Pour John Harbour, la gouvernance des organisations exige la plus grande discipline de la part de leurs gestionnaires. Il a retenu des leçons de son passage à la présidence de la division en assurance de Desjardins et qu'il applique désormais au sein de la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ). Ces règles de gouvernance doivent viser à gérer les risques plutôt que les crises et à assurer le succès de la « recette du bonheur au bureau ».

Le 25 mars dernier à Québec, le P.D.G. de la SAAQ, John Harbour, était l'un des conférenciers du premier colloque francophone sur la gestion des risques et la continuité des affaires. Organisé par la firme de consultants RTComm dirigée par Richard Thibeault, le colloque était l'occasion d'entendre différents points de vue sur la gouvernance des entreprises et des organisations.

À la SAAQ, on a pris le virage pour réduire le nombre d'accidents et de décès sur les routes. « Notre fonds de pension est indexé avec l'IPC, ça veut dire que chaque année, nos prestations augmentent d'au moins 3 %. » C'est pourquoi il est nécessaire de réduire le nombre d'accidents pour que la SAAQ puisse contrôler ses coûts et le niveau de ses cotisations.

En 2006, 720 personnes sont mortes sur les routes du Québec. Les campagnes menées depuis 2007 ont permis de faire chuter le nombre de décès à 557 en 2008, selon les données publiées par la SAAQ le 23 avril dernier. Cela représente une diminution de 16 % sur la moyenne des décès des cinq années précédentes.

L'un des éléments dont il est le plus fier est d'avoir pu sensibiliser tous les intervenants à la nécessité d'agir rapidement à la suite d'un accident routier. À son arrivée à la SAAQ, parmi les victimes qui montraient des blessures dont l'indice ISS (« Injure Severity Score ») atteignait la note 12 ou plus, six d'entre elles sur 10 mouraient. En 2008, un seul blessé sur 10 affichant un ISS de 12 et plus est décédé des suites de ses blessures. Selon M. Harbour, un homme de 18 ans qui devient paraplégique à la suite d'un accident de voiture coûtera 7,5 millions $ en prestations à la SAAQ.

Il vaut mieux gérer les risques que les crises, insiste-t-il. Cela doit devenir la priorité de tous les gestionnaires, et l'organisation ne doit pas lésiner sur la formation du personnel, adaptée à chaque fonction. « En cas de pandémie d'influenza, nous avons un plan pour ne garder au travail que 35 % des effectifs au siège social, et je sais quels services seront fermés en premier. » Les contrôleurs routiers pourraient alors être assignés à conduire des ambulances, ajoute-t-il, en se demandant cependant si quelqu'un a prévu de vérifier s'ils savent « où sont situés les hôpitaux ».

Qui fait quoi ?

Dans son cours de « gouvernance 101 », M. Harbour rappelle que l'on doit s'assurer de la bonne répartition des rôles et responsabilités dans l'organisation. Sa « recette du bonheur au bureau » tient en quatre éléments simples.

Premièrement, « en entrant au bureau le matin, je sais ce que j'ai à faire. Ensuite, quand je pars le soir, c'est fait. Troisièmement, ce que je fais est important, et surtout, quatrièmement, mon boss le sait! », explique M. Harbour.

John Harbour a donné en exemple la crise de l'anthrax en 2002, alors qu'en voulant entrer le soir dans les bureaux situés à l'îlot St-Patrick, dans la haute-ville de Québec, l'immeuble était verrouillé et personne ne trouvait la clé. Il a fallu 2h15 pour trouver le responsable. « Depuis ce temps-là, soyez certains que c'est le genre de risque que nous avons prévu dans le cadre normal de nos activités! », ajoute M. Harbour.

Le conférencier n'a pas été tendre à l'égard des médias qui, selon lui, exagèrent souvent. Dans le dossier du nouveau « permis de conduire Plus », qui permettra de franchir la frontière américaine, certaines critiques ont été faites à l'égard de la sécurisation de l'information comprise dans ces permis. « On a peur de quoi? Il y a un numéro dans la puce. L'information associée au numéro est confidentielle et le numéro lui-même ne peut servir à quiconque. Pour obtenir l'information que vous voulez sur le détenteur du permis, vous devrez réussir à voler un ordinateur des douanes américaines et ensuite communiquer avec Revenu Canada pour le leur demader. Bonne chance!»

Les problèmes de la Caisse

M. Harbour tenait ses propos sur la gouvernance moins d'une semaine après la nomination de Michael Sabia à la tête de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), dont la SAAQ est l'un des déposants. Malgré sa prudence, M. Harbour n'a pu s'empêcher de commenter les déboires de la Caisse. Selon lui, l'ignorance de certains administrateurs à l'égard des papiers commerciaux adossés à des actifs non-bancaires (PCAA), dans lesquels la CDPQ a beaucoup investi et perdu de l'argent, est très compréhensible. « Normal, ça ne relève pas de leurs affaires. Les PCAA étaient un outil parmi d'autres. »

Par contre, John Harbour entend demander des explications au comité de gestion des risques. Il s'attend à ce qu'on lui réponde que les problèmes n'avaient pas été prévus. « Il y a eu des erreurs quelque part. Ce qu'on va réaliser, c'est que de un, on ne sait pas qui devait faire telle chose. Deux: on ne sait pas si cela a été fait ou pas fait. Trois, les PCAA, c'est pas une affaire bête et méchante. Le facteur de risque sur les PCAA était de zéro. C'était dans le marché monétaire. Actuellement, la provision est à 6 milliards $. Trouvez l'erreur. S'il n'y a pas une erreur là, je n'ai jamais fait une erreur de ma vie. »

Tarifs de la SAAQ

Dès le 25 février, avant même que la CDPQ ne confirme les piètres rendements de 2008, la SAAQ avait publié un communiqué pour indiquer que la direction ne commenterait pas les problèmes de la Caisse. On a alors confirmé qu'il n'y aurait pas de nouvelles hausses de tarifs autres que celles annoncées en 2006 et qui touchent les années 2009 à 2011. Au moment d'annoncer ces hausses en août 2006, la SAAQ avait alors indiqué que le taux de rendement utilisé pour effectuer ses prévisions financières à long terme était de 6,5 %. Ce taux demeure inchangé malgré les déboires de la Caisse en 2008.

« Quand nous avons voulu augmenter les tarifs à la SAAQ il y a trois ans, les partis d'opposition ont dit que je faisais des scénarios apocalyptiques pour justifier des hausses alors que nous n'en avions pas besoin. J'aimerais ça que ces gens-là soient encore à l'Assemblée nationale. J'irais leur montrer ce que c'est que l'Apocalypse. On va l'avoir cette année. »

Il est selon lui évident qu'élaborer des scénarios financiers à partir des résultats terribles de 2008 est une absurdité. Agir ainsi reviendrait à arrêter complètement la machine gouvernementale, raconte-t-il.

Mais il reconnaît que le rendement négatif obtenu par la Caisse aura des conséquences. « En 2002, c'était grave avec un rendement de -5%. Imaginez-vous donc qu'à -25 %, c'est la grande noirceur. »

L'une des mines qui guette le parcours de tout dirigeant de société d'État est l'épineuse question de la tarification des services. « J'ai voulu augmenter de 2 $ par an le prix de l'immatriculation. Il a fallu un conseil d'experts, ça a pris quelque chose comme un an et demi. Chez Desjardins, on aurait augmenté le prix de nos polices d'assurance de 2 $ par an et je ne suis pas convaincu que mes actuaires seraient venus m'avertir. Ils l'auraient fait sans m'en parler. »