La télématique s’impose, la voiture Google est là et la voiture Apple arrive. Conduire sans chauffeur? Dans cinq ans, disent les experts. Ces nouvelles technologies avec leurs données de conduite et la voiture autonome transformeront les pratiques de souscription en assurance auto.

Télématique et voiture autonome pourraient réduire de façon majeure la fréquence des collisions. Mais qui sera responsable d’une collision causée par un véhicule sans conducteur? Comment cohabiteront voitures actives et passives? À qui appartiendront les données accumulées par les différents services de conduite? Ces systèmes pourront-ils être piratés? Des avancées qui soulèvent bien des questions et pourraient forcer le secteur de l’assurance automobile à révolutionner ses pratiques de souscription des risques.

« Se demander quand viendra la fin de l’assurance automobile est comme se demander à quand la fin des chroniqueurs automobiles, dont je suis », a lancé d’emblée Éric Lefrançois, auteur et expert du cahier Auto de La Presse. « On annonce la venue de la voiture autonome en 2020. Ce n’est pas de la science-fiction. Vous allez voir apparaitre de plus en plus de véhicules à conduite autonome et semi-autonome. On estime que 25 % du parc automobile sera constitué de ce type de véhicule dans 20 ans », poursuit-il.

Paver la voie

Déjà, le contrôle antiblocage des freins (ABS), le correcteur de stabilité électronique et les capteurs d’angles morts pavent la voie à une conduite sans mains. « En reliant tous ces fils, nous arrivons à cette voiture qui se conduit toute seule, et qui vous permettra de lire La Presse, d’envoyer des textos ou d’assister à des vidéos-conférences sans toucher au volant », croit le chroniqueur.

De nouvelles réglementations devront toutefois survenir pour que se matérialise cette vision, estime M. Lefrançois. Il rappelle que la présence obligatoire d’un conducteur dans tout véhicule a cours à travers le monde. Des changements arriveront, mais quels seront-ils? Pourrez-vous monter à bord de votre véhicule complètement ivre, s’interroge-t-il? Qui sera responsable du mauvais fonctionnement d’un véhicule autonome?

En attendant, les constructeurs s’y mettent : voiture électrique, hybride ou à hydrogène, l’avenir de l’automobile va se jouer autour de trois axes, la connectivité, l’autopartage et la conduite autonome, croit le chroniqueur. Un constructeur en offre déjà une forme, limité à des courses de 30 kilomètres à l’heure. « Des tests démontrent que cette voiture peut parcourir sans problèmes 900 kilomètres à l’heure. Dans la voiture de demain, vous serez un passager », prévoit M. Lefrançois.

Objectif zéro accident

Personne ne peut toutefois prédire de quelle façon ces avancées influenceront l’assurance auto, précise-t-il. Chose sûre, l’objectif de la voiture autonome est d’avoir zéro accident. Volvo a annoncé que dès 2020, plus aucun conducteur de ses véhicules ne mourrait ou ne serait grièvement blessé au volant d’une de ses voitures.

Pour atteindre leurs objectifs, les constructeurs recueilleront une masse de données. Les lieux visités, les kilomètres parcourus, etc. Or, il n’est pas donné d’avance qu’ils seront autorisés ou consentiront à les partager avec les assureurs. Malgré tout, ce n’est pas la fin de l’assurance, pense Éric Lefrançois. « Il y aura plutôt de gros changements à apporter sur l’assurance en soi », a-t-il conclu.

Or, une question se pose fréquemment : à qui appartiennent les données? De leur côté, Intact et Bélairdirect trouvent un début de réponse dans l’utilisation des données de conduite automobile recueillies au moyen de la télématique. « Nous utilisons la permission de nos clients individuels à nous transférer l’information recueillie, pour avoir une tarification plus équitable adéquate », révèle pour sa part Henry Blumenthal, vice-président chez bélairdirect.

Y a-t-il un pilote dans l’avion?

M. Blumenthal croit que les changements qui s’amorcent seront universels. « Airbus et Boeing sont capables de faire transiter un jet sans pilote de Montréal à Paris, dans un rayon d’à peine quelques mètres d’imprécision. Mais qui dans la salle aimerait prendre un avion sans pilote? Personne! »

M. Blumenthal se remémore la polémique des guichets automatiques, lorsqu’il travaillait dans le giron de la Banque TD. Tous s’interrogeaient alors sur l’avenir des caissiers. Or, les guichets automatiques n’ont pas eu raison d’eux, rappelle-t-il. « Au contraire, les banques ont ouvert plusieurs succursales pour se positionner un peu partout et mieux répondre aux besoins des clients. »

Aujourd’hui, l’assurance auto n’est pas plus en péril que ne l’étaient les travailleurs du guichet, croit M. Blumenthal. La voiture autonome ne fera pas table rase. L’industrie devra simplement s’adapter.

« J’aimerais bien pouvoir déposer mes enfants à leurs diverses activités sportives sans conduire, mais vous n’enlèverez pas son volant à mon épouse, illustre-t-il. Chacun maintiendra ses habitudes de consommation et de conduite. Nous devrons toutefois adapter nos produits et notre façon de gérer les réclamations. »

Parmi ces habitudes s’ajoutent les nouveaux modes de transport commerciaux. Uber redéfinit le taxi. Car2go et Communauto proposent une alternative aux institutions traditionnelles de location d’autos, plus mercantiles. « Tous ces changements et les nouvelles technologies de conduite autonome nous forceront à mieux prévoir les couts, car de nouveaux risques émergeront », croit-il.

Selon lui, les véhicules autonomes ou semi-autonomes, truffés de dispositifs intelligents, pourront être la cible de pirates et de cyberterrorisme. Il faudra que l’industrie propose des solutions pour en protéger les manufacturiers et les propriétaires, ajoute le vice-président de bélairdirect. « Le danger est là avec toute nouvelle technologie, dit Henry Blumenthal. À Montréal, des vols se commettent avec des procédés très sophistiqués qui détournent les clés intelligentes et les systèmes de repérage. Le cybercrime est le crime du futur. »

M. Blumenthal  insiste : les risques ne s’en iront pas; ils évolueront « Même avec les meilleures voitures autonomes, il y aura encore des humains derrière des volants, sur un vélo ou à pied, dit-il. Avec nos températures hivernales capricieuses, les véhicules autonomes ne sont pas non plus à l’abri. À l’occasion de prendre une route enneigée récemment, j’ai remarqué que les voitures immobilisées en bas-côté étaient principalement des véhicules sport-utilitaires (VSU). »

Éric Lefrançois renchérit. « Au Québec, il y a la neige et l’hiver. Les premiers à prendre le champ sont les quatre roues motrices. La voiture autonome a besoin de voir les lignes blanches sur la chaussée pour pouvoir s’autoguider. Ce problème n’est pas encore résolu. De plus, une caméra de recul obstruée par la gadoue ne sera pas bien utile. Ici, la voiture autonome sera peut-être une technologie saisonnière », dit le chroniqueur de La Presse.

Autre question, s’il y a conduite en hiver avec un bouton avertisseur et les trois autres saisons sans bouton, perdrons-nous nos réflexes, et n’est-ce pas un danger de nature à modifier la tarification des risques? Inévitablement, cela le modifiera énormément, croit Éric Lefrançois. Il prévoit toutefois que la réglementation suivra pour encadrer cette tendance. « On le voit déjà aujourd’hui avec toute la technologie embarquée à bord des véhicules et les règlements qui en découlent. » Il en veut pour exemple l’interdiction d’utiliser un mobile à bord, sauf en mains libres.

Le risque d’endormir les réflexes est bien présent, convient-il. « Plusieurs véhicules sont actuellement équipés d’un détecteur de changement de voie, rappelle Éric Lefrançois. En cas de tempête, le tableau de bord vous avertira de ne pas vous y fier, mais aurez-vous déjà perdu vos réflexes? »

Aussi, qu’enseignera-t-on dans les cours de conduite quand on sait que certains véhicules peuvent se stationner d’eux-mêmes en parallèle, s’interroge le chroniqueur. « Si votre voiture a une crevaison à haute vitesse sur l’autoroute, aurez-vous le réflexe d’appuyer sur le bouton et d’en reprendre le contrôle? »

À qui la responsabilité?

Tout aussi inévitablement, la voiture autonome ou semi-autonome pose un problème de responsabilité, qu’il y ait ou non un conducteur, signale quant à lui M. Blumenthal. « En cas d’accident, qui est responsable? Le conducteur, l’assureur, le manufacturier automobile, le piéton ou le cycliste qui passait par là? Le risque va se modifier sans nécessairement se complexifier », anticipe-t-il.

Par exemple, des assureurs pourraient attribuer un risque accru à une voiture électrique ou hybride, car ces véhicules à prix élevé coutent plus cher à réparer en cas de collision, entrevoit M. Blumenthal.

« Les conducteurs de ces véhicules, des gens soucieux de l’environnement, sont généralement plus prudents. C’est rare que je voie un véhicule hybride dans la voie de gauche à 140 kilomètres à l’heure. Devrait-on les surtarifer? Il y a aussi une question de fréquence des sinistres à prendre en compte », estime-t-il.

bélairdirect prévoit d’ailleurs que la fréquence des sinistres diminuera avec l’avènement d’une voiture de plus en plus intelligente. « Plus ils sont sécuritaires, plus nous verrons diminuer la fréquence des collisions attribuables aux véhicules automobiles. Il est vrai que les dispositifs peuvent endormir les réflexes. Il m’est d’ailleurs arrivé que ma caméra de recul soit gelée et que j’aie reculé dans un poteau. Mais de façon globale, surtout en ville, nous prévoyons que la fréquence des sinistres sera moins élevée. Mais leur sévérité augmentera-t-elle parallèlement », s’interroge M. Blumenthal. Il s’attend par exemple à ce que toute défaillance d’un système d’autoconduite constitue un terreau fertile aux recours collectifs.