Les nouvelles règles de fiscalité impacteront certains produits d’assurance vie plus complexes le 1er janvier 2017. Les conseillers financiers ont intérêt à agir rapidement, car s’ils attendent trop, ils pourraient ne pas être en mesure de profiter des exemptions actuelles.

Dès le 1er janvier 2017, de nouvelles règles de l’impôt sur le revenu des contribuables canadiens réduiront les sommes qu’ils peuvent mettre à l’abri de l’impôt dans une police d’assurance vie. Les changements toucheront particulièrement l’assurance vie universelle à cout nivelé, lorsque pleinement capitalisée.

Les produits d’assurance vie universelle à taux renouvelable annuellement et les polices d’assurance vie entière seront aussi touchés dans une moindre mesure. L’assurance temporaire s’en sort indemne.

Le seul moyen de profiter des règles actuelles est donc de souscrire à une protection d’ici la fin de 2016. Toutefois, compte tenu de la complexité des produits invoqués, vaut mieux s’y prendre d’avance, ont indiqué des experts interrogés par le Journal de l’assurance. Ils ajoutent que la nouvelle loi impactera davantage les conseillers actifs auprès des entrepreneurs en matière de planification successorale d’entreprise.

Bien qu’il y ait possibilité que la prime maximale des vies universelles à coût nivelé augmente dans les premières années, celle-ci le sera pour une plus courte durée. Le législateur réduit la période au terme de laquelle le contribuable peut payer le coût total d’une police de façon accélérée.

Le fisc canadien a toutefois accepté de reconnaitre des droits acquis aux contrats qui seront émis et placés avant le 1er janvier 2017. Les clauses grand-père seront toutefois perdues si une transformation en un nouveau produit ou un ajout à un contrat existant qui nécessite une tarification médicale s’effectue à partir de 2017. Les polices modifiées seront alors assujetties aux nouvelles règles.

S’empresser prudemment

La valeur que peut accumuler l’assuré au sein d’un contrat d’assurance exonéré diminue avec les nouvelles règles, surtout dans les scénarios d’accumulation à long terme. L’assuré pourra accumuler davantage dans le fonds de sa police au cours des 10 à 15 premières années, mais moins par la suite.

S’il faut informer rapidement les clients d’affaires, les décisions qu’ils devront pendre doivent être soigneusement soupesées. Vice-président exécutif et actuaire de PPI, John McKay exhorte les conseillers à la prudence lorsqu’il s’agit de déterminer s’il est préférable d’acheter une nouvelle police en 2016 plutôt qu’en 2017.

« Si un client envisage de changer une police existante, il sera important de déterminer si ce changement peut ou non entrainer la perte de droits acquis, explique M. McKay. Certains changements faits après 2016 pourraient faire perdre à des polices émises avant les nouvelles règles le statut que leur confèrent les clauses grand-père. Certaines polices pourraient ainsi ne plus être exonérées de l’impôt. Il faut prendre soin que cela n’arrive pas. »

Perdre le statut de police exonérée pénaliserait la plupart des titulaires de polices permanentes émises avant 2017, croit M. McKay. « C’est particulièrement le cas des polices détenues par une corporation, en raison de l’impact des nouvelles règles sur le fonds accumulé maximal permis et sur la détermination du crédit de compte de dividendes en capital », rappelle-t-il. Le compte de dividendes en capital permet à l’entrepreneur de prévoir le transfert à son décès de certains actifs en franchise d’impôt, dont le capital-décès d’une police d’assurance vie.

Lorsqu’on décide de mettre en place une nouvelle police assujettie aux règles d’aujourd’hui, le facteur temps devient donc crucial, estime M. McKay. « Le délai entre la proposition et l’émission peut souvent s’étirer d’un mois à six mois. Si une police est proposée en 2016, et qu’elle n’est toujours pas émise au 31 décembre, il est presque certain qu’elle sera assujettie aux nouvelles règles. Il y aura une pression énorme sur les épaules des conseillers et des tarificateurs à mesure que nous approcherons de la deuxième moitié de 2016 », prévient-il.

Dans d’autres cas, des clients préféreront peut-être les nouvelles règles. Les polices universelles à cout renouvelable annuellement, les polices vie entière et les polices à cout nivelé qui ne sont pas pleinement capitalisées seront moins affectées par les nouvelles règles.

M. McKay souligne que certains clients pourraient même être avantagés par les nouvelles règles. Il en va ainsi des clients qui ne prévoient pas atteindre les limites de capitalisation. « Dans le cas d’une police détenue par une personne qui ne prévoit pas la capitaliser à pleine capacité, l’impact sera généralement moins prononcé », dit-il.

L’assuré dont la police servira de garantie à un prêt pourrait lui aussi préférer qu’elle soit assujettie aux nouvelles règles, si elle est émise avec surprime. À partir de 2017, les assurés pourront aussi déduire leur surprime du montant imposable. « En vertu des nouvelles règles, le titulaire pourra déduire un montant significativement plus élevé pour le cout de l’assurance en garantie », dit l’actuaire.

5 % des polices affectées

Propriétaire du cabinet Engel – Chevalier, Protection du patrimoine, Gilles Chevalier rappelle que les changements affecteront un petit segment de clientèle. « Il y a sûrement 95 % des polices de vie universelle qui ne sont pas capitalisées au dépôt maximum, estime-t-il. Ce sont ceux qui capitalisent leur contrat au maximum ou qui désirent maximiser leur compte de dividendes en capital qui seront plus affectés. »

Le capital-décès d’une assurance est non-imposable. Lorsque le contrat est détenu par une société, celle-ci peut par la suite verser un dividende non imposable par l’entremise du compte de dividende en capital (CDC) qui sera égal au capital-décès moins le coût de base rajusté (CBR). Le coût de base rajusté d’un contrat est approximativement le total des dépôts effectués moins le coût net d’assurance pure (CNAP). Comme le CNAP sera réduit à partir de 2017, le CBR sera plus important, ce qui réduira le montant du compte de dividende en capital. « Les individus qui détiennent une police personnelle qu’ils veulent racheter seront favorisés. Ils paieront moins d’impôt avec les règles de 2017, puisque le gain sera moins élevé », souligne le planificateur financier.

M. Chevalier pense qu’il faut en revanche contacter rapidement les autres clients qui seront défavorisés par les nouvelles règles, car ce sont des gens d’affaires. « Les gens d’affaires sont difficiles à joindre. De plus, les décisions à prendre mettent souvent en jeu des sommes importantes. Elles ne peuvent pas toujours être prises du jour au lendemain », explique-t-il. Contacter un client en juin, à l’approche des vacances, risque de reporter les premières actions en septembre, croit-il.

Il dit déjà observer une recrudescence des activités en assurance vie universelle. Les ventes de vie universelle ont commencé à augmenter, tant au niveau des primes que des polices, estime M. Chevalier. « Présentement, j’en suis déjà à travailler sept jours sur sept. » Chez Manuvie, Diane Hamel acquiesce que le processus de tarification peut être long. Vice-présidente adjointe régionale, service fiscalité, retraite et planification successorale pour la région du Québec, elle confirme que les polices devront être émises et placées avant 2017 pour pouvoir bénéficier des anciennes règles. « Si la police est émise à la fin décembre, mais est placée à la mi-janvier, elle sera assujettie aux nouvelles règles », précise la fiscaliste de Manuvie.

Elle suggère aux conseillers de porter une attention particulière aux clients âgés, à ceux des polices conjointes au dernier décès, aux polices détenues par une société par actions et à l’ensemble des clients titulaires d’une vie universelle à cout d’assurance nivelé. « Ce qui m’inquiète, ce sont les situations dans lesquelles un conseiller pourrait apporter des modifications au contrat en 2017, sans se rendre compte qu’il lui fait perdre des droits acquis », dit Mme Hamel.

Rentes prescrites

La vice-présidente de Manuvie rappelle que les rentes viagères prescrites seront aussi touchées par les nouvelles règles. En raison de la nouvelle table de mortalité qui tient compte de la longévité accrue des Canadiens, la portion imposable du revenu de la rente sera supérieure, explique-t-elle.

La portion imposable du revenu tiré d’une rente viagère varie avec le passage du temps : le rentier reçoit plus d’intérêts que de capital au début de sa rente. Il paie donc plus d’impôt dans les premières années.

Plus avantageuse au plan fiscal, la rente viagère qui se qualifie de prescrite voit cette portion fixée pour toute la durée de la rente. Pour se qualifier ainsi, la rente doit entre autres être détenue par un particulier ou certaines fiducies, et ses paiements doivent débuter dans l’année à laquelle elle est souscrite.

L’urgence est moindre. Au contraire de l’assurance vie, la rente viagère ne demande pas de tarification médicale, la seule distinction se faisant sur le sexe. Elle se souscrit donc rapidement. « Quelqu’un qui envisage de souscrire à une rente en janvier 2017 serait mieux de le faire en décembre 2016 », conseille Mme Hamel.