Les 24 derniers mois n'ont pas été de tout repos pour Jevco. Les problèmes du siège social américain ont poussé la direction de l'assureur à se trouver de nouveaux propriétaires pour éviter de se faire acheter par un compétiteur. Le PDG de Jevco, Serge Lavoie, a révélé au Journal de l'assurance que la bataille n'a pas été facile. Le résultat en vaut toutefois la peine : Jevco contrôle maintenant son avenir.Jevco faisait partie de Kingsway Financial Services depuis 1997. La situation du groupe s'est détériorée au cours des 24 derniers mois, résultant de pertes aux États-Unis. Au Canada, la société de portefeuilles opérait deux entreprises : Jevco, qui a toujours bien performé, et Kingsway Compagnie d'Assurance Générale, dont les résultats étaient plus mitigés.

Le 3 avril 2009, Serge Lavoie s'est vu confier la présidence de Kingsway Générale et la prise en charge des activités canadiennes d'assurance de Kingsway Financial. Plusieurs décisions importantes ont aussi été prises à ce moment, dont le retrait de certains segments d'affaires non rentables, tels le camionnage transfrontalier, certains produits en assurance des entreprises ainsi qu'en responsabilité. À partir de ce moment, Jevco s'est concentré sur ses forces : l'assurance des véhicules récréatifs (moto, VTT, motoneige), l'auto sous standard (hors normes), le cautionnement et certains segments en assurance des entreprises.

Par la suite, un autre problème se présente : Kingsway Générale est sous-capitalisée. Pour régler le problème, M. Lavoie et son équipe de direction décide d'intégrer Kingsway Générale à Jevco. Ainsi, le 1er octobre, toutes les polices souscrites par Kingsway Générale sont devenues la responsabilité de Jevco. À partir de ce moment, une seule compagnie d'assurance était active, soit Jevco, avec un volume de primes projeté de 325 à 350 millions de dollars (M$) pour 2010.

M. Lavoie n'était toutefois pas au bout de ses peines. La situation du siège social empirait vu sa mauvaise performance aux États-Unis. L'actionnaire a ainsi décidé de se départir de Jevco. L'équipe de direction devait ainsi faire un choix. Prendre en main les destinées de l'entreprise ou se laisser acheter par un concurrent. Elle a opté pour le premier. Il fallait trouver un partenaire financier. Le temps pressait toutefois. La transaction devait être conclue à la fin mars, à un prix convenant à la siège social, avec l'approbation des autorités règlementaires. Le partenaire devait être trouvé pour le 1er janvier 2010, laissant moins de huit semaines à M. Lavoie et son équipe.

Pouvoir de dire non

Il affirme qu'il a eu le pouvoir de dire à son siège social qu'il ne voulait pas que sa compagnie tombe entre les mains d'un compétiteur. « C'était hors de question. Il était aussi hors de question qu'un holding comme Kingsway Financial Services, qui ne connaissait pas nécessairement bien l'assurance, nous dicte quoi faire dans ce domaine », relate-t-il.

Le PDG de Jevco multiplie alors les rencontres. Pas moins de 20 partenaires financiers potentiels ont été rencontrés, au Québec, au Canada anglais, et même à New York, Boston et Chicago. M. Lavoie a finalement rencontré les gens du fonds d'investissement Goodwood Funds. Les trois investisseurs possédant ce fonds détenaient une participation importante dans la compagnie Westaim Corporation, une coquille vide ayant 55 M$ en liquidités. Ses actionnaires voulaient la remettre en affaires, mais n'avaient pas de projets particuliers. Après quelques rencontres, ils ont été convaincus d'investir leur 55 M$ dans Jevco.

Kingsway Financial exigeait toutefois une somme de 265 M$. Il manquait donc de l'argent. Par l'entremise de Westaim, les dirigeants de Jevco ont pu rencontrer l'Alberta Investment Management Corporation (AIMCO), le pendant albertain de la Caisse de dépôt de placement au Québec, qui gère des fonds de 70 milliards de dollars (G$). Ils ont alors accepté d'investir directement dans Westaim un montant substantiel. La transaction était conclue. Elle a été soumise au Bureau du superintendant des institutions financières en janvier et le ministre des Finances du Canada l'a approuvée le 29 mars. Ayant une charte fédérale, Jevco avait besoin de l'approbation du gouvernement canadien.

 

Jevco : présence accrue en technologie
Il y a un domaine où Jevco fera sentir sa présence auprès des courtiers : en technologie. « On aura les moyens financiers de développer notre plateforme technologique et d’offrir de meilleurs outils. Jusqu’à il y a six mois, on était encore à l’âge de pierre en ce qui concerne l’informatique chez Jevco. »« Maintenant, on est branché directement avec les courtiers et ils peuvent nous soumettre leurs applications directement sur le Web. C’est fait pour tous les segments personnels. Les segments en entreprises vont suivre en 2010 », dit-il.Le PDG de Jevco reconnait toutefois qu’il n’est pas à l’abri d’un éventuel acquéreur. Il ajoute que personne n’est à l’abri d’une offre d’achat hostile.
« L’équipe de gestion est mieux préparée qu’elle l’était en 2008 pour faire face à une telle éventualité. Si jamais il y a une offre, on verra ce qu’on fera. On se remet d’une grosse transaction. On a le support d’AIMCO, qui a des fonds de 70 G$. Notre relation avec eux est à long terme. Quant à l’acquisition de portefeuilles, on évalue, car on en a les moyens. Ce ne sera pas la priorité en 2010. On est plus ouvert qu’on l’a jamais été. Notre nouvelle situation financière nous le permet», conclut-il.

 

Jevco a ainsi su se doter d'un montage financier solide. AIMCO devenait propriétaire de Westaim à 46 % et à 46 % de Jevco, compte tenu que Jevco était détenu à 100 % par Westaim. Par ailleurs, Westaim est elle-même détenue à 20 % par l'équipe de direction de Jevco, l`équipe de direction de Westaim et par des anciens actionnaires de Westaim. Cette dernière est aussi allée se chercher des nouveaux actionnaires sur les marchés boursiers par l'entremise de la firme de valeurs mobilières GMP. Le public détient ainsi 34 % de Westaim.

« C'est une excellente nouvelle pour les 475 employés du groupe. Le siège social demeure à Montréal et génère de l'emploi dans la province. On trouve que c'est excellent pour le Québec. On est très content de notre situation financière. Les marchés ont aussi très bien réagi à la nouvelle », dit M. Lavoie.

Le PDG de Jevco ne cache pas que cette expérience a été particulièrement éprouvante. Lui et son équipe ont dû travailler durant de longues fins de semaines et de longues soirées pour conclure la transaction. L'expérience lui a même valu quelques cheveux gris de plus, dit-il, sourire en coin.

Jevco aurait-elle pu trouver de nouveaux actionnaires et fonds au Québec? « Au Québec, c'est très difficile en ce moment de trouver une entreprise qui est prête à investir des sommes de cette envergure. On a rencontré des partenaires financiers au Québec. Toutefois, le délai pressait. Kingsway Financial avait des restrictions et ne pouvait pas retarder l'échéance du 31 mars. Dans ces délais, il était impossible de trouver quelqu'un au Québec. On a été bien chanceux d'avoir AIMCO comme partenaire financier. On a cogné à leur porte au bon moment. Il y a toutefois des choses qu'on travaille encore et qui seront peut-être annoncées plus tard », laisse entendre M. Lavoie.

Siège social préservé

Le PDG de Jevco se dit particulièrement fier d'avoir regagné une stabilité financière, d'avoir sauvé 475 emplois, de conserver un siège social canadien à Montréal et de conserver un joueur supplémentaire dans le marché canadien de l'assurance de dommages.

« Ce qui est intéressant, c'est que nous avons un siège social à Montréal, des bureaux dans l'Ouest, en Ontario et dans les Maritimes, des partenaires financiers à Toronto et notre plus gros actionnaire est dans l'Ouest canadien. On est vraiment une compagnie canadienne et on écrit des risques partout au Canada. Ça nous ouvre des portes », dit-il.

M. Lavoie a aussi tenu à souligner l'apport d'un acteur du Québec inc : Jean La Couture. Bien connu dans le monde des affaires du Québec, M. La Couture est aujourd'hui président de Huis clos. Il est aussi membre des conseils d'administration de Quebecor, Energex et Jevco. Il a aussi été PDG de la compagnie d'assurance La Garantie Compagnie d'assurance de l'Amérique du Nord pendant quelques années. « C'est grâce à lui qu'on s'est rendu là. Il nous a poussé dans le dos et nous a ouvert des portes. Il nous a aiguillés dans notre transaction », dit le PDG de Jevco.

Le futur

Il affirme que sa compagnie est prête à relever les défis qui l'attendent. En plus de son siège social à Montréal, Jevco a des bureaux à Québec, Mississauga, Calgary et Vancouver. Elle souscrit des risques dans trois segments d'affaires : l'assurance des particuliers, les automobilistes à risque, surtout en Ontario, et le cautionnement.

« En assurance aux particuliers, on a toujours été reconnus comme un joueur spécialisé dans les véhicules récréatifs. On y souscrit entre 100 et 110 M$. On souscrit aussi de la moto partout au Canada. Le gros de notre volume est concentré au Québec, en Ontario et en Alberta, divisé également en trois. On écrit de l'automobile sous-standard en Ontario, entre 110 et 120 M$ de primes. C'était le volume de base de Kingsway Générale qui a toujours bien performé. On fait un peu d'auto au Québec », dit-il.

Jevco fait aussi du cautionnement, entre 25 et 30 M$ de primes, à la grandeur du Canada. « On est le cinquième plus gros assureur au pays dans ce segment, mais on est surement le premier au Québec en nombre d'entrepreneurs cautionnés. On compte 1 400 clients au Québec et on s'y spécialise dans les comptes de petite et moyenne envergure. On ne cautionne pas les grosses entreprises, mais les petits entrepreneurs ont besoin d'une caution », spécifie le PDG.

M. Lavoie ne cache toutefois pas que les déboires des deux dernières années ont quelque peu fait mal à Jevco dans le segment du cautionnement. Il se dit toutefois heureux de l'évolution actuelle. « On continue aussi à faire de l'assurance automobile en entreprises et de l'assurance aux entreprises proprement dite, pour un total de 70 M$ de primes. On exclut toutefois dorénavant tout ce qui est transfrontalier et les garanties prolongées », dit-il.

Jevco transige par l'entremise de 2 800 courtiers au Canada, par marché ouvert, dont 900 au Québec. « On s'attend à écrire entre 325 M$ et 350 M$ de primes en 2010. C'est notre objectif. Côté rentabilité, il est impossible présentement de se référer à l'historique de Jevco. Les résultats disponibles comprennent des reliquats de Kingsway Financial, avec de la réassurance à l'étranger, des traités de réassurance internes et des frais de gestion facturés par le holding. L'image publique que les gens voient n'est pas l'image de Jevco. Toutefois, on attend un rapport de GMP et on y verra un ratio combiné qui se compare avantageusement au reste de l'industrie », dit-il.

« Notre test de capital maximum excède 250 %, ce qui est trop élevé. Nous devions satisfaire les agences de crédit parce qu'on n'avait pas d'états financiers satisfaisants. Ça été un autre de nos problèmes, difficile à contourner. L'historique était difficilement explicable. Ça a été un cauchemar pour nous », affirme M. Lavoie.

En 2010, Jevco vise un volume de primes allant de 325 M$ à 350 M$, avec un ratio combiné entre 96 % et 97 %. Il estime aussi que sa compagnie connaitra de la croissance dans les trois segments où elle est présente. « On va émettre des choses rentables. On ne coupera pas de prix. Notre plan n'est pas modifié en quoi que ce soit. On n'achètera pas de volume. Toutefois, au plan financier, on a maintenant les moyens de se défendre face à nos compétiteurs », dit-il.

M. Lavoie ajoute aussi que ses concurrents ont tablé sur la santé financière précaire de Jevco en 2009. « On se faisait attaquer sur notre cote de crédit, sur notre solidité financière et sur notre réputation. Ce sera plus difficile pour eux d'en profiter en 2010. Notre nuage d'instabilité s'est dissipé et on est capable de répondre. Nous étions sur la liste des assureurs agréés par Hydro-Québec. On l'a malheureusement perdue au milieu de 2009. Ça nous a causé des problèmes importants. Au lendemain de l'annonce de la transaction, nous sommes heureusement réapparus sur la liste des fournisseurs autorisés. Ça a soulagé nos courtiers et les gens d'Hydro-Québec. La même situation a été vécue dans les autres provinces avec d'autres entreprises », dit-il.

M. Lavoie dit aussi avoir eu un bon support des courtiers en 2009, même si certaines grosses boites de courtage avisaient leurs clients que Jevco n'étaient pas dans la catégorie sécuritaire des agences de notation. « On ne prétend pas être capable de rivaliser avec les gros assureurs demain matin. On ne commencera pas à compétitionner dans le marché régulier. On a des niches spécialisées. On va continuer à les faire évoluer. On va peut-être en greffer d'autres. Il n'y a pas de changement de philosophie par rapport à ce que l'on faisait chez Kingsway. Les mêmes produits vont demeurer présents », dit-il.