Les membres d’un panel réunis lors du Rassemblement pour la santé et le mieux-être en entreprise ont insisté sur l’importance de mieux coordonner la prise en charge d’employés en difficulté. À la clé : une meilleure préparation du retour au travail peut raccourcir une période d’invalidité de près de deux mois.Lorsqu’un dossier d’invalidité s’étire au fil du temps, plusieurs intervenants se succèdent et accumulent des renseignements qu’ils aimeraient partager, mais ne le peuvent pas toujours. « Il en résulte des frustrations pour l’employé et le gestionnaire responsable de son dossier qu’une meilleure intégration », a dit Mario Messier pour lancer le panel du Rassemblement pour la santé et le mieux-être en entreprise. M. Messier est médecin et directeur scientifique du Groupe entreprises en santé (GES), organisateur de l’évènement.
Ce pavé dans la mare a fait fuser les témoignages des panélistes à propos des approches déficientes qui ont produit l’inverse de l’effet recherché. François Laflamme, président d’Optima Santé globale, a rappelé l’importance pour les parties impliquées dans un dossier d’invalidité de tenir davantage compte du volet retour au travail dans leurs interventions.
« Il faut tenir compte de la dimension du retour au travail, sinon, l’absence durera en moyenne 53 journées de plus », a tiré M. Laflamme de l’expérience de son entreprise. Les intervenants d’un dossier doivent comprendre et poursuivre le même objectif, se concerter et adopter une approche uniforme, ajoute-t-il. « Les syndicats, les gestionnaires, les médecins et tout autre intervenant doivent s’entendre sur un but commun : le retour au travail. »
Dans son exemple, le rendement au travail d’un employé décline. Le gestionnaire responsable de son dossier n’a pas les compétences pour le diriger vers les ressources appropriées. L’état de santé de l’employé se détériore. Le gestionnaire le confronte alors à son mauvais rendement, et il en résulte un arrêt de travail.
« Le régime de l’employeur n’inclut ni invalidité de courte durée ni programme de prévention, relate M. Laflamme. L’employé est alors pris en charge par le programme fédéral de l’assurance-emploi. Les intervenants qui se succèdent ensuite ne sont guère mieux formés que le gestionnaire; ils ne tiennent pas compte du volet retour au travail. Or, un retour au travail sans préparation débouche le plus souvent sur une rechute ou une aggravation. La situation s’étire jusqu’à l’invalidité de longue durée. Il s’agit d’un bon exemple d’approche en silo sans intégration, où il s’écoule quelques mois avant une véritable prise en charge de l’employé. »
Lorsque défaillante, la coordination peut entrainer des ratés à toutes les étapes du processus, et pas seulement au retour. Conseillère principale chez Mercer, Diane Champagne cite l’exemple d’un assuré en fauteuil roulant qui s’est vu refuser sa protection d’invalidité de longue durée, malgré l’improbabilité d’un retour hâtif.
Son employeur lui avait suggéré au début de son invalidité de prendre des journées de vacances accumulées plutôt que l’invalidité de courte durée à laquelle il avait droit. Inconscient des conséquences possibles, l’employeur avait fait cette recommandation de bonne foi. Il voulait ainsi permettre à l’employé de recevoir 100 % de son salaire jusqu’à l’entrée en vigueur de la protection d’invalidité de longue durée.
Or, l’assureur refuse la réclamation sous le motif qu’un employé en vacances ne remplit pas la condition d’invalidité pendant deux semaines continues. L’employé ne se qualifie donc pas pour l’invalidité de longue durée. « Nous avons dû négocier ferme pour l’aider à obtenir ses prestations. Nous avons réussi parce que l’assureur s’est montré coopératif », a commenté Mme Champagne.
Directrice de la gestion de l’invalidité en assurance collective à La Capitale, Nathalie Fortier prend le relai avec un exemple qui illustre le manque de coordination pendant la relation d’aide.
Une employée s’adresse à son programme d’aide aux employés (PAE) en raison de problèmes personnels, relate Mme Fortier. Or, l’offre du PAE se limite à trois rencontres. L’employée espace donc ses rendez-vous avec l’intervenante qu’elle aime bien, pour en bénéficier sur une plus longue période. Une fois les rencontres épuisées, l’employée s’adresse à son gestionnaire, qui la redirige alors vers le programme Tandem, plus généreux avec 12 rencontres.
L’employée trouve toutefois pénible de devoir encore raconter toute son histoire à une nouvelle intervenante. Elle ne bénéficie pas d’une protection d’invalidité de courte durée et doit se fier à l’assurance-emploi. L’invalidité s’étire alors jusqu’en couverture de longue durée. L’histoire se termine bien : un programme de soutien en invalidité a permis d’augmenter le nombre de rencontres.
Le retour au travail a été réussi, mais Mme Fortier a retenu une mise en garde. « Tous voulaient l’aider, mais chacun de son côté, dans son domaine », a-t-elle conclu. « Il faut mieux comprendre tous les enjeux qui conditionnent un retour au travail réussi : il faut mettre la bonne personne au début », dit-elle.
À contrecourant
La coordination et l’approche intégrée ne se réalisent parfois qu’en sortant des sentiers battus. Pour réduire les couts de l’absentéisme à la Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles, Nancy Émond a décidé de tourner le dos à l’approche traditionnelle de confrontation qui se fonde essentiellement sur l’assiduité au travail. Coordonnatrice en gestion de la santé globale à la direction du service des ressources humaines de la Commission scolaire, Mme Émond se souvient que cette approche contribuait à faire perdurer les périodes d’invalidité. « Le cout des absences était alors très important », se remémore-t-elle.
En 2011, la direction générale la mandate d’effectuer le virage santé qui permettra de réduire les couts de l’absentéisme. Mme Émond revoit les pratiques de gestion et se penche sur la formation de 220 gestionnaires décentralisés en région. Elle s’occupe de briser leur isolement en leur permettant d’échanger. Ces intervenants primaires qui réintègreront les employés dans leur milieu doivent être mieux outillés, observe alors la conseillère en ressources humaines.
Le plan stratégique est toujours en cours. « Depuis trois ans, notre bilan préliminaire révèle que nous avons réduit les couts et le nombre de jours d’absence. » Mme Émond se sert aussi du rôle d’assureur que remplit la Commission scolaire : en effet, elle prend les invalidités en charge pendant 50 jours. Ces deux chapeaux aident la conseillère à mieux intégrer les pratiques de gestion.
Un président de syndicat qui intègre des pratiques de santé et mieux-être, c’est aussi possible. De son côté, Guy Latour ne s’en est pas laissé imposé par les plus traditionalistes de ses pairs lorsqu’il est passé à une pratique plus intégrée, il y a cinq ans. Président du Syndicat des employés professionnels et de bureau (CTC-FTQ) et de l’unité Centre Desjardins de compensation, M. Latour doit composer avec un regroupement de 90 caisses populaires syndiquées et de 8 000 employés.
Difficultés à comprendre
« Nous avons compris que les employés en arrêt de travail avaient de la difficulté à comprendre les documents et le nombre de personnes liées à leur dossier. Nous avons libéré une personne payée à temps plein par le syndicat pour leur expliquer ces documents ainsi que l’offre de l’assureur », dit M. Latour.
Le syndicat a aussi un partenariat avec le Mouvement Desjardins. Ses intervenants se déplacent dans toute la province pour communiquer avec les employés en difficulté. Étant donné leur rôle syndical, il est plus facile pour ces intervenants d’entrer chez les gens et de les écouter, explique M. Latour. « Que ce soit à Rimouski, à Gaspé ou ailleurs au Québec, il faut être avec la personne et la soutenir, savoir ce qu’elle vit : une séparation, des dettes, des problèmes de jeu compulsif, etc. On doit aussi leur faire comprendre que l’assureur a besoin d’un diagnostic pour les considérer comme invalides. »
Un but : le retour rapide au travail
Syndicat, employeur et employé poursuivent le même but dans ces dossiers : le retour rapide au travail. « Nous passons le tiers de notre vie au travail, et l’autre tiers, à dormir. La majorité des employés souhaitent retrouver leur travail le plus tôt possible. Si ce retour est bien préparé, ils ne retomberont pas en invalidité au bout de quatre mois pour une autre période d’un an, un an et demi », affirme M. Latour.
Comment l’employeur sans syndicat peut-il rivaliser avec cette approche et inspirer confiance à l’employé? Cela tient avant tout au traitement confidentiel des renseignements transmis par l’employé à son employeur, pense Diane Champagne. Les employés doivent savoir que ces renseignements ne seront pas notés à leur dossier. « L’employeur doit démontrer qu’il est là pour soutenir l’employé, et non pas pour le pousser à revenir au travail trop tôt », croit-elle.
En matière d’échange de renseignements personnels et confidentiels, François Laflamme estime que le climat de confiance permettra aux actions entreprises d’avoir l’effet escompté. « Historiquement, il n’y avait pas de communication entre l’assureur et le PAE ni entre le PAE et l’employeur. Un des défis du décloisonnement et de l’intégration des pratiques est de convaincre l’employé qu’échanger de l’information est bénéfique pour lui. »
Des limites aux échanges
Il y a toutefois des limites aux échanges. « L’employeur n’est pas tenu de connaitre le contenu d’un diagnostic, explique Nathalie Fortier. Dans une perspective de retour au travail, il lui serait toutefois utile de savoir que l’employé ne peut pas soulever des charges de 50 livres de façon répétitive. Il faut établir qui doit savoir quoi, et pourquoi. »
Dans un grand service des ressources humaines, Nancy Émond croit que le plus grand défi réside dans les communications internes. Plusieurs personnes sont porteuses de renseignements importants, surtout en cas d’invalidité psychologique avec facteurs professionnels. Des renseignements qui permettraient d’intervenir avant ou pendant l’invalidité, et aussi lors du retour.
Bien qu’il est possible d’instaurer un climat de confiance pour que l’information circule plus facilement, l’approche intégrée a ses limites, dit-elle. « Un gestionnaire ne sera jamais un psychologue. » Sa bonne volonté à vouloir jouer ce rôle risque plutôt de l’épuiser, croit Mme Émond. Selon elle, le rôle du gestionnaire consiste plutôt à signaler les problèmes