Des données colligées par la Régie des rentes du Québec au cours des dernières années démontrent que les Québécois ont un intérêt pour l’épargne. Malgré tout, passer à l’action demeure difficile. Conscientiser les consommateurs à leur endettement, forcer l’épargne et mettre les proches à contribution font partie des pistes à étudier pour briser cette inertie.
C’est le constat qu’a livré Nathalie Madore, directrice de la statistique et de l’analyse quantitative de la Régie des rentes du Québec, lors du dernier Congrès de l’assurance et de l’investissement.
La Régie a réalisé plusieurs études sur le comportement des épargnants, en collaboration avec Question Retraite, organisme sans but lucratif créé en 2003, à l’initiative de la Régie. Question Retraite tente de sensibiliser les Québécois de 25 à 44 ans sur l’importance d’assurer sa sécurité financière à la retraite et les moyens de l’atteindre.
Les causes de l’inertie
D’où vient l’inertie des épargnants? Mme Madore a identifié trois causes. La première est la déresponsabilisation des consommateurs au sujet de la nécessité d’épargner à la retraite.
« Quand on ne se sent pas responsable de quelque chose, il est difficile de se laisser convaincre d’agir pour le changer. Les gens sont conscients que plus ils commencent à épargner tôt, mieux c’est. En 2008, 78 % des gens nous disaient qu’il fallait commencer avant 30 ans et dès que l’on commence à travailler. Est-ce que les gens le font? Pas tous. Une étude que nous avons réalisée en 2012 démontre que 50 % des gens n’ont pas encore commencé à épargner, rendus à 35 ans. Seulement 20 % des gens l’ont fait avant 25 ans », dit-elle.
Une raison est souvent donnée par les gens qui n’ont pas encore commencé à épargner en vue de la retraite. Ils se disent trop jeunes pour le faire, révèle Mme Madore. Comment changer cette façon de penser? « Même s’ils n’ont pas d’argent, les jeunes peuvent penser aux objectifs qu’ils veulent atteindre à la retraite. C’est une manière de planifier sa retraite », dit-elle.
Une étude menée par Question Retraite auprès des dirigeants de PME, en 2007, a révélé que les travailleurs croient dans une proportion de 69 % qu’ils ont la responsabilité d’assumer une partie de leur sécurité financière à la retraite. Le gouvernement suit avec 33 % et les employeurs, 28 %.
« Collecter à la source est un excellent moyen pour bâtir un plan de retraite. On voit que les entrepreneurs ont un intérêt face à cela. Quand on les questionne pour savoir pourquoi ils ne mettent pas de système en place, bien souvent, ils nous répondent que c’est parce que leurs employés ne leur en ont pas demandé. Pourtant, nos études démontrent que les travailleurs seraient intéressés à ce que leur employeur mette un régime en place. On voit qu’il y a un manque de communication en ce sens », dit Mme Madore.
Autre preuve de ce manque de communication : seulement 50 % des travailleurs ont affirmé qu’ils avaient la responsabilité première d’assurer la viabilité de leur retraite, selon un suivi de cette étude, mené en 2008. Le gouvernement suivait avec 39 % et les employeurs, 11 %.
« Si les gens pensent que le gouvernement doit garantir leur retraite, il sera difficile de les convaincre de mettre de l’argent de côté. C’est un blocage assez important pour agir par soi-même », dit Mme Madore.
Deuxième cause de l’inertie : la méconnaissance. « Les gens qui ne connaissent pas la planification ne sont pas intéressés par leur retraite. Ils craignent même d’aller voir un spécialiste, par peur de ne pas le comprendre ou de se faire avoir », dit Mme Madore.
Dans une étude réalisée en 2009, plus de 55 % des gens ont dit détenir peu de compétences pour planifier eux-mêmes leurs finances en vue de la retraite. De ce nombre, 12 % ont dit n’avoir aucune compétence. « Il ne faut pas oublier que lorsque les gens répondent à un sondage, ils ont tendance à se vanter un peu. On peut alors supposer que parmi les gens qui disaient avoir quelques compétences, ils n’en avaient probablement pas ou très peu », dit-elle.
Lors de cette même étude, 1 604 jeunes de 25 à 44 ans ont été sondés pour savoir s’ils pensaient détenir des connaissances en matière de finance et de placements. 54 % ont répondu peu ou pas du tout. « Dans des groupes de discussion, on s’est même fait dire que le gouvernement et les institutions financières devraient mettre en place des outils pour les aider à calculer l’argent dont ils auront besoin à la retraite. Pourtant, il en pleut, des outils. Mais les gens ne savent pas qu’ils existent », dit-elle.
La troisième cause et, selon Mme Madore, le pire élément de l’inertie des épargnants, a trait à l’inconscience. « Les gens ont tendance à penser qu’au Québec, on n’a pas de problèmes. On est assez bon enfant et la vie va s’occuper de nous. Nos sondages sont un plus pessimistes. On est un peu condescendants vis-à-vis nos comportements et on voit tout avec des lunettes roses. »
En 2003, Question Retraite avait mené ses premiers sondages sur la vision de la retraite. À la suite de cette première série de sondages, la Régie avait conclu que les non-retraités avaient une vision pessimiste de la retraite. 45 % d’entre eux avaient alors affirmé croire que leur niveau de vie se détériorerait à la retraite. Or, seuls 19 % des jeunes retraités qui avaient aussi été sondés avaient affirmé que leur situation s’était détériorée. 39 % avaient dit qu'elle était restée la même.
D’un autre côté, 64 % des non-retraités disaient croire qu’ils auraient moins de dépenses à la retraite. Ce n’est pas ce que vivaient les jeunes retraités à ce moment. 40 % d’entre ont dit avoir autant de dépenses à la retraite que durant la vie active, et 20 % ont dit en avoir plus. Malgré tout, divers sondages menés par les deux organismes au fil des ans montrent que les Québécois sont confiants au sujet de leur retraite.
En 2012, Question Retraite a demandé à près de 2 000 Québécois de quelle façon ils dépensaient l’argent restant après avoir payé les dépenses essentielles, comme le loyer ou l’épicerie. 49 % des 25 à 34 ans ont répondu qu’ils l’utilisaient pour rembourser une dette, contre 27 % qui l’épargnaient et 18 % qui l’utilisaient pour du luxe. Mme Madore juge ce comportement inquiétant, car il peut provoquer un cercle vicieux. « Quand on se libère d’une dette, on peut en contracter une autre par la suite, ce qui ne laisse pas de place à l’épargne », dit-elle.
Pistes de solution
Avoir une dette ne signifie pas qu’on ne peut épargner, souligne Mme Madore. C’est pourquoi elle juge important de responsabiliser les citoyens à cet égard.
Elle remarque toutefois que le REER demeure l’adage des gens plus fortunés. Une étude réalisée en 2012 par la Régie démontre que les gens qui ont une hypothèque ou une marge de crédit sont plus enclins à avoir des REER. « Il faut avoir de l’argent pour détenir ce type de dettes. Ça ne nuira pas à l’épargne », dit Mme Madore.
À l’inverse, les gens qui ont des soldes impayés sur leur carte de crédit ont moins de REER. « Ce sont souvent des gens qui ont moins de revenus. En remboursant un solde de carte de crédit impayé, on essaie de s’en sortir. C’est un frein à l’épargne. Il faut leur faire prendre conscience de cela », précise-t-elle.
Autre donnée inquiétante : 72 % des répondants n’ont aucun objectif précis quant aux revenus souhaités à la retraite. « C’est un résultat qui date de 2009, mais la donnée était exactement la même en 2003 et en 2008. La situation n’évolue donc pas. »
Forcer l’épargne
Autre piste de solution : forcer l’épargne. « Ça peut sembler fort, mais il s’agit là de faire passer l’épargne avant autre chose. Notre étude de 2012 démontre que les gens ont tendance à dépenser en premier et épargner le reste – s’il en reste –, plutôt que l’inverse. Ainsi, ce sont seulement 15 % des travailleurs qui ont des objectifs d’épargne chiffrés, que ce soit par un REER, un CÉLI ou un autre type d’épargne. Selon ces gens, la meilleure façon d’y arriver est par le virement automatique », dit-elle.
La Régie a aussi mené des groupes de discussion avec des jeunes de 24 à 34 ans. Ceux-ci ont dit être d’accord pour que le gouvernement les oblige à mettre de l’argent de côté. « Ils nous ont dit qu’ils seraient ainsi surs de mettre de l’épargne de côté, car ils n’ont pas la discipline pour le faire », dit Mme Madore.
Elle ajoute que les Québécois seraient aussi intéressés à ce que leur employeur offre un régime de retraite. 60 % des gens n’ayant pas de régime de retraite pensent en ce sens, selon une étude menée en 2009. Cette proportion est toutefois plus faible chez les 25 à 34 ans (50 %). « Le travailleur en vient à ne plus compter le montant qu’il met en épargne. Celle-ci vient à s’accumuler toute seule, avec le temps », dit Mme Madore.
La Régie a poussé son questionnement plus loin en demandant aux travailleurs sans régime de retraite s’ils accepteraient de changer d’emploi si on leur offrait un travail avec les mêmes conditions, mais avec un régime de retraite à la clé. 58 % des répondants ont dit qu’ils changeraient à cause d’une telle offre.
Cette proportion diminue à 33 % pour les travailleurs disposant d’un régime de retraite, mais qui se verraient offrir un emploi similaire, sans régime de retraite. Plus de 80 % des gens estiment d’ailleurs que c’est un gros avantage pour les employeurs d’offrir un régime de retraite à ses employés. De ce nombre, 51 % estiment qu’il s’agit là d’un très gros avantage.
La Régie a aussi sondé les employeurs. 40 % des petites entreprises (1 à 20 employés) jugent qu’un régime de retraite contribue à retenir les employés actuels, contre 62 % des grandes entreprises (100 à 299 employés). Ces pourcentages demeurent les mêmes lorsqu’un régime de retraite donne un avantage concurrentiel à l’organisation. « De telles avenues ne brisent pas leur inertie, dit Mme Madore, mais font en sorte qu’il y a des résultats au bout de la ligne ».
Troisième piste de solution : l’information et la conscientisation. « Quand on connait quelque chose, on est plus enclin à agir. Néanmoins, nos études menées depuis 2003 démontrent qu’environ la moitié de la population demande l’aide d’un spécialiste. Devrait-il y en avoir plus? La question se pose », dit-elle.
Mme Madore s’inquiète toutefois que le quart des répondants d’une de ses études menées en 2009 disent s’attendre à ce que les prestations gouvernementales constituent leur principale source de revenus à la retraite. « Ces prestations ne sont là que pour assurer un revenu de base. Ce sont des montants peu élevés. Il faut avoir plus que ça », dit-elle.
D’un autre côté, 38 % s’attendent à ce que le régime de retraite de leur employeur ou celui de leur conjoint soit leur principale source de revenus, tandis que 35 % des gens croient qu’elle proviendra de leurs épargnes et actifs personnels.
Des données colligées en 2009 révèlent que 72 % des Québécois disaient détenir des REER et 82 % affirmaient qu’ils en détiendraient à la retraite. Plus inquiétant selon Mme Madore, seulement 45 % des gens ont dit détenir une maison libre d’hypothèque, même si 86 % des répondants ont dit croire qu’ils auraient fini de la payer à la retraite.
« En 2008, seulement 62 % de tous les Québécois étaient propriétaires du logement qu’ils habitaient. Que 86 % des gens croient qu’ils auront payé leur logement me semble élevé. 31 % des gens disent même vouloir une résidence secondaire libre d’hypothèque. Ils vont peut-être devoir s’ouvrir les yeux en cours de route », dit-elle.
Les parents ont le plus d’influence
Si les conseillers veulent convaincre les jeunes d’épargner en vue de la retraite, ils devront tout d’abord convaincre leurs parents de les inciter à le faire. Un sondage mené en 2008 démontre que 50 % des gens croient que les parents sont ceux qui devraient inciter les jeunes à épargner en vue de la retraite. Autre statistique renforçant cette perception : une enquête menée en 2012 révèle que 55 % des Québécois disent que ce sont leurs parents qui ont le plus influencé leur comportement envers l’argent.
Question Retraite a aussi évalué, en 2008, qui pouvait influencer leur attitude et leur comportement envers l’argent. Les parents obtiennent une note de 7 sur 10, suivis du conjoint (6,2). Les conseillers financiers arrivent en troisième position avec une note de 5,3 sur 10.
« Les conseils offerts par les spécialistes ne sont pas inutiles, loin de là. Près d’une personne sur deux a donné une note de 7 sur 10 ou plus à l’influence du conseiller financier sur son comportement par rapport à l’argent. De plus, les personnes qui se disent les plus influencées par les conseillers sont celles qui ont des REER », dit Mme Madore.
Elle précise que ce n’est pas ce que les parents disent qui a un impact, mais bien comment ils agissent. Si les parents achètent sur un coup de tête, les enfants auront tendance à faire de même, peu importe les connaissances des parents en matière de finances. « Ce n’est pas l’agent de voyage qui inculque un gout pour les voyages », dit Mme Madore. Si le parent a des comportements d’épargne sains, il y a plus de chances que ses enfants les adoptent. »