Si la tarification des polices en assurance de dommages n'augmente pas, les assureurs pourraient errer avant de retrouver le chemin de la rentabilité. À ce chapitre, la sous-tarification de l'automobile en Ontario leur fait particulièrement mal.L'industrie canadienne de l'assurance IARD en a pris pour son rhume en 2008. Plusieurs compagnies doivent maintenant conjuguer avec des résultats techniques et des bénéfices nets à la baisse, ainsi qu'avec des revenus de placement moindres qu'en 2007.

« Le revenu de souscription a disparu en 2008, ce qui ne s'était pas vu depuis 2002, dit la surintendante des institutions financières Julie Dickson. Malheureusement, les premiers résultats de 2009 ne sont pas meilleurs et il semble que ce soit la nouvelle tendance. La détérioration des résultats de souscription ne touche pas qu'un seul marché; elle caractérise toutes les activités des assureurs multirisques au Canada. »

La numéro un du Bureau du surintendant des institutions financières s'est exprimée en ces termes lors d'une allocution à Cambridge, en Ontario, le 4 juin dernier, dans le cadre du Forum 2009 du secteur des assurances multirisques.

Même si toutes les activités sont touchées, il reste que le principal problème pour l'industrie IARD est l'assurance automobile en Ontario, dit Foster Cheng, analyste chez Standard & Poor's (S&P). Il note que 25 % du volume total des primes souscrites en assurance IARD au Canada provient de l'assurance auto en Ontario.

« Les réclamations liées aux accidents étaient en hausse de 13 % en 2008 par rapport à 2007 au Canada. Nous verrons probablement quelque chose de similaire cette année. Une hausse des taux est nécessaire pour compenser cela », dit M. Cheng.

Sévérité

De son côté, Joe Burtone, assistant vice-président chez A.M. Best, fait remarquer que les réclamations en automobile ont augmenté en fréquence et en sévérité.

Au Canada, le segment automobile des particuliers a enregistré un ratio combiné de 106 en 2008, comparativement à 100,9 en 2007. Ce même résultat a atteint 102 pour le segment de l'assurance des entreprises en 2008 et il se compare à 83,1 en 2007, dit Joel Baker, président de MSA Research.

« Les faibles taux d'intérêt obligent les compagnies à viser un ratio combiné situé à environ 85 afin d'atteindre une rentabilité convenable. Quelques-unes en seront capables, mais la majorité ne le sera pas », dit-il.

Julie Dickson dit remarquer que la structure de coût des assureurs IARD de l'Ontario se détériore depuis plusieurs années. « Les résultats de 2008 et de 2009 sont insoutenables. Les sinistres ont littéralement explosé au quatrième trimestre de 2008 en Ontario. Dans cette province, les frais de règlement ont augmenté de 9 % en 2008 et de près de 11 % en 2007, alors que les taux globaux d'augmentation des primes n'ont été que de 6 % et 1 % respectivement », ajoute la surintendante.

Les assureurs doivent donc mettre en place des mesures pour renouer avec la rentabilité, disent les experts interrogés par le Journal de l'assurance. Plusieurs assureurs ont déjà demandé, auprès des régulateurs provinciaux, l'autorisation d'augmenter leur tarification en assurance de dommages.

Certes, les taux ont récemment augmenté dans le segment de l'automobile, notamment en Ontario et en Alberta. « Cette hausse de taux n'est pas suffisante pour couvrir l'augmentation rapide des réclamations en responsabilité des accidents personnels », affirme Joe Burtone, d'A.M. Best. Ce dernier dit avoir reçu ce commentaire de la part de plusieurs joueurs de l'industrie. Il ajoute que certains assureurs espèrent maintenant être en mesure d'augmenter leur tarification dans le segment habitation en assurance des particuliers et en assurance des entreprises.

Foster Cheng, de Standard & Poor's, dit que du côté de l'assurance des particuliers, l'industrie est dans les premiers stades d'un durcissement du marché. Il s'agit d'un avis partagé par Joel Baker, de MSA Research: « Les taux se durcissent dans le segment des particuliers, puisque les résultats dans plusieurs régions ont été vraiment mauvais », dit M. Baker. M. Cheng ajoute que la tarification devrait continuer à augmenter cette année et l'an prochain.

Quant au segment des entreprises, Julie Dickson dit que les résultats s'y détériorent sensiblement. « Toutefois, cette branche n'est absolument pas homogène et certains assureurs continuent d'afficher d'excellents résultats. Certains analystes estiment que, selon les données historiques, nous assistons à un durcissement des marchés de l'assurance aux entreprises, alors que la baisse de rendement de l'économie engendre souvent cette situation », mentionne Mme Dickson.

Joe Burtone ne croit pas que nous assistions à un durcissement du marché en assurance des entreprises. « Les compagnies ont indiqué qu'elles aimeraient augmenter les taux dans ce secteur, mais dans l'ensemble, ça ne s'est pas encore concrétisé, dit-il. Le segment de l'assurance des entreprises a été rentable jusqu'à maintenant. Toutefois, au cours des dernières années, nous avons vu les marges de profit diminuer parce que les taux n'ont pas suivi les hausses de réclamations. »

Foster Cheng est du même avis. « Je ne crois pas que le marché se soit durci en assurance des entreprises. Même si les résultats se sont détériorés, il y a encore une grande variation dans les résultats. Certaines compagnies vont bien et demeureront compétitives dans le marché », dit-il.

Placements

Joel Baker, de MSA, ajoute que les placements de plusieurs assureurs ont été durement frappés à la fin de 2008, ce qui a contribué à une baisse de rentabilité et à l'érosion du capital. Règle générale, les assureurs sont réputés pour être prudents et maintenir un portefeuille de placement conservateur. Toutefois, la répartition de l'actif en 2008 n'était pas homogène dans l'industrie, dit-il.

Répartitions

« Comme nous l'avons indiqué dans notre rapport du troisième trimestre 2008, les répartitions de l'actif des assureurs étaient assez différentes les unes des autres. Certains n'avaient aucune exposition aux actions alors que pour d'autres, c'était tout le contraire. Les compagnies se tournent désormais vers les titres à revenu fixe afin de réduire le risque de leur portefeuille. Une tactique nécessaire pour fuir la volatilité des marchés, mais qui offre un potentiel de rendement moins intéressant », dit M. Baker.

Joe Burtone d'A.M. Best ajoute que les compagnies d'assurance ont réalisé qu'elles ne pouvaient plus prendre de risque additionnel. Les portefeuilles de placement au Canada sont donc restés conservateurs et continuent de l'être en étant composés d'espèces et de titres à court terme, ajoute-t-il.

Pour sa part, Foster Cheng de Standard & Poor's indique que pour l'industrie en 2008, environ 87 % du portefeuille était composé d'argent et d'instruments à court terme ; cette proportion était de 83 % en 2007. Il note aussi que l'industrie IARD au Canada n'a pas connu les mêmes problèmes de qualité des placements comme aux États-Unis avec les produits structurés tels que les hypothèques à risque.

De plus, M. Cheng fait remarquer que le capital des assureurs demeure assez solide. « En 2008, le montant minimum de capital requis était à 247 % en moyenne pour l'ensemble de l'industrie, une baisse par rapport au 261 % de 2007. Mais c'est encore un bon ratio, sachant que les autorités règlementaires exigent 150 % », dit-il.

Au début d'avril 2009, la Commission des services financiers de l'Ontario a remis son Rapport sur l'examen quinquennal de l'assurance automobile au gouvernement ontarien. Au moment de mettre sous presse, ce dernier n'avait pas encore réagi aux recommandations.

Les 39 recommandations incluses dans le rapport se veulent des solutions potentielles aux défis auxquels l'industrie IARD est confrontée, dit M. Cheng. « Ces recommandations ne sont pas encore en vigueur, mais même si elles le deviennent, je ne pense pas qu'elles répondront vraiment à la tendance observée aux versements liés aux accidents. Les gens de l'industrie à qui j'ai parlé semblent très pessimistes envers ce rapport qu'ils qualifient de solution temporaire », spécifie-t-il.

Plafonnement

La Commission propose de plafonner les frais de règlement, de même que les prestations générales pour soins médicaux et services de réadaptation, et cela se traduira sûrement par des économies, dit Julie Dickson. Elle ajoute toutefois que les assureurs ne doivent pas attendre après les régulateurs pour agir.

« La Commission recommande notamment de hausser les prestations de remplacement du revenu, d'abaisser le seuil de la franchise en matière de délit civil et d'appliquer peut-être plus rigoureusement les déductions au titre de toutes les indemnités accessoires.

L'incertitude qui prévaut dans le secteur automobile ne signifie pas que les assureurs devraient attendre pour voir. Préparez-vous dès maintenant pour la situation qui prévaut à l'heure actuelle. Ne jouez pas votre entreprise en espérant que la réglementation soit modifiée.

Établissez une tarification adéquate en fonction des risques », prévient Mme Dickson.