Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) durcit le ton envers les assureurs en ce qui a trait à la fraude à l’assurance. L’organisme les invite à se prendre en main et cessera certaines enquêtes qu’il faisait pour le compte d’assureurs. Charles Rabbat, directeur principal du service des enquêtes en vols d’automobiles, Québec et Atlantique, craint même que le Québec perde son expertise d’enquête en fraude à l’assurance d’ici dix ans.

ja_23_03_img1

M. Rabbat a tenu ces propos lors d’un séminaire de formation organisé par la firme de repérage Tag, séminaire qui réunissait une trentaine de souscripteurs et d’experts en sinistres. Il a aussi rappelé que le vol automobile n’était pas une priorité pour les corps policiers, faute de budget.

« La fraude à l’assurance est perçue comme un crime d’assurance, sans plus. C’est dans notre culture et dans nos valeurs. Au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), l’intention de travailler le vol de véhicules est de zéro. Ça coute cher de travailler le vol de véhicules à moteur », dit-il.

Il donne en exemple le cas du démantèlement du réseau Yasmine en 2007, qui avait couté 1,5 million de dollars (M$) en enquête au Service de police de la Ville de Laval. « La Ville a eu 0 $ en retour de cela. Les corps policiers n’ont pas d’argent, que ce soit au SPVM ou à la Sûreté du Québec (SQ) », fait remarquer M. Rabbat.

La police enquête lorsqu’elle a de nombreuses plaintes


Il ajoute que les corps policiers font enquête sur le vol automobile s’ils reçoivent beaucoup de plaintes. Il donne en exemple le cas du démantèlement du réseau Yasmine, qui s’était fait parce que le maire Gilles Vaillancourt s’était plaint au chef de police de la Ville de Laval qu’il recevait plusieurs appels de citoyens qui déploraient la situation du vol de véhicules au Carrefour Laval, un centre commercial.

 

« Si le maire n’appelle pas, il ne se fera rien. C’est la même chose dans les compagnies d’assurance. Si le président ne prend pas l’engagement de combattre les cas de fraude, rien ne se fera », dit-il. Le BAC estime d’ailleurs que de 25 % à 35 % des cas de véhicules volés non retrouvés sont suspectés être des cas de fraude à l’assurance, a révélé M. Rabbat.

« Chaque compagnie doit se prendre en main »


M. Rabbat se dit aussi particulièrement inquiet à propos de l’expertise des équipes d’enquête d’assureurs, qui avancent en âge. Il donne en exemple sa propre équipe d’enquête au BAC, dont deux des sept membres viennent de prendre leur retraite à l’âge de 67 et 69 ans.

 

« Si rien n’est fait, l’industrie aura perdu son expertise dans dix ans. Chaque compagnie d’assurance doit se prendre en main », dit M. Rabbat.

Il a aussi révélé que le BAC se concentrera dorénavant sur les cas d’enquête d’identification des véhicules au port de Montréal et ne se penchera plus sur les autres cas. Il a aussi tenu à féliciter certains assureurs, dont Aviva Canada, Intact Corporation financière et Desjardins Assurances, qui ont récemment investi dans leurs équipes d’enquête.

Il met toutefois en garde les assureurs et les courtiers qui ne veulent pas perdre une vente. « Il faut éviter d’être bloqué par la peur de perdre un gros client. Certains craignent de perdre des clients si on enquête sur ces derniers. Ça arrive encore en 2014 », dit M. Rabbat.

Il ajoute qu’il y a une limite au nombre de conteneurs que le BAC peut vérifier. « On ne peut fouiller tous les conteneurs, car on ne peut pas ralentir l’activité économique au port de Montréal. Une seule journée de débrayage des débardeurs au port de Montréal a entrainé de longues files d’attente de camions. Ça représente des pertes en milliers de dollars pour l’économie québécoise », dit M. Rabbat.

Il ajoute que le BAC fait enquête aussitôt qu’il a une bonne information. « Au port de Montréal, on a un taux de réussite de 99 %. Ce n’est toutefois pas la même situation ailleurs au Canada, que ce soit à Halifax ou à Vancouver. C’est comme si on parlait de trois pays différents. À Montréal, on peut fouiller le conteneur sur place. À Halifax, il faut l’apporter à Dartmouth, pour le ramener à Halifax. On envoie la facture aux assureurs, avec un taux de réussite de 3 sur 5, ce qui est insuffisant », reconnait-il.

M. Rabbat ajoute que les contraintes financières font en sorte que le BAC ne peut plus faire des enquêtes pour les assureurs comme il le faisait auparavant. « Investissez dans vos enquêtes! Nous ne sommes plus là pour les faire pour vous », a-t-il lancé à l’intention des assureurs.

« Ça coute plus cher aux assureurs »


Pour ce qui est du vol automobile, le BAC mène enquête tant et aussi longtemps qu’un véhicule ne se retrouve pas à l’extérieur du Canada. Aussitôt qu’un conteneur arrive en sol étranger, le BAC confie le tout à une entreprise privée, dirigée par un ancien policier ontarien. « Ça coute plus cher aux assureurs… C’est à chaque assureur de décider ce qu’il fait », dit-il.

 

Par ailleurs, le BAC devait détruire en fin d’année sa banque de données sur les fraudeurs, dont les assureurs avaient peu à peu cessé de mettre les données à jour au fil des ans. Le tout sera remplacé par un système développé par Kanetics, une entreprise qui appartient au BAC. « Kanetics en est au stade de projet-pilote en Ontario. D’ici deux ou trois ans, le système devrait être accessible partout au Canada », dit M. Rabbat.