Le segment de l’assurance des particuliers bénéficie de la majorité des innovations technologiques. L’assurance des entreprises accuse un retard à ce niveau, que reconnaissent les assureurs et les fournisseurs de système de gestion de courtage (BMS).
L’industrie de l’assurance n’est pas la seule à amener les innovations technologiques plus tard pour les entreprises que pour les particuliers. La même situation se retrouve dans le secteur bancaire, affirme Luc Corbeil, directeur, technologies de l’information, chez Groupe Ultima. « Par exemple, le dépôt de chèque via mobile est disponible depuis fort longtemps pour les particuliers. Or, la fonctionnalité n’est disponible que depuis quelques années pour les entreprises », relate-t-il.
Cette réalité est aussi vraie pour la mise en œuvre des normes du Centre d’étude de la pratique d’assurance (CSIO) en assurance des entreprises. Actuellement, les normes existent, mais l’implantation et l’utilisation ne sont pas uniformes à travers les différents assureurs, soutient Stephanie Wei, directrice des communications pour le CSIO.
Plusieurs facteurs expliquent ce retard. L’un d’eux est la complexité des risques. Deux entreprises peuvent ne pas obtenir la même police d’assurance pour un même risque, affirme Ascher Berros, gestionnaire de projets stratégiques, chez Groupe Ultima. « Les normes sont donc beaucoup plus difficiles à standardiser. »
La diversité des produits n’aide pas
Les différentes offres de produits de la part des assureurs rendent la tâche plus complexe. « Les produits varient beaucoup en assurance des entreprises, souligne Bryan Harper, vice-président et chef de l’information chez Echelon. Ils sont parfois simples, par exemple pour une petite entreprise. Quand les risques deviennent plus complexes, le processus est toujours très manuel. Certains courtiers se demandent quel est l’avantage d’adopter les normes du CSIO lorsqu’ils doivent tout de même répondre à des centaines de questions. »
Plusieurs assureurs sont en processus de mise à jour de leurs systèmes patrimoniaux. Ce processus accapare actuellement leurs ressources, si bien qu’ils ne sont pas concentrés à faire avancer les innovations technologiques, dit Kevin Campbell, président et chef de la direction de Policy Works.
« Cela cause un manque d’homogénéité entre les systèmes des assureurs et leur habileté à faire certaines fonctions ou à mettre en place des normes. Ceci peut aussi rebuter les courtiers à adopter toutes les fonctionnalités de leur BMS », indique-t-il.
Il est toutefois plus facile de le faire pour certains segments, comme l’assurance automobile commerciale ou les petites entreprises qui répondent à des critères pointus. « Les éléments de données requis pour souscrire différents types de polices sont homogènes, particulièrement en assurance automobile, qui est fortement règlementée, rendant ainsi le développement des normes et logiciels plus facile. En revanche, la définition de petites entreprises varie d’un assureur à l’autre. Un petit risque chez l’un est plus grand chez l’autre », explique Mme Wei.
Heureusement, plusieurs assureurs migrent vers un seul produit appelé à être personnalisé, remarque Luc Corbeil. « Il faut tout de même standardiser la personnalisation, ce qui n’est pas une mince affaire. C’est difficile d’automatiser un processus s’il n’y a pas de norme. Avant d’en arriver là, il faudra que les assureurs s’entendent sur quel type de produit ils veulent offrir. »
La masse critique de transactions pèse lourd
Finalement, la masse critique de transactions en assurance des particuliers pousse les assureurs à y amener les innovations d’abord. « Bien que le montant total des primes soit plus élevé en assurance des entreprises, le nombre de polices en assurance des particuliers pèse davantage pour les assureurs. Avec les entreprises, les contrats se négocient encore parfois en personne », remarque Luc Corbeil.
Un fait que constate aussi Bryan Harper. « Le nombre de transactions va dicter l’endroit où les investissements se dirigeront. En revanche, la majorité des grandes entreprises ne cherchent pas à se procurer leur police d’assurance en ligne. Elles utiliseront encore les vieilles méthodes de fonctionner pendant plusieurs années », dit-il.
Il explique aussi que les consommateurs en assurance des particuliers veulent des expériences numériques, avoir accès à leur police sur un portail client et sur leur appareil mobile. Il ne voit pas cette situation se transposer pour les grands risques.
Un groupe de travail qui fait l’unanimité
Tous se réjouissent de l’annonce de la création d’un groupe de travail chargé de se pencher sur la question par le CSIO. Plusieurs assureurs, dont Aviva Canada et Northbridge Assurance, participent au groupe de travail. Intact Assurance est aussi l’un des assureurs faisant partie du groupe. Il n’a toutefois pas donné suite aux questions du Journal de l’assurance.
Avant d’en arriver à la constitution du groupe, le CSIO avait mandaté le Conference Board du Canada en 2017 pour tenir une vaste consultation auprès de l’industrie au moyen d’un groupe d’étude composé de courtiers, d’entrevues téléphoniques menées auprès de dirigeants d’assureurs et de fournisseurs. Un sondage mené auprès de 130 courtiers complétait le tout.
Mme Wei précise que la mission du groupe de travail sera de déterminer les éléments de données minimums qui sont communs à toutes les polices d’assurance, peu importe la taille ou la complexité. « Cet ensemble de données servira alors comme fondation pour le travail qui sera fait pour implanter les normes de transmission de données en assurance des entreprises », ajoute-t-elle.
« Aviva maintient son engagement à stimuler le dialogue pour le segment des entreprises, c’est pourquoi nous participons au groupe de travail du CSIO afin de faire avancer les innovations dans le segment », ajoute Paul Fletcher, premier vice-président, distribution, chez Aviva.
Ne pas prendre 20 ans pour aboutir
« C’est une prémisse, nuance à son tour Ascher Berros. Le CSIO a démontré une volonté et a demandé aux assureurs importants de s’assoir ensemble et discuter. Il peut se passer plusieurs années avant qu’une solution concrète soit lancée. Ensuite, il faudra que les assureurs et les fournisseurs de BMS s’ajustent pour pouvoir intégrer ce nouveau flux de données », précise-t-il. Son collègue Luc Corbeil espère que le processus ne s’échelonnera pas sur 20 ans.
Il est encore trop tôt pour dire quand l’écart technologique sera éliminé entre les segments de l’assurance des entreprises et des particuliers, explique Stephanie Wei. « La clé est que nous détenons un large éventail d’assureurs qui collaborent avec nous sur une approche commune pour l’implantation », conclut-elle.