Quand on leur demande s’ils considèrent que la double entrée est toujours un problème, des courtiers répondent que oui. Et les fournisseurs de BMS abondent dans le même sens.

« C’était un problème à mes débuts dans l’industrie il y a 15 ans, et c’est toujours un problème. Toutefois, il y a eu quelques améliorations de ce côté », a confié Sean Graham, président d’Idea Insurance, en entrevue au Journal de l’assurance.

Jean Philippe Martineau, président du Groupe Ostiguy & Gendron Assurance, attribue le manque de cohésion dans les informations requises par les différents assureurs à ce problème persistant. De plus, un nombre réduit de questions demandées par chacun des assureurs améliorerait l’efficacité du courtier.

« Si le courtier pose 20 questions à son client, que les assureurs réduisent le nombre de questions à 5 ou 10 pour fournir une indication de prime, et que son portail tire l’information directement du BMS, le gain en efficacité se fera inévitablement ressentir si ceci élimine la saisie manuelle dans plusieurs portails », ajoute M. Martineau.

Et ceci porte certains courtiers à favoriser l’assureur dont il préfère le portail, ce qui peut entrainer un phénomène de concentration auprès de cet assureur. « Cette concentration se fait malheureusement au détriment de la valeur ajoutée qu’un cabinet de courtage indépendant présente aux clients », déplore-t-il. Il dit que la solution réside dans un transfert automatique des données du client entrées dans le BMS vers le portail des assureurs.

Un phénomène qu’a aussi remarqué Luc Corbeil, directeur, technologies de l’information au Groupe Ultima. « Oui, cette tendance est présente, mais pas seulement pour la double entrée, de façon générale aussi. Les gens ont tendance à favoriser un assureur principal. Un système efficace n’est qu’un des éléments qui l’influence. »

David Larkin, président de Logiciels Deltek, croit qu’un meilleur partenariat entre les BMS et les assureurs permettrait de faire des envois directs, mais que cette solution tarde à venir. « Les assureurs sont de grosses entreprises avec qui les projets avancent lentement », affirme-t-il. M. Larkin évalue toutefois la faisabilité d’une telle innovation.

M. Corbeil, abonde dans le même sens. « Il faut intégrer davantage les BMS aux systèmes des assureurs. L’intégration complète, c’est l’avenir. Ce serait plus simple pour les courtiers. » En attendant, M. Corbeil avance d’autres solutions, comme celle de copier et de coller des champs dans deux interfaces.

Une culture du secret au sein des assureurs freine les avancées pour régler le problème de la double entrée, selon M. Corbeil. « Le marché de l’assurance est très traditionnel. Les assureurs ont tenu à protéger leurs informations. Mais l’industrie est en transformation. Inévitablement, les lignes de distribution aussi. Que les assureurs s’ouvrent à une façon quelconque pour que les courtiers puissent accéder à des données dans leur système est une évolution nécessaire et normale. »

M. Corbeil précise d’ailleurs que cette ouverture est bénéfique pour la relation client-courtier. L’assureur aurait tout à gagner de donner accès à ses informations dans le but d’optimiser ses ventes selon lui.

L’obstacle des vieux systèmes

De façon générale, les entreprises de BMS s’affairent à trouver une solution à ce problème vécu par les courtiers, mais rencontrent un obstacle important : de vieux systèmes chez les assureurs. « Certains assureurs ont de vieux systèmes qui ne sont pas compatibles, et d’autres sont en processus de changement, et donc ne veulent pas régler le problème de connectivité tout de suite », explique Stéphane Lacasse, vice-président, produits et tarification, chez Applied Systems.

Philippe Joassin, vice-président, ventes chez Applied, a tenu à préciser que les rencontres avec les assureurs se font maintenant en compagnie d’un courtier. « Nous voulons impliquer davantage les courtiers pour discuter des embuches puisqu’ils sont directement touchés. »

L’arrivée des eDocs du Centre d’étude de la pratique d’assurance (CSIO) il y a quelques années, des documents électroniques compatibles avec la majorité des logiciels de gestion de cabinet de courtage (BMS), facilite la tâche pour les courtiers et réduit le temps de traitement. En mai dernier, le CSIO a dévoilé un tableau qui fait état des compagnies d’assurance et mutuelles d’assurance qui utilisent les eDocs, des secteurs pour lesquels elles utilisent les eDocs et quels types d’eDocs elles transmettent. Des quelque 2 000 courtiers canadiens, 81 % d’entre eux se servent de ces documents électroniques.

Comment Catherine Smola, présidente et chef de la direction du CSIO, explique-t-elle que tous les assureurs et courtier n’utilisent pas les eDocs? Par des technologies obsolètes. « Certains assureurs n’ont pas implanté de nouveaux systèmes, particulièrement en assurance des entreprises. Parmi les courtiers, une petite minorité n’utilise même pas de système de gestion de courtage. Malgré ces obstacles, l’adoption des eDocs croît à chaque année. Nous nous attendons à ce que cette tendance continue. »

Selon des données du CSIO, les eDocs ont entrainé des économies de 22 millions de dollars pour les courtiers à l’échelle du pays entre 2015 et 2016. Mme Smola soutient que ce nombre est calculé en tenant compte des étapes administratives que les courtiers ont pu éliminer grâce aux eDocs, le temps requis pour les compléter et le cout qu’elles représentent. En 2016, 22 millions d’eDocs ont été envoyés en assurance des particuliers, alors que ce nombre s’élève à 1,1 million en assurance des entreprises.