Me André Bois est catégorique : en matière d’inspection professionnelle, l’Autorité des marchés financiers n’assume pas son mandat de surveillance.Rencontré au bureau de son cabinet d’avocats, à la fin juillet, à Québec, Me Bois connait bien l’industrie de l’assurance. Après avoir été le procureur des assureurs, au début de sa carrière, il a par la suite défendu des courtiers, notamment pour le compte du Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ). Il estime que la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF) fait œuvre utile, malgré ses quelques lacunes.

Il aimerait toutefois que l’Autorité des marchés financiers exécute le mandat qui lui est dévolu par l’État. « L’Autorité ne remplit pas sa mission. C’est un constat sans bémol. Ils n’inspectent pas les grands cabinets, ils ne font rien chez les directs. Et pas par manque d’argent », insiste-t-il en parlant du surplus accumulé de 113 millions de dollars (M$), au 31 mars 2011.

En lisant le rapport annuel de l’Autorité, on ne peut pas non plus savoir dans quel secteur les 80 M$ des charges d’exploitation de l’Autorité sont dépensés, dit Me Bois. « Ils ont surement l’information à l’interne, par direction. À la direction de l’inspection, ils viennent juste d’augmenter les primes des courtiers et les couts d’inspection des cabinets. Ils contrôlent le financement de la surveillance. Alors, si c’est un problème de manque d’effectifs, qu’ils arrêtent d’embaucher des avocats inexpérimentés et qu’ils embauchent plutôt des anciens courtiers. »

Autre critique : depuis l’adoption de la LDPSF, le ministre des Finances est tenu de faire rapport quinquennal à l’Assemblée nationale sur l’état de l’industrie, à partir des données fournies par l’Autorité. Ça n’a jamais été fait. Cette obligation est inscrite dans la Loi, tout comme dans celle sur les assurances et celle sur les coopératives de services financiers, souligne-t-il. (Note de la rédaction : après l'entrevue, le 15 octobre dernier, le nouveau ministre des Finances du Québec, Nicolas Marceau, a annoncé son intention de rattraper ce retard.)

« Lorsqu'un ministre fait rapport à l’Assemblée nationale, ça soulève le débat, tout le monde peut participer. Au lieu de cela, le gouvernement préfère les consultations particulières et faire des changements à la pièce, déplore Me Bois. Par exemple, il n’y a eu aucune discussion sur les dispositions touchant l’assurance afférente au crédit qu’on trouve dans le règlement d’application de la Loi sur les assurances, alors que c’est extrêmement important », dit-il.

Indolence et manque de courage

Pourquoi cette situation? Me Bois croit qu’il s’agit de paresse intellectuelle et de manque de courage politique. « C’est long et laborieux, les consultations publiques. Lorsque tu fais le tour du Québec pour parler au vrai monde, tu n’entendras pas la même chose que lors de rencontres particulières à Québec », dit-il. Avant l’adoption de la LDPSF, en 1998, de nombreuses consultations ont permis à tout le monde de se faire entendre.

Me Bois n’hésite pas à souligner le courage de Bernard Landry, alors qu’il était ministre des Finances du Québec, et de son équipe de fonctionnaires qui ont su résister à un imposant lobbying. Les cabinets qui s’opposaient aux dispositions obligeant les courtiers à dévoiler leur intérêt au client étaient tous financés directement par des assureurs, note-t-il.

« Le projet de loi 188, c’était courageux et innovateur, dit-il. C’est la seule législation sectorielle en Amérique du Nord pour régir la profession de conseiller en assurance. Il n’y en a pas ailleurs. » Dans les autres législations, la distribution est généralement un petit chapitre de la Loi sur les assurances. » Il ajoute d’ailleurs que les petits changements apportés font vaciller la « cohérence législative » qui régit le secteur de l’assurance au Québec.

« Avant la loi 188, il y avait un grand débat autour du thème : le courtier ou l’agent représente qui, l’assureur ou le client? S’il représente l’assureur, il n’a pas d’obligations envers l’assuré, donc pas de lien contractuel. Pour le courtier, c’était un peu plus compliqué : tantôt il représente l’un, tantôt il représente l’autre. La vertu de la loi 188 a été de dire : on s’en fiche de savoir qui vous paie. Dès que vous exercez la fonction de représentant, voici vos obligations, sans égard au lien contractuel. Ce n’est pas encore bien compris. »

L’autre élément unique de la législation québécoise est la question des ventes liées. « La disposition sur les ventes liées, c’est même moi qui en ai écrit le texte », raconte-t-il.

Comme autre exemple de changement récent mené sans réel débat public, Me Bois cite en exemple celui apporté aux règles de gouvernance de la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD). Il ne comprend pas pourquoi on a accordé une place au conseil de la ChAD à un dirigeant de cabinet non certifié. « Il est impensable que dans un organisme d’autorèglementation, les règlements soient adoptés par des gens qui ne sont pas eux-mêmes l’objet de la discipline. »

Selon lui, les dispositions du titre VIII de la LDPSF, sur la distribution sans représentant, sont peu ou pas du tout appliquées. « En matière d'assurance hypothécaire, le fait qu’aucun représentant ne soit imputable est incompréhensible. Si un agent vend une police d’assurance vie de 50 000 $, il est astreint à une foule d’obligations. Mais pas celui qui vend l’assurance prêt hypothécaire? Voyons donc! Cet état de situation est certainement attribuable à la mainmise de Desjardins dans le secteur du prêt hypothécaire résidentiel », estime Me Bois.

« La défectuosité de ce produit-là est simple, dit-il. C’est la fausse illusion dans laquelle se bercent les clients concernant la protection offerte. D’abord, le processus de souscription est plus sommaire. Ensuite, la prime est intégrée dans le financement. Donc, vous retardez l’amortissement sur votre emprunt. On ne vous le dit pas. Et troisièmement, et c’est le pire, si vous changez de prêteur hypothécaire, et que vous n’êtes plus assurable, vous faites quoi? » Il propose d’abolir l’article 424 de la LDPSF afin que tous les produits d’assurance soient vendus par des « professionnels authentiques ».

Consolidation et concentration

Le degré de concentration dans l’industrie de l’assurance est un sujet de préoccupation, même si certaines transactions relèvent davantage « des hasards de la macroéconomie ». Par exemple, « AXA n’a pas eu le choix de vendre son portefeuille au Canada parce qu’elle était impliquée jusqu’au cou dans les banques grecques. AXA Canada était en très bonne santé ».

Selon lui, la logique de la consolidation n’est aucunement dictée par la logique de rationalisation des couts d’exploitation, mais elle trouve plutôt son origine dans la pression des manufacturiers qui veulent mieux diriger la distribution.

« Si le salaire du PDG dépend de la taille de l’entreprise, il veut faire croitre les affaires. Ou bien tu achètes l’assureur concurrent à deux fois les primes, ou tu achètes un cabinet à trois fois les commissions, ce qui revient à 60 % des primes. Qu’est-ce qui coute le moins cher? »

Dans les cabinets achetés par des consolidateurs, on voit les fondateurs quitter leur entreprise. « Arrivent alors dans ces cabinets des gestionnaires habillés en avocats ou des MBA, qui imposent des ratios financiers. » Ces gens-là, dit-il, finissent de faire déguerpir les courtiers les plus méritants.

Il y aurait de la relève dans le courtage, mais le financement fait défaut, dit Me Bois. Le RCCAQ travaille là-dessus, dit-il sans pouvoir entrer dans les détails, à cause du secret professionnel. Il importe pour le Québec de conserver la propriété de son réseau de distribution d’assurance. « Si on laisse la propriété des cabinets partir en Ontario, les communautés seront affectées. »

Il ajoute qu’en avalant l’Inspecteur général des institutions financières (IGIF), l’Autorité a perdu plusieurs de ses éléments les plus méritants et qui n’ont pas vraiment été remplacés. « Un type comme Paul Lapointe, il connaissait ça, l’assurance de dommages. On ne lui contait pas d’histoire et il donnait l’heure juste. »

Me Bois estime que le secteur de l’assurance est méconnu du public et il en attribue la responsabilité en partie aux médias. « Je reproche aux journalistes financiers de gober tout rond ce qui leur est donné par les services de communication des grandes institutions. C’est de la paresse. »