Après avoir vu l’Indice composé S&P/TSX perdre plus du tiers de sa valeur en 2008, nombre d’investisseurs constatent que leur seuil de tolérance au risque est plus bas qu’il l’estimait avant la crise financière.
En février, Franklin Templeton Investments a publié les résultats d'un sondage Angus Reid qui révèle un degré élevé d'anxiété et de confusion chez les investisseurs canadiens. Les répondants se sont décrits à 34 % comme « méfiants ou craintifs », et à 32 % comme « hésitants » sur la façon de définir leur propre personnalité d'investisseur. Les personnes âgées se disaient particulièrement prudentes. Seulement 4 % des personnes âgées de 55 et plus se qualifiaient d'« investisseurs téméraires ».
« Il est clair que l'attitude de nombreux investisseurs envers le risque a changé », souligne Peter Ficek, un planificateur financier agréé de Calgary. Il peut être contrariant de découvrir que sa tolérance au risque est une cible mobile, mais ce n'est pas, à ses yeux, une raison pour renoncer aux principes de la prudence en investissement. Sa préoccupation est que l'ampleur de la crise des marchés a poussé certains à rechercher les profits vite faits, ou une sortie rapide. Dans un cas comme dans l'autre, ils pourraient finir par se faire plus de tort que de bien.
M. Ficek cite le cas d'un homme qui a placé toutes ses épargnes dans un compte de retraite immobilisé (CRI). Devant les pertes de son portefeuille, il a tenté de toucher ces fonds au moyen d'un emprunt douteux. L'Agence du revenu du Canada met en garde contre ce genre de désimmobilisation, puisque tout emprunt contracté sur des fonds enregistrés est susceptible d'être considéré comme une cession des actifs et peut entraîner l'imposition du solde du CRI comme un revenu au cours d'une même année.
« De nombreuses personnes sont bombardées de divers investissements immobiliers dont les termes de commercialisation laissent entrevoir des rendements garantis pouvant atteindre 22 % », de dire M. Ficek. Lorsque les investissements traditionnels font défaut, « il est plus facile que jamais de se laisser influencer par des stratagèmes trop beaux pour être vrais ».
Terry Johnston, planificateur financier agréé de J. C. Mitchell Financial Services, à Barrie, Ontario, croit que les clients surestiment toujours leur tolérance au risque. « Certains m'ont même berné », dit-il. Lorsqu'il discute de risque avec des clients, M. Johnston leur demande d'abord ce qu'ils ressentiraient si un investissement de 100 $ se dépréciait, en une semaine, à 80 $. « La plupart des gens répondent que ce n'est pas la mer à boire », dit-il. « Je change ensuite les sommes pour 100 000 $ et 80 000 $. »
Les clients peuvent affirmer être des investisseurs à long terme et être prêts à laisser leur argent investi dans les marchés pour vingt ans ou plus, mais M. Johnston leur demande comment ils réagiraient si un coup d'œil à leurs comptes leur apprenait qu'ils ont perdu 20 %. S'ils me disent que cela les perturberait, ma réponse est : « D'accord, vous n'êtes pas fait pour le long terme, mais plutôt pour un an. »
M. Johnston dit constater une réticence à investir, pas seulement en vue de la retraite, mais dans quoi que ce soit. Pour la présente saison des REÉR, il a recommandé aux investisseurs nerveux de placer leur cotisation dans des fonds du marché monétaire pour pallier d'autres mauvaises surprises éventuelles.
Où va l'argent?
Les clients de M. Johnston semblent être représentatifs de la moyenne. Les statistiques publiées par l'Institut des fonds d'investissement du Canada (IFIC) en mars révèlent que les investisseurs ont de loin privilégié les fonds du marché monétaire canadien durant 14 des 18 derniers mois. En février 2009, les ventes nettes de fonds communs de placement totalisaient près de 1,7 milliard de dollars (G$), dont 1,4 G$ (82 %) a été investi dans des fonds du marché monétaire.
L'IFIC note aussi que les fonds d'obligations sont en forte croissance, ayant attiré 870,4 millions de dollars (M$) en ventes nettes dans le dernier mois de la saison des REÉR 2009. « Il y a manifestement un segment du marché qui a redécouvert les fonds d'obligations et les avantages de ce type de diversification sur la volatilité globale d'un portefeuille », indique Pat Dunwoody, vice-présidente des services aux membres et des communications à l'IFIC.
La plupart de ses clients détenaient déjà des parts de fonds distincts avant le repli. M. Johnston dit ne pas avoir reçu beaucoup de demandes de transfert de fonds d'actions vers des certificats de placement garanti et des fonds d'obligations. Ses clients sont réticents à modifier leurs portefeuilles, en raison de l'effet négatif que cela aurait sur le rendement garanti à l'échéance.
Peter Ficek a aussi des clients ayant des contrats de gestion distincte, dont une cliente intéressée à déplacer des actifs dans un produit assorti d'une garantie de retrait minimum (GRM), mais n'ayant pu le faire en raison de droits de rachat. « Les produits doivent changer pour répondre aux attentes de la clientèle, dit-il. L'émetteur perdra des clients à l'expiration des pénalités, étant donné que je n'ai pu aider la cliente à déplacer ses actifs. Cela lui aurait donné confiance dans le long terme de rester dans une composition d'actions à long terme et de titres à revenu fixe. Je parie qu'il existe de nombreux clients qui ont cette opinion. »
Site Web
Terry Johnston a créé un site Web, www.blue-collar-financial-planning.com, dans lequel il communique de l'information plus détaillée à ses clients et à des clients potentiels. Il y mentionne des solutions de rechange aux produits traditionnels de gestion de fortune. À son avis, le meilleur investissement de rechange que les clients peuvent faire est d'investir en eux-mêmes. Il estime que ceux qui sont prêts à apprendre de nouvelles aptitudes peuvent générer un revenu de retraite en mettant sur pied un gîte touristique, une entreprise en ligne, ou en achetant et en exploitant leur propre immeuble d'appartements.
Une autre section de son site Web est consacrée aux métaux précieux, auxquels il suggère de réfléchir, car ils ont tendance à être non corrélés à d'autres catégories d'actif, et ont déjà une bonne couverture contre l'inflation. « Il existe une possibilité très réelle de hausses massives de la valeur des métaux précieux, tandis que la possibilité de recul désastreux du dollar américain et sa régression comme monnaie mondiale de réserve deviennent de plus en plus vraisemblables », écrit-il.
L'or a assurément brillé dernièrement. Pendant que les rachats de fonds d'actions à long terme ont atteint plus de 10 G$ depuis le début de l'année, les actifs de fonds spécialisés comme le BullionFund de BMG ont continué de croître. Le BullionFund, qui investit dans les lingots d'or, d'argent et de platine, a accru ses actifs nets d'un peu plus de 185 M$ au printemps de 2008 à plus de 265 M$ en 2009. Espérant attirer quelques-uns des nouveaux convertis canadiens à l'or, Sprott Asset Management a lancé son propre fonds de lingots en mars.
Les investissements de rechange existent bel et bien, mais cela ne signifie pas que les Canadiens sont vraiment en position d'en tirer profit. Les gens ont peut-être dit aux sondeurs qu'ils comptaient investir dans leur REÉR à la fin de 2008 et au début de 2009, mais selon une enquête de Léger Marketing pour le compte du Fonds de solidarité FTQ, beaucoup d'entre eux n'ont pu matérialiser leurs intentions. C'est particulièrement vrai au Québec où, selon l'Institut de la statistique du Québec, le taux d'épargne moyen dans les trois premiers mois de 2008 a chuté à seulement 1,4 % du revenu personnel disponible - le niveau le plus bas depuis dix ans.
« Les Québécois devraient être félicités pour leurs intentions d'épargner malgré le ralentissement de l'activité économique, mais la vérité est que la réalité est tout autre. Nous savons que le revenu des ménages canadiens a stagné au cours des dernières années et que le niveau d'endettement des Québécois continue d'augmenter, tout comme leurs dépenses, notamment chez les jeunes », précise Christian Bourque, vice-président de Léger Marketing.
Tandis que les cotisations aux REÉR continuent de diminuer, il en va de même pour les perspectives de vieux jours confortables. « Nous pensons que les gens de la classe moyenne n'arriveront pas à conserver leur niveau de vie actuel une fois à la retraite, faute de moyens. Le fait est que 36 % des ménages de la classe moyenne du Québec n'ont pas mis d'argent de côté en 2007, et que ceux qui l'ont fait ont épargné seulement 1 800 $, souligne M. Bourque. La situation est même pire pour les moins de 40 ans, car la génération dite "cash flow" ne croit pas aux budgets, ne priorise pas l'épargne, dilapide son argent et ne pense pas à long terme. »