Les commissions, bonis et autres incitatifs de vente utilisés dans l’industrie des services financiers n’ont pas la cote aux yeux des régulateurs.
Coup sur coup, en moins d’un an, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières et l’Autorité des marchés financiers ont rendu publics des rapports accusant ces pratiques d’encourager les conseillers financiers à faire passer leurs intérêts propres avant ceux de leurs clients. C’est également l’esprit du projet de loi 141 déposé en octobre 2017 par le gouvernement du Québec.
Pour Pierre Lortie, cette recherche du conflit d’intérêts zéro va se faire au détriment des petits investisseurs et les conséquences sociales seraient désastreuses. Il y voit une question politique et non pas réglementaire.
Conseiller principal au sein du cabinet d’avocats Dentons Canada, il intervient dans les dossiers de réglementation du secteur financier. M. Lortie a occupé auparavant plusieurs postes à la haute direction de Bombardier, de Provigo, de la Bourse de Montréal et de SECOR.
« Le rôle primordial des gouvernements, c’est de faciliter l’accès au conseil financier afin d’aider les ménages à se constituer un patrimoine suffisant en vue de leur retraite, affirme-t-il. C’est la raison principale pour laquelle les gens investissent dans des instruments financiers », a dit M. Lortie lors du Congrès 2017 de l’assurance et de l’investissement.
Au Canada, les études démontrent que les investisseurs individuels assistés par un conseiller financier accumulent un patrimoine presque quatre fois plus important après quinze ans que ceux qui gèrent leurs affaires seuls, dit M. Lortie. « La même tendance existe aux États-Unis et en Europe. Les ménages ont une aversion pour le risque financier. Sans l’aide d’un conseiller, ils se rabattent sur des investissements comme les obligations qui rapportent peu à moyen et long terme. »
Les enquêtes empiriques effectuées ici comme ailleurs font aussi ressortir que la majorité des consommateurs préfèrent un régime de commissions intégrées plutôt que d’autres formes de paiement pour les services d’un conseiller financier. Ils ont une réticence particulière à payer à l’acte. Contrairement aux biens de consommation, le conseil financier est un « bien de confiance » dont la valeur est à long terme.
Une réglementation qui fait fi de cette forte préférence des consommateurs conduit à une diminution de la demande de conseils financiers, explique M. Lortie. Selon l’OCDE, c’est l’un des principaux facteurs de l’accroissement de la proportion des ménages qui sont mal pris une fois à leur retraite, ajoute-t-il.
À ce jour, le cadre réglementaire canadien a favorisé la concurrence en obligeant à rendre publics les montants des commissions versées aux conseillers. Les pays comme le Royaume-Uni qui ont interdit ce mode de rémunération sont aujourd’hui empêtrés dans les effets pervers qui en découlent : la réduction de l’accessibilité et du caractère abordable du conseil financier, dit M. Lortie.
« Cela touche particulièrement les individus dotés d’un petit patrimoine. Ça va à l’encontre de la mission des politiques publiques qui est de promouvoir l’épargne et l’accumulation de la richesse au sein des ménages. »
Le problème vu par les régulateurs
Aux yeux des régulateurs, pourtant, le principal problème ne réside pas dans l’accès aux services financiers, mais dans la structure de rémunération actuelle centrée sur les commissions. Cette structure compromettrait le rôle des conseillers financiers en créant une situation de conflit d’intérêts insoluble.
Ils insistent donc pour prohiber toute rémunération qui n’est pas directement payée par le consommateur. Pierre Lortie rejette catégoriquement et le diagnostic et le remède proposé.
« La réalité, c’est que les conseillers financiers croient personnellement en leurs recommandations comme en témoigne le fait qu’ils acquièrent souvent les mêmes produits financiers pour leur propre portefeuille. »