Passé pratiquement inaperçu en 1999, un changement à la Loi de la Régie des rentes du Québec produit depuis peu un effet pervers : des rentiers voient leur rente de retraite amputée. Plusieurs clients en assurance invalidité pourraient se retrouver ainsi sous-assurés.Votre client de 60 ans devient invalide. Cinq ans plus tard arrive le temps de sa retraite. Or, au grand désarroi du client, la rente d’invalidité de la Régie des rentes du Québec (RRQ) à laquelle il croyait avoir droit est amputée de 30% en raison des prestations d’invalidité qu’il a reçues du même organisme pendant cinq ans!

Le monde à l’envers? Malheureusement pour les cotisants à la Régie, ce paradoxe est bien réel. C’est une modification survenue à la Loi sur le régime des rentes du Québec le 1er janvier 1999 (article 120.2) qui l’a créé de toutes pièces.

L’article en question a pour effet de réduire le montant mensuel initial de la rente de retraite d’un facteur de 0,5% par mois entre le 60e et le 65e anniversaire d’un prestataire de la rente d’invalidité de la RRQ. De plus, la prestation d’invalidité est devenue imposable depuis 1999. Le cotisant se retrouve ainsi doublement pénalisé (voir tableau Pertes estimées en raison de la modification de 1999).

« Ainsi, depuis le 1er janvier 1999, un cotisant [à la RRQ] de 65 ans qui aurait reçu une rente d’invalidité de 60 à 65 ans verrait sa rente de retraite réduite de 0,5% par mois pendant 60 mois, soit 30%. Il n’aurait donc droit qu’à 70% de sa rente de retraite de base », illustre l’avocate Nancy Sawyer du cabinet spécialisé en droit de l’assurance Charbonneau, avocats conseils.

En outre, ce changement passé en douce engendre plusieurs conséquences autres que de bouleverser la planification de retraite de certains clients.

Par la bande, un problème de sous-assurance survient pour les clients en assurance invalidité. En effet, la plupart des polices d’assurance invalidité prévoient que les prestations gouvernementales seront intégrées aux prestations versées par la police en cas d’invalidité. Le motif de l’intégration est noble à l’origine : celle-ci fait en sorte que l’assuré ne touche pas une prestation d’invalidité supérieure à ce qu’était son salaire avant l’invalidité.

Mais jumelée à l’article 120.2 de la loi de la Régie, l’intégration a des effets pervers sur le besoin d’assurance en invalidité: que la prestation soit ou non intégrée, la rente de retraite se trouve quand même diminuée, a souligné Mme Sawyer en entrevue au Journal de l’assurance. Et, outre le fait que les prestations d’invalidité soient imposables, les prestataires ne peuvent cotiser à leur rente de retraite pendant leur invalidité.

« Pour éviter l’intégration des prestations et la diminution du revenu de retraite, nous recommandons à nos clients qui deviennent invalides entre 60 et 65 ans de ne pas se prévaloir de la rente d’invalidité de la RRQ s’ils peuvent se le permettre. » Ce qui est loin d’être le cas de tout le monde, confie Mme Sawyer. Pour ceux qui peuvent s’en passer, elle souligne que les démarches auprès de la RRQ ne sont pas nécessairement obligatoires dans les clauses d’un contrat d’assurance invalidité privé.

Selon elle, la loi modifiée contrevient d’ailleurs au principe d’assurance. « En touchant votre rente d’invalidité, c’est comme si vous empruntiez de l’argent à votre régime de retraite pour pouvoir arriver à la fin du mois. Dans ces conditions, ce n’est pas une rente d’invalidité, c’est une avance de fonds », déplore l’avocate.

Nancy Sawyer et l’associé principal de Charbonneau, avocats conseils, Maurice Charbonneau, croient malgré tout que cette modification crée une occasion d’affaire pour les conseillers en sécurité financière.

« C’est une occasion de relancer vos clients en mettant à jour leur analyse de besoins financiers », lance M. Charbonneau.

Nancy Sawyer renchérit. « À la suite de cette modification à la loi, les gens ne sont plus autant assurés qu’ils croyaient l’être. Comme les conséquences de la loi sont passées inaperçues, les assurés qui ont souscrit leur police d’invalidité avant 1999 n’ont pas été informés et cela me surprendrait qu’ils aient ajusté leur police en conséquence », croit-elle.

Mme Sawyer invite également les assureurs à revoir leurs produits d’assurance salaire, collectifs ou individuels, à la lumière de l’article 120.2. « Il existe déjà quelques produits sans clauses d’intégration mais ils coûtent cher », observe l’avocate.

Pour l’heure, des cotisants invalides devenus retraités commencent à tomber des nues. « Je ne vous cache pas que la situation actuelle amène des clients à mon cabinet. J’en ai trois qui sont venus me voir avec ce problème depuis un an. C’est beaucoup pour un sujet aussi pointu. Et malheureusement, chaque cas est un cas d’espèce pour lequel il n’existe pas de solution toute faite. »

C’est que les effets de l’article 120.2 n’ont encore fait l’objet d’aucune décision devant les tribunaux du Québec, affirme Linda Sawyer. Il n’existe donc aucune jurisprudence sur le sujet. Le cabinet n’écarte toutefois pas la possibilité d’entamer un recours collectif si plusieurs clients sont frappés par cette mesure aux effets insoupçonnés.