaires nationales de la FCEI.

La FCEI déplore le caractère couteux et complexe des formalités administratives en particulier lorsque les employeurs passent par le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET). Elle ajoute que ceux-ci, une fois bien intégrés et établis dans leur communauté et leur milieu de travail, ont peu de chance d’obtenir la résidence permanente si leur niveau de compétences est peu élevé.

Les employeurs doivent remplir quantité de formulaires compliqués, payer des frais non remboursables et patienter entre 6 et 12 mois, parfois plus longtemps, pour obtenir l’approbation requise afin de procéder à une embauche. Lorsque les propriétaires de PME se résignent à utiliser le système d’immigration, « c’est qu’ils ont exploité tous les moyens possibles pour pourvoir leurs postes vacants », précise François Vincent, vice-président de la FCEI au Québec.

Dans le cadre du sondage sur lequel le rapport est basé, près des trois quarts des commentaires reçus de la part des propriétaires de PME étaient négatifs pour ce qui est de leur expérience avec le gouvernement. La longueur du délai entre le dépôt de la demande et le premier jour du travail de l’employé est l’aspect qui reçoit le plus de critiques négatives.

Un ébéniste du Québec fait notamment part de son expérience. « Nous avons actuellement quatre travailleurs étrangers temporaires et ils font du bon travail. Nous en attendons trois autres, mais les délais plus longs. Ils devaient arriver en novembre 2018 », souligne cet employeur, mais huit mois plus tard, leur date d’arrivée était toujours inconnue.

Trois sur quatre

Le rapport a été produit par Emilie Hayes, analyste principale des politiques pour la Fédération à Ottawa. Il a été produit à la suite d’un sondage en ligne mené par la FCEI du 13 au 27 juin 2019, auquel 5 525 membres ont participé. La marge d’erreur pour un échantillon de cette taille est de 1,3 %, 19 fois sur 20.

Au troisième trimestre de 2019, le taux de postes vacants est demeuré élevé, à 3,2 %, ce qui représente environ 433 000 postes du secteur privé partout au Canada. Plus de trois propriétaires de PME sur quatre (76 %) disent avoir vécu des difficultés à embaucher des nouveaux employés au cours des cinq dernières années.

Parmi ce groupe d’entrepreneurs ayant vécu des problèmes de recrutement, 43 % disent être confrontés à la fois à la pénurie de main-d’œuvre et à la pénurie de compétences, soit la rareté de candidats ayant la formation et l’expérience requises pour les emplois offerts.

Parmi les difficultés de recrutement mentionnées par les propriétaires de PME, 71 % ont indiqué qu’aucun candidat ne détenait les compétences requises, 49 % ont souligné que les attentes salariales des candidats étaient trop élevées et 40 % ont noté que les candidats ne se sont tout simplement pas présentés à l’entrevue.

En fonction de la classification nationale des professions (CNP), 46 % des PME cherchent des détenteurs d’un diplôme d’études collégiales ou d’un programme d’apprentissage (niveau B). Les électriciens, les plombiers et les charpentiers sont particulièrement recherchés, de même que les mécaniciens et les grutiers. Seulement 17 % des travailleurs qualifiés et résidents permanents en 2017 font partie de ce groupe du niveau B.

Trente et un pour cent des entrepreneurs ont besoin de candidats ayant un niveau de compétence C, pour des emplois requérant une formation de niveau secondaire ou spécifique à la profession. Dans ce cas-ci, ce sont les représentants des ventes ou les vendeurs dans le commerce de gros ou de détail qui sont les plus recherchés. Cependant, seulement 2 % des travailleurs résidents permanents en 2017 font partie de ce groupe.

Pour le niveau D, où la formation se passe en cours d’emploi, ce sont 16 % des propriétaires de PME qui expriment un tel besoin. Cependant, pour ce groupe, les travailleurs ayant le statut de résident permanent ne représentent que 3 personnes par bloc de 10 000 immigrants.

Des recommandations

La FCEI soumet de nombreuses recommandations regroupées sous cinq grands thèmes à la fin de son rapport. Premièrement, elle suggère de créer un visa d’introduction au Canada, lequel permettrait aux employeurs d’avoir accès à des travailleurs peu qualifiés pour les catégories professionnelles qui en ont besoin.

Le visa initial serait d’une durée de deux ans. L’employeur devrait avoir au moins un employé canadien au même salaire. Le travailleur devrait avoir la capacité de changer d’employeur, et non de secteur ou de région, si les engagements ne sont pas respectés par l’entreprise.

Deuxièmement, la Fédération veut aussi resserrer les liens entre les employeurs et les travailleurs immigrants. Elle suggère notamment de revoir le système de pointage des immigrants économiques en privilégiant ceux qui ont déjà reçu une offre d’emploi d’un employeur canadien.

Troisièmement, la FCEI insiste sur la nécessité de combler les besoins du marché du travail, tant par l’entreprise du PTET que par le système d’immigration permanente. Par exemple, la voie « Entrée express » devrait être mieux connue par les PME, et le système devrait être simplifié et les délais réduits pour les employeurs qui veulent s’en prévaloir. Pour obtenir la résidence permanente, l’immigrant devrait rester avec le même employeur pour une période définie, par exemple 24 mois.

Dans le cas du PTET, la FCEI propose de revoir le CNP pour qu’il reflète mieux la réalité actuelle du marché du travail. Les petits employeurs ont souvent du mal à déterminer à quel code correspond chaque poste. Elle suggère également de revoir les régions économiques pour le calcul du taux de chômage. Certaines régions couvrent un très vaste territoire, particulièrement en région rurale et éloignée.

En l’absence d’une solution fédérale pour une immigration permanente des travailleurs peu qualifiés, la FCEI demande d’augmenter le nombre d’immigrants admis au Canada dans le cadre des programmes provinciaux pour permettre à plus de travailleurs étrangers temporaires de faire une demande de résidence permanente.

Quatrièmement, la FCEI demande de réduire la paperasserie du système d’immigration. On déplore notamment la lourdeur et les frais associés à l’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) que les employeurs doivent soumettre pour prouver au gouvernement qu’il n’y a pas de travailleur canadien pour pourvoir le poste. On suggère aussi de numériser le processus afin de permettre aux employeurs de vérifier l’état de leur demande.

Au sujet de l’EIMT, le rapport rapporte ces propos exprimés par un propriétaire d’un atelier de mécanique de l’Alberta : « S’il y avait d’autres solutions raisonnables, aucun propriétaire sensé ne choisirait les risques et les couts que représente le fait de faire venir un travailleur étranger. Si le gouvernement s’en rendait compte, peut-être qu’il éviterait de rendre pénible à ce point l’obligation de prouver le besoin de main-d’œuvre. »

Cinquièmement, le rapport demande aux gouvernements d’aider les PME à retenir leurs employés, tant pour leur intégration dans la communauté que par l’accès à des formations en ligne pour apprendre la langue en usage dans l’entreprise. Les barrières reliées à la langue arrivent en tête de liste des défis auxquels sont confrontés les employeurs qui ont embauché un nouvel immigrant (52 % d’entre eux).