Dans le marché des clientèles en assurance et en services financiers, l’informatisation permettra au vendeur de tirer une plus-value de son bloc d’affaires. Des bons systèmes de gestion rendent transparent le degré de conformité des affaires. Ils favorisent la segmentation de la clientèle et augmentent son potentiel aux yeux de l’acheteur. La route est toutefois ardue pour certains : trop peu de cabinets sont à la fine pointe de la technologie.Yves Lefrançois, vice-président des ventes chez Modulex, qui commercialise le logiciel de gestion de clientèle (CRM) Repman, dispense des conférences sur l’informatisation des cabinets. Il pose l’informatisation et la conformité comme des alliés dans la croissance des affaires. Pour éviter de se faire taxer d’autopromotion, il n’hésite pas à recommander les CRM des principaux concurrents de Repman, tels que Kronos et ACT. « Utilisez celui que vous voudrez, mais utilisez-en un », dit-il.
Le message passe encore difficilement. « J’ai donné cette conférence 15 fois à ce jour et lorsque je demande aux conseillers s’ils utilisent un système informatique dans leur cabinet, 10 % ou 15 % des conseillers présents dans l’auditoire lève la main, dit M. Lefrançois. La grande majorité des conseillers en sont encore au papier. Leurs affaires reposent dans un classeur. Au mieux, elles sont réparties entre filières et messagerie électronique. »
Cette insouciance rend le conseiller vulnérable aux problèmes de conformité. « Si vous avez 1 000 clients dans vos tiroirs, vous ne pouvez pas gérer l’information et les contacter efficacement », ajoute-t-il. Selon lui, la majorité des clients sont aux mains d’un réseau vieillissant. Leur conseiller est souvent passif et ses clients n’ont pas été revus depuis longtemps. Leur analyse de besoins ou leur profil d’investisseur n’est pas à jour. Le moment venu, ces conseillers pourraient éprouver de la difficulté à vendre leur bloc d’affaires.
Vice-président principal de Klein Farber Corporate Finance à Toronto, Geoffrey Morphy, croit qu’il y a plus de 40 000 conseillers en assurance vie au Canada. « Leur âge moyen se rapproche de 60 ans, dit-il. Dans cinq ans, il n’y aura pas un grand nombre d’acheteurs en mesure d’arriver avec du financement et l’expertise pour acquérir des blocs d’affaires qui n’ont pas été structurés correctement. » Expert de ce type de transaction, M. Morphy détient le certificat Certified Exit Planning Advisor décerné par le Exit Planning Institute à Chicago.
L’agent général Pro Vie assurances vient pour sa part d’établir un programme de recrutement dont un des volets traite d’achat-vente de clientèle. Pro Vie y exhorte ses conseillers à la prudence.
« Évitez d’acheter des squelettes dans le placard. Nous regardons l’informatisation avant d’acheter un cabinet ou d’en recommander l’achat à un de nos conseillers », dit Christian Laroche, vice-président de Pro Vie.
Le cabinet qui dispose de bons systèmes d’avant et d’arrière-guichet pourra plus facilement démontrer qu’il a respecté les exigences de conformité et la déontologie. Si toutes les analyses de besoins financiers ont été numérisées, c’est un plus. « Bien des conseillers ne sont pas assez structurés. Cela deviendra bientôt une course contre la montre pour eux », prévient M. Laroche.
Transition
Vendre ou acheter une clientèle présuppose une délicate transition où le temps devient une valeur ajoutée. « Après 25 ans d’expérience dans l’industrie, le conseiller ne peut pas vendre son portefeuille du jour au lendemain, croit M. Laroche. Par exemple, il doit se doter d’un plan de transition qui prévoit la présence du vendeur pour une période de deux à trois ans. » M. Laroche estime qu’un conseiller qui achète un bloc de mille clients aura besoin de la présence du vendeur pour au moins trois ans.
Geoffrey Morphy croit qu’il n’est pas trop tard pour les cabinets de mettre leurs affaires en ordre et préparer la vente. Cette transition peut prendre jusqu’à cinq ans, estime-t-il. « Seules les entreprises les mieux préparées se feront remarquer, croit-il. Les propriétaires doivent rendre leur cabinet le plus attrayant possible. Si un acheteur a des réserves, il passera probablement à une autre occasion d’affaire. »
Lorsqu’il planifie la transition d’un cabinet, M. Morphy amène son client à définir ses objectifs. Il lui soumet un questionnaire qui va au-delà de l’entreprise et sonde le propriétaire lui-même. « Que veulent-ils : continuer à travailler dans leur entreprise comme employé ou comme conseiller? Obtenir le meilleur prix pour la vente ou plutôt assurer leur succession? Assurer la continuité des affaires, préserver le nom de l’entreprise et son rôle dans la communauté? Plusieurs personnes regrettent d’avoir vendu et c’est malheureux. Nous voulons amener les vendeurs à entretenir des attentes réalistes face à une telle transaction. Nous voulons les aider à la structurer de façon à ce qu’elle réponde à leurs exigences d’affaires et personnelles. »
La règlementation se resserre dans l’industrie et les cabinets font face à des exigences de conformité croissante. Les acheteurs se tourneront-ils vers les réseaux structurés des agences de carrière, qui se préparent depuis longtemps à cette transition? Président fondateur de Transition Conseils, firme spécialisée en transfert d’entreprises, Martin Deslauriers croit que oui.
« Ces réseaux ont implanté des logiciels de gestion de la clientèle pour leurs conseillers. Ils ont formé leurs directeurs afin que ceux-ci guident les conseillers d’expériences et la relève dans les achats ventes de bloc d’affaires. »
Il pense aussi que la pression de la conformité favorisera une croissance dans la vente de bloc d’affaires. Cette offre accrue affectera la valeur des clientèles, surtout s’il s’agit de « ventes de feu ». « Plus les conseillers tarderont à mettre de l’ordre dans leur clientèle, plus leur bloc d’affaires perdra de la valeur », prévient-il.
La première chose que l’acheteur doit faire miroiter est son achalandage. Dans son livre intitulé La Puissance du bloc d’affaires, Yves Lefrançois insiste sur son importance dans la valeur d’une clientèle. L’auteur rappelle toutefois qu’il faut savoir en tirer parti. « Je considère impossible de vendre l’achalandage […] sans un système informatique adéquat qui met en application les principes de segmentation de base et de suivi de la clientèle. »
Le courtier d’expérience aura un bon achalandage s’il a maintenu une relation privilégiée avec tous ses clients, soutient M. Lefrançois. « Il faut soigner la relation avec le client en le contactant au moins de quatre à six fois : un appel, un courriel, une carte de fête… »
Le jeu en vaut la chandelle puisque le potentiel d’une clientèle avec un bon achalandage peut être énorme. Selon Yves Lefrançois, un bloc d’affaire où la clientèle a été segmentée et sur laquelle l’information sur chaque client est accessible aura une grande valeur. Si elle contient en plus une bonne part d’assurance salaire et accident-maladie, sa valeur peut atteindre jusqu’à sept fois les commissions de renouvellement, croit-il.
Selon Yves Lefrançois, un bloc d’affaires de qualité, constitué de 1 000 clients, peut prendre beaucoup de valeur entre les mains d’un acheteur informatisé et bien organisé. « Ces 1 000 clients peuvent facilement représenter 600 000 $ de commissions dès la première année. »
Retour sur l’investissement
Selon ses hypothèses qu’il fonde sur des études de LIMRA, M. Lefrançois estime que 10 % de la clientèle acquise achètera un produit d’assurance vie dans l’année qui suit et 10 % achètera un produit de prestations du vivant. De plus, 120 clients devraient renouveler leur hypothèque durant la même année. Enfin, l’acheteur devrait facilement récolter une cotisation au REER moyenne de 2 000 $ de la part de 600 clients pendant cette période. En ce qui touche les produits d’assurance, il suppose une prime moyenne de 800 $ avec un taux de commission et boni totalisant 130 %.
Il qualifie ses hypothèses de conservatrices. « Un cabinet très bien organisé et doté d’une expertise dans le marché du prêt hypothécaire détectera plutôt 160 clients potentiels en hypothèque plutôt que 120. En assurance vie, il vendra peut-être 150 polices plutôt que 100. »
Peu importe le type de produit qu’il détient et les commissions de renouvellement qu’il génère, le client a une valeur intrinsèque, pense Martin Deslauriers.
Cette valeur, il la détermine à partir du ratio d’acquisition client comme point de départ. Ce ratio détermine le cout d’aller chercher de nouveaux clients. Il permet ainsi de connaitre le seuil à partir duquel on peut rentabiliser l’achat d’un bloc d’affaire (voir encadré).
Le président de Transition Conseils considère primordial pour le vendeur de connaitre le ratio d’acquisition de son acheteur. Cela lui permettra de mieux démontrer la juste valeur de sa clientèle. « Dans le réseau indépendant, un acquéreur qui possède une structure marketing solide, une relève et un logiciel de CRM pourra mieux rentabiliser la clientèle acquise. Il devient en quelque sorte un meilleur acquéreur aux yeux du vendeur, explique l’expert en transition. »
Le ratio d’acquisition permet d’amener un souffle nouveau aux transactions de clientèles en assurance et en services financiers, croit M. Deslauriers. Selon lui, déterminer une juste valeur de la clientèle d’après le multiple des commissions de renouvellement ne suffit pas. Ce multiple ne rend pas justice aux clients qui ne génèrent plus de commissions de renouvellement. Même sans renouvellements, un client peut présenter une valeur intéressante. On peut lui vendre de nouveaux produits qui généreront des commissions de renouvellement.
La nouvelle règlementation du CRTC sur la liste des numéros exclus augmente aussi la valeur d’un client, même sans renouvellements, soutient M. Deslauriers. Exemple des effets de cette règlementation, Bell Canada a reçu une amende de 1,3 million de dollars en décembre dernier pour avoir enfreint les règles de la Liste nationale de numéros de télécommunication exclus (LNNTE), lors de ses activités de télémarketing. « Désormais, il y a des risques à recruter ses clients par l’entremise du bottin téléphonique », dit-il.
Le client qui ne génère plus de commissions de renouvellement a ainsi une valeur parce que l’acheteur peut le contacter sans enfreindre les règles du CRTC. « Les clients acquis sans valeur de renouvellement sont du jus pour les recrues d’un cabinet. Mieux vaut risquer de ‘bruler’ ces clients plutôt que de des clients avec commissions de renouvellement et qui détiennent plusieurs produits avec le cabinet. »