La croissance exceptionnelle des marchés financiers en 2013 n’est pas qu’un feu de paille pour les États-Unis. Alors que le gros du marché haussier canadien est derrière nous, le meilleur reste à venir pour les États-Unis, croit l’économiste en chef de l’Industrielle Alliance, Clément Gignac.Croissance nette du PIB, création d’emplois et mises en chantier sont de retour au sud de la frontière, grâce à un dollar américain qui renait. « J’ai un avertissement au sujet des États-Unis : notre optimisme pourrait ne pas convenir à une partie de l’auditoire », a lancé Clément Gignac lors de sa conférence, Perspectives économiques : À quoi s’attendre en 2014, prononcée le 27 novembre lors du Congrès 2013 de l’assurance et de l’investissement.

Son message demeure le même, plus de deux mois plus tard. « Le meilleur du marché haussier canadien est derrière nous et nous allons regarder attentivement ce qui se passe aux États-Unis, où la croissance repose sur des bases solides », a répété l’économiste, qui est aussi vice-président principal de l’Industrielle Alliance et président de son comité de répartition des actifs, lors d’une entrevue accordée au Journal de l’assurance, le 30 janvier.

Orienté vers les obligations de courte durée

Dans son rôle de responsable du fonds diversifié d’Industrielle Alliance, M. Gignac surpondère sa position en actions. La proportion de cette catégorie d’actif atteint 65 %. Le fonds compte 34 % de ses actifs dans des titres des marchés étrangers, dont 20 % aux États-Unis. « Cette répartition et la baisse du dollar canadien ont avantagé notre fonds en 2013. »

Le taux directeur du Canada n’augmentera pas non plus dans les deux prochaines années. Le taux des obligations demeure exceptionnellement faible. Par contre, le taux des obligations 10 à 30 ans a augmenté, observe M. Gignac, ce qui entraine un recul du rendement obligataire. Le fonds de M. Gignac s’oriente donc vers les obligations de courte durée et commerciales (ces dernières présentent souvent un écart de plus de 200 points de base, ou 2%, par rapport aux obligations de 10 ans).

Après quelques déceptions, les données fondamentales et les tendances lourdes vont enfin dans le sens d’une reprise américaine sérieuse. La croissance du PIB a d’ailleurs atteint 3,2 % au 3e trimestre de 2013 aux États-Unis, a observé l’économiste. C’est du solide, dit-il. « La croissance du PIB américain ne provient pas de la hausse des réserves. C’est une croissance nette. »

Le fardeau fiscal des États-Unis est par ailleurs le plus faible des pays du G7 (qui comprend également l’Allemagne, le Canada, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni).

Alors que Reagan et Bush avaient continué de dépenser dans les trimestres suivant une récession, le gouvernement Obama continue au contraire de réduire les dépenses. Après avoir franchi les 3 000 milliards de dollars (G$) en 2009-2010, les dépenses réelles du gouvernement américain sont de retour en deçà de cette barre, observe M. Gignac. Ces ponctions budgétaires rendent la reprise plus modeste sous Obama. « C’est pour une bonne cause, car elle sera beaucoup plus durable », dit-il. Les marchés boursiers évitent ainsi de replonger rapidement en récession : un cycle économique prolongé favorisera les rendements.

M. Gignac cerne d’autres tendances de nature à « bétonner la reprise américaine ». La santé financière des ménages est au mieux depuis 30 ans. Le ratio de leurs obligations financières par rapport au revenu personnel disponible est en effet redevenu favorable, depuis 2011. Un regard sur le ratio de dette à l’équité des entreprises montre que celles-ci ont réduit de beaucoup leur levier financier.

L’immobilier résidentiel a le vent dans les voiles. L’indice Housing Market, une unité de mesure fondée sur un sondage des membres de la National Association of Home Builders, montre un enthousiasme des ménages envers l’achat d’une maison. L’indice excède les hausses observées dans l’émission des permis de construction et les mises en chantier.

Les États-Unis regagneront leur indépendance énergétique

L’économiste observe aussi aux États-Unis une économie très productive, qui distance nettement celle de pays comme l’Allemagne, le Canada et la France. Il prévoit aussi le retour des États-Unis à l’indépendance énergétique des années 1970, en termes de volume d’extraction de pétrole et de gaz. « Les États-Unis ne dépendent plus du pétrole du Moyen-Orient. Ils l’importent davantage du Canada et du Venezuela, où il est en moyenne 20 $ moins cher », a commenté M. Gignac.

Il attribue ce revirement spectaculaire à l’innovation technologique, dont le forage horizontal du gaz de schiste. « Ce n’est pas sans enjeux environnementaux, certes. Mais il reste qu’en 2016, les États-Unis seront le premier producteur de pétrole. Tout ceci m’amène à être très optimiste envers le dollar américain. »

Bien que le marché du travail ait envoyé des signaux mixtes l’an dernier, on s’aperçoit que les pertes nettes d’emploi sont plutôt le fait de postes à temps partiel. Le pays a en réalité créé plus d›emplois à temps plein en 2013 (408 000 au moment de la conférence). De plus, le taux d’inflation demeure faible, malgré un taux directeur au plancher. « Le taux de chômage demeure élevé. Il n’est plus à 10 %. On est rendus à 7 %, mais tant qu’il ne baissera pas à 6,5 % ou moins, le taux directeur demeurera inchangé. »

Assouplissement quantitatif : à quand la fin? Il est ni plus ni moins une drogue injectée à l’économie américaine sous forme de bons du Trésor, rappelle M. Gignac. Le sevrage sera difficile, car les injections diminueront, prédit-il. « Ce n’est pas normal que la Réserve fédérale (Fed) achète la moitié des émissions américaines, mais c’est ce qu’elle devait faire; sinon, nous aurions pu vivre une récession aussi pire que celle de 1929. » La Fed détient pour environ 4 000 G$ d’émissions. « Le rythme d’achat diminuera graduellement en 2014. Les taux courts ne changeront pas avant deux ans. »

Le jour de l’entrevue, le dollar canadien passait sous les 90 cents par rapport au dollar américain. M. Gignac ne s’en surprend pas. « La vraie valeur du dollar canadien est de 85 cents, soit en fonction de la parité du pouvoir d’achat. Or, le cours de notre devise n’est jamais directement en ligne avec cette valeur. Dans les dernières années, nous étions 15 cents au-dessus. Pourquoi? Les investisseurs s’arrachaient le Canada pour ses ressources et ses banques, qui sont les plus solvables de tout le G7. »

Les marchés financiers canadiens afficheront des rendements plus modestes que leur contrepartie américaine. En effet, les obligations du Canada n’ont plus un écart aussi favorable. « Le meilleur du marché haussier canadien est derrière nous. La surperformance du TSX est toujours liée à la vigueur des ressources naturelles », a rappelé M. Gignac.

En intense urbanisation depuis plusieurs années, la Chine a favorisé la demande de ressources canadiennes. M. Gignac rappelle toutefois que l’économie de ce pays tournera au ralenti en 2014. « Il n’y a pas de croissance démographique en Chine. Tout tient à l’urbanisation rapide. »

Que le meilleur client du Canada pour son pétrole, les États-Unis, devienne lui-même producteur numéro un n’est pas non plus de bon augure pour ce secteur phare de l’économie canadienne, souligne M. Gignac. « Le pire ennemi des ressources canadiennes est l’innovation. Depuis 100 ans, le prix des ressources tend à la baisse. »

À quoi s’attendre pour l’immobilier? Les inquiétudes demeurent dans ce secteur, estime l’économiste en chef de l’Industrielle Alliance. « Pas sûr que j’investirais là, sauf pour une habitation dans laquelle vous prévoyez demeurer », dit-il.

Ratio d’endettement des ménages élevé

Le ratio d’endettement des ménages est élevé, tout comme celui du prix des maisons par rapport au revenu disponible des Canadiens. « Selon l’indice d’accessibilité de la RBC, 38 % des revenus bruts des Montréalais servent à payer l’hypothèque et les taxes municipales et scolaires. Cela pourrait être pire : à Vancouver, c’est 90 %! » Le Canada figure parmi les marchés immobiliers les plus surévalués du monde, après Hong Kong, souligne The Economist.

L’immigration soutiendrait cette donnée. En pourcentage de la population, le Canada accueille plus d’immigrants de tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dit M. Gignac. « Cela contribue à la croissance démographique, mais ces gens doivent rester quelque part, donc ils achètent des maisons. Et plusieurs achètent au comptant. » Il ne prédit pas une bulle, mais tout de même un ralentissement.

Ces perspectives économiques et la performance attendue des marchés canadiens pointent vers un grand enjeu : la compétitivité, estime M. Gignac. « À 85 cents, on est compétitifs. À 90 cents ou à parité avec le dollar américain, on ne l’est pas. »

Membre depuis 2010 du Global Agenda Council créé par le Forum économique mondial, M. Gignac s’est vu confier récemment la présidence du comité sur la compétitivité regroupant une quinzaine d’experts partout dans le monde. Il en est aujourd’hui vice-président et participe activement à des rencontres portant sur la compétitivité de différents pays, dont le Canada.

Le principal constat qu’en fait M. Gignac est que le Canada présente un déséquilibre extérieur important, avec un compte courant en déficit depuis 2008 d’entre 65 et 70 G$.