Le phénomène de la désinformation médicale prend de l’ampleur. Dans le secteur de l’assurance, il se manifeste de manière anecdotique à travers des réclamations liées à des traitements devenus populaires sur TikTok.

On constate dans l’industrie que de nombreux Canadiens suivent des conseils médicaux trouvés en ligne. Ces conseils entrent parfois en contradiction avec ceux de leur médecin, et ont des répercussions négatives sur leur santé. 

L’Association médicale canadienne (AMC) a commencé à mesurer ces répercussions. Ses données révèlent qu’un nombre croissant de Canadiens sont exposés à de la désinformation en matière de santé, avec des conséquences importantes. 

Pénurie de médecins 

David Coletto

Un sondage mené auprès de 3 727 adultes canadiens, réalisé pour l’AMC par Abacus Data dans le cadre de la deuxième édition du suivi annuel sur la santé et les médias (2025), révèle que 37 % des répondants n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers Internet pour obtenir de l’information médicale, faute d’accès à un médecin. 

Quatre répondants sur dix affirment avoir suivi des conseils médicaux trouvés en ligne. Un sur trois les a appliqués en priorité par rapport aux recommandations de son médecin, et 23 % disent avoir eu une réaction négative après avoir suivi ces conseils. 

« Et ce ne sont que ceux qui acceptent de l’admettre », souligne David Coletto, chef de la direction d’Abacus Data. 

Par ailleurs, un Canadien sur quatre âgé de moins de 30 ans affirme que sa principale source d’information est TikTok.

Le sondage mesure aussi la tendance à éviter l’actualité : Abacus note une hausse de quatre points de pourcentage des répondants qui disent éviter complètement les nouvelles. En matière médicale, quatre Canadiens sur dix affirment ne pas avoir confiance en leur capacité à trouver de l’information exacte. 

Anxiété en hausse 

Dr. Theresa Tam

La désinformation liée à la santé a provoqué une détresse mentale ou accru l’anxiété, estiment 43 % des répondants. Elle a aussi entraîné une baisse de la confiance envers les professionnels de la santé chez 41 % des répondants, et 38 % disent avoir retardé des traitements. 

Le sondage a aussi évalué les sources d’information jugées fiables. Pour 56 % des répondants, l’auteur de l’information est un indicateur déterminant de sa crédibilité. 

« Il y a de plus en plus d’acteurs mobilisés pour diffuser de l’information crédible auprès du grand public », affirme la Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, lors d’un panel de discussion sur les résultats du sondage de l’AMC. « C’est essentiel, mais comme l’écosystème informationnel, nos efforts restent fragmentés. » 

Assureurs préoccupés 

Même si le rapport ne traite pas directement du rôle des assureurs, deux assureurs collectifs interrogés par le Portail de l’assurance confirment que la désinformation médicale représente une préoccupation à laquelle le secteur peut activement contribuer. 

L’assurance collective a un rôle à jouer pour sensibiliser et promouvoir une information fondée sur des données scientifiques – Éric Trudel

« L’assurance collective a un rôle à jouer pour sensibiliser et promouvoir une information fondée sur des données scientifiques », affirme Éric Trudel, vice-président exécutif et leader de l’assurance collective chez Beneva. « Nous travaillons en trio en assurance collective : l’assureur, le conseiller et le promoteur du régime. Comme pour tout enjeu, il faut collaborer, et je crois que nous le faisons de plus en plus. » 

Par exemple, les grands promoteurs de régime voudront communiquer avec leurs employés à l’aide de matériel produit par les assureurs. En ce moment, des sujets comme la santé mentale ou la ménopause sont d’actualité. M. Trudel précise que Beneva travaille aussi sur l’anxiété (elle finance la Chaire de recherche Relief en santé mentale, autogestion et travail, propulsée par Beneva), les migraines, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (plus courant chez les adultes que chez les enfants) et la stéatose hépatique. 

Éric Trudel

Des sujets comme l’adhésion aux traitements médicamenteux pourraient aussi être abordés. À l’avenir, les discussions pourraient inclure les médicaments pour le diabète comme l’Ozempic et le Wegovy, de plus en plus utilisés pour traiter l’obésité. 

Éric Trudel ajoute que si un promoteur de régime constate une utilisation accrue de médicaments contre l’anxiété, cela peut être abordé par des campagnes d’information. De même, si un grand nombre de cas d’invalidité sont liés à des douleurs lombaires, l’assureur peut en faire le signalement, et l’employeur peut agir en conséquence avec ses employés pour traiter les causes sous-jacentes. 

Pour accompagner ses promoteurs de régime, Beneva publie aussi un bulletin traitant des tendances actuelles du coût des médicaments sur ordonnance, en soulignant les facteurs clés qui influencent leur trajectoire. L’entreprise a observé une augmentation annuelle de 34 % des prestations versées pour les médicaments à coût élevé au cours des trois dernières années. Elle gère cette croissance à l’aide d’ententes pharmaceutiques, de programmes d’autorisation préalable et de substitution de biosimilaires. 

Motiver les assurés 

Doug Bryce

Chez Manuvie, Doug Bryce, vice-président des garanties collectives pour Manuvie Canada, indique que l’entreprise offre aussi à ses membres et promoteurs de régime de l’information validée sur divers sujets de santé. Elle a d’ailleurs conclu un partenariat avec le programme Aéroplan permettant aux membres de régime d’accumuler des points en lien avec des activités de santé. 

« On peut motiver nos membres à explorer de l’information santé validée par des experts pour les soutenir dans leur cheminement vers le mieux-être », dit-il. 

Chez les deux assureurs, des partenariats stratégiques ajoutent de la crédibilité à l’information fournie. Manuvie a notamment conclu une entente avec Cleveland Clinic, qui agit désormais à titre de directrice médicale de l’assureur. Du côté de Beneva, Telus Santé alimente son programme d’aide aux employés. 

Nous passons d’un rôle transactionnel de payeur de réclamations à celui de partenaire de santé – Doug Bryce 

« Nous croyons que les assureurs ont un rôle à jouer dans la lutte contre la désinformation médicale », soutient M. Bryce. « Nous passons d’un rôle transactionnel de payeur de réclamations à celui de partenaire de santé pour nos membres et promoteurs de régime. Un élément clé de cette transformation consiste à fournir aux membres les outils et ressources pour améliorer leurs résultats de santé. » 

Contrer la désinformation 

Craig Silverman

Les chercheurs de l’AMC ont noté une hausse de neuf points de pourcentage, d’une année à l’autre, des répondants qui estiment qu’un meilleur accès à l’information médicale contribuerait à contrer la désinformation. 

Le problème, c’est que les auteurs de désinformation sont souvent plus efficaces que nous pour diffuser leur message – Craig Silverman 

Journaliste à ProPublica et expert en désinformation, Craig Silverman prévient toutefois que le volume de fausses informations est tel que les efforts pour les contrer doivent être tout aussi massifs. « Il faut saturer les gens d’information fiable », dit-il. « Le problème, c’est que les auteurs de la désinformation sont souvent plus efficaces que nous pour diffuser leur message. » Ils sont très motivés, ajoute-t-il. « Et si vous ne l’êtes pas autant, vous n’arriverez pas à convaincre aussi bien qu’eux. » 

Enjeu de découvrabilité 

Les gens n’ont d’autre choix que de partager de mauvaises informations - Angela Pacienza 

Au-delà de la désinformation, la rédactrice en chef du Globe and Mail, et participante au panel de discussion sur les résultats du sondage de l’AMC, Angela Pacienza, souligne un important problème de découvrabilité au Canada : les réseaux sociaux bloquent les liens d’actualités et les informations partagées dans les groupes. « Les gens n’ont d’autre choix que de partager de mauvaises informations », dit-elle.

Angela Pacienza

Les conséquences sont sérieuses, ajoutent les panélistes. Elles vont de patients qui refusent du sang vacciné à des patients atteints de cancer qui refusent leurs traitements, croyant qu’ils causent eux-mêmes le cancer. 

Pourquoi les assureurs devraient-ils se préoccuper de la question ? L’enquête de l’AMC révèle qu’un grand nombre de Canadiens sont très vulnérables à la désinformation : 43 % sont considérés comme hautement vulnérables, et un autre 35 % comme modérément vulnérables. 

« Notre mission chez Manuvie est d’aider nos membres à vivre plus longtemps, en meilleure santé et avec une meilleure qualité de vie. Toute chose qui contredit cette mission nous préoccupe profondément », lance Doug Bryce. 

« En peu de temps, nous sommes passés d’un paysage avec quelques sources fiables à un écosystème fragmenté, divisé en chambres d’écho guidées par les préférences et biais personnels, alimenté par des algorithmes opaques et marqué par la polarisation », résume pour sa part l’AMC. 

L’AMC dit s’inquiéter du fait que les algorithmes des réseaux sociaux, conçus pour stimuler l’engagement, favorisent la diffusion de désinformation, qu’on le veuille ou non. « Comme le montre cette étude, ce qui est bon pour les profits des géants technos ne l’est pas nécessairement pour la santé des Canadiens. »