L’évolution que connait le secteur de la souscription depuis 30 ans rendra le métier de souscripteur beaucoup plus intéressant pour les jeunes qu’avant, croit Martin-Éric Tremblay, vice-président principal pour le Québec et l’Atlantique d’Aviva Canada. Il souligne aussi que le Québec n’a plus l’avance qu’il avait sur les autres provinces en matière de souscription.M. Tremblay a tenu ses propos le 8 avril, lors d’un déjeuner-conférence organisé conjointement par l’Institut d’assurance de dommages du Québec (IADQ) et l’Association pour la relève en assurance du Québec (LARAQ). Il a ainsi mesuré l’évolution de la souscription au fil des années, en comparant l’approche artistique, selon laquelle l’expérience et les connaissances du souscripteur sont plus sollicitées, à l’approche scientifique, qui laisse plus de place aux données actuarielles, notamment.

Ayant commencé sa carrière au début des années 1980, M. Tremblay souligne que l’assurance a beaucoup changé. « Plusieurs gens vont partir à la retraite. C’est une préoccupation. L’approche scientifique peut sembler une menace pour certains, surtout si l’on considère que les assureurs nationaux ont rattrapé leur retard sur le Québec, depuis ce temps », dit-il.

Un art plus qu’une science

En fait, au début des années 1980, la souscription en assurance était plus un art, souligne M. Tremblay. L’entrée d’algorithmes très sophistiqués a changé la donne. « Il n’y a plus de place pour l’art. L’évolution du marché québécois a teinté le marché canadien. Avant 1980, il n’y avait qu’une seule école d’actuariat au Canada, soit à l’Université Laval. Aussi, en 1978, est entré en vigueur le régime du no-fault (indemnisation sans égard à la faute) en assurance automobile au Québec. Dès 1976, le Groupe Commerce avait mis au point une base de données pour gérer les renseignements de ses clients en assurance automobile et en assurance habitation », relate-t-il.

Les assureurs sont ensuite entrés dans une période de croissance, dans les années 1980. Le Groupe Commerce a acheté Bélair, en 1981. Le Mouvement Desjardins a changé son mode de distribution au tournant des années 1990, et La Capitale a étendu son offre de produits en assurance de dommages à toute la population québécoise. « L’implantation de centres d’appel a amené une efficacité transactionnelle. Les assureurs à courtage ont dû développer leur approche scientifique. Cette dernière a ainsi pris de la vitesse », dit-il.

La souscription directe étant plus encadrée et scientifique, un modèle transactionnel est né. Les courtiers ont bâti leur modèle en fonction de la relation qu’ils avaient avec leurs clients, dit M. Tremblay.

« Il y avait alors un déni total des souscripteurs face à la montée de l’approche scientifique. Il était impensable pour eux que des actuaires puissent venir jouer dans la souscription. Pendant ce temps, dans le reste du Canada, l’assurance automobile était encore un sujet électoral provincial. Il y avait une évolution très lente de l’approche scientifique », dit-il.

Les années 1990 ont été marquées par la montée de Desjardins, la guerre des prix en assurance aux particuliers, les progrès technologiques et la complexification de la segmentation. « Tout le monde devait pousser sa science plus loin. Les courtiers aussi, car ils devaient créer plus d’efficience. La consolidation a commencé au même moment dans le courtage. Tout cela pour avoir une meilleure efficacité et des prix plus concurrentiels. Du côté des directs, c’était la prolifération des centres d’appels », dit M. Tremblay.

L’impact s’est aussi fait sentir en souscription. Il y avait de moins en moins d’exceptions, et ceux qui se retrouvaient dans cette case avaient des risques plus difficiles à souscrire, dit-il.

Une montée fulgurante

C’est de 2001 à 2005 que l’approche scientifique a fait des avancées très importantes, affirme M. Tremblay. La venue de la cote de crédit dans le processus de souscription l’explique en bonne partie, croit-il. « Pour la souscription de l’assurance des particuliers, il n’y a presque plus besoin d’évaluer le risque moral. Du côté des assureurs directs, le rôle du souscripteur est devenu très restreint. Il fait sa souscription au bout du fil. Il ne gère que le 1 % de zones grises », dit M. Tremblay.

Dans le courtage, la consolidation se poursuivait, et l’efficacité allait en augmentant. « Les clients en zone grise se présentaient chez les courtiers. L’approche relationnelle du courtier s’est ainsi développée. Ça impliquait plus de négociations. La relation souscripteur-courtier-client s’est développée », dit-il.

Au Canada, on a vu les premiers effets de la cote de crédit. « C’est rapidement devenu un élément important en assurance habitation, étant donné que ce marché n’était pas règlementé comme l’automobile. Les gouvernements commençaient d’ailleurs à en permettre l’usage, en automobile », dit-il.

La période de 2006 à aujourd’hui marque l’ère à laquelle la souscription pousse la science au niveau des algorithmes de tarification. « On a créé la boite noire, comme on l’appelle dans le jargon des assureurs. Plus personne ne peut dire à son client comment sa prime est calculée. Chaque client a un prix différent. Les vieux concepts sont chamboulés par la boite noire », dit M. Tremblay.

Le rôle du souscripteur devient plus difficile, souligne toutefois M. Tremblay. Dans les années 1980, sur dix risques qui lui étaient présentés, neuf étaient très faciles et un, très difficile. Maintenant, tous les cas sur lesquels il doit se pencher sont difficiles. « Le souscripteur doit être capable de travailler sous pression, car nos marchés demandent de l’efficience. Il doit donc être intelligemment vite et avoir un bon sens décisionnel, tout en étant agile », précise-t-il.

Au Canada anglais, les assureurs ont pu rattraper leur retard sur le Québec en misant sur leur masse critique. Elle leur a permis de développer des connaissances plus complexes. « Les assureurs québécois se sont fait dépasser par les assureurs nationaux, car ils n’ont pas su profiter du même effet levier. Si certains croient qu’il est difficile de faire de l’assurance au Québec, c’est parce qu’ils n’ont pas été ailleurs », dit M. Tremblay.

Pour les prochaines années, M. Tremblay voit le souscripteur comme un gestionnaire de zones grises, qui aura une approche client plutôt qu’une approche produit. « Il devra tenir compte dans son analyse tous les produits du client. Il devra chercher des solutions plutôt qu’éviter des risques. Il devra être mieux équipé, avec des connaissances en finance, en économie et en gestion. Il devra en outre bien connaitre les marchés locaux. Ce sera aussi le cas pour les intermédiaires, qui devront avoir une approche client et de gestion du portefeuille », dit-il.

M. Tremblay croit aussi qu’on parlera moins de souscription à l’avenir, mais davantage de gestion de risques. « L’assurance sera un secteur plus motivant pour les jeunes qui arrivent avec un baccalauréat. Ils vont gérer un portefeuille plutôt que des polices. Ils seront constamment en apprentissage et devront être à l’aise avec la technologie, tout en étant capables de prendre des décisions rapides et intelligentes », dit-il.