Pour célébrer ses 25 années d’existence, le Journal de l’assurance vous présente 25 idées exclusives pour construire, dès aujourd’hui, l’industrie de demain.
L’assurance a toujours été vendue accessoirement à un produit. L’assureur européen April anticipe que cet état de fait tire à sa fin. L’assurance sera alors vendue en même temps que le bien, croit l’entreprise.
Marc-André Dupont est PDG d’April Dommages. C’est autour de cette vision qu’April bâtit son modèle, tant en assurance de dommages qu’en assurance vie, mais aussi en assurance santé. Le Journal de l’assurance s’est entretenu alors qu’il était de passage à Montréal au début octobre.
Ce concept commence à être en vogue dans différentes parties du monde, notamment aux États-Unis, où il est possible de contracter son assurance en même temps qu’on achète sa voiture. La France suit tranquillement cette voie. M. Dupont souligne qu’il y est possible de contracter de l’assurance en même temps qu’on signe un bail pour louer un appartement.
Quant à la vente d’assurance sur le Web, M. Dupont se demande si l’industrie de l’assurance vivra vraiment cette étape. Il ne serait pas surpris de voir les consommateurs sauter directement à l’étape suivante, qui est justement de contracter l’assurance en même temps que le produit. Il précise toutefois que cela tient avant tout pour l’assurance des particuliers, mais aussi pour l’assurance des petites entreprises. L’assurance des moyennes et grandes entreprises continuera à exiger du sur-mesure, croit-il.
Assurance et service de plus en plus liés
« L’assurance et le service seront de plus en plus liés. On voit de plus en plus de startups qui offrent des services auxquels on peut mélanger de l’assurance. En France, il est maintenant obligatoire pour les employeurs de souscrire une assurance santé pour les collaborateurs, qui n’ont pas un lien d’emploi continu. C’est une tendance qui se développera fortement. Le marché du travail évolue. Il s’individualise. Pourtant, nous sommes de plus interconnectés. Les assureurs devront tenir compte de la personnalisation que prendra le marché du travail »
Pour toutes ces raisons, April, qui a vu le jour il y a 30 ans, se positionne de façon verticale dans le marché de l’assurance, en misant sur les marchés moins couverts par les assureurs, mais en y offrant un niveau de service de haute valeur, dit M. Dupont. « À l’époque, en France, cela pouvait prendre deux mois à un assureur à rembourser la facture d’un client chez le dentiste. On s’est dit qu’on ferait ce remboursement en deux jours. Ça a été une rupture dans le marché à l’époque. Il faut savoir comment se positionner. Je vois souvent le marché de l’assurance comme un tas de rochers empilés les uns sur les autres. Rien n’y passe, jusqu’à ce qu’on y ajoute du sable. Nous sommes ce sable. On s’adresse aux clients qui n’intéressent pas les assureurs. »
Le client a le choix
Et la clé de tout cela est l’agilité qu’un assureur peut développer. « On peut s’adapter à ce qui se passera demain, même si on ne sait pas ce que c’est. La rapidité est un élément clé. D’autant plus qu’aujourd’hui, le client a le choix. Avant, il ne pouvait traiter qu’avec un courtier. Aujourd’hui, il y a une omnicanalité. Le client peut aller chercher du conseil chez un courtier. Il peut ensuite décider de comparer ce que ce courtier lui a dit sur Internet et de conclure le tout par téléphone. C’est le client qui décide à la fin. »
Lorsqu’on lui demande d’où viendra l’innovation dans l’industrie, M. Dupont ne peut s’empêcher de sourire. « De l’innovation dans l’industrie de l’assurance, il y en a eu beaucoup. On l’oublie. On se dit que l’assurance est une vieille dame qui vit comme cela depuis plusieurs années. On n’a qu’à penser aux directs lines par téléphone en Grande-Bretagne. Ils ont cassé les codes ! Même chose en France quand les mutuelles ont agi sans intermédiaires. Il y a eu des révolutions importantes en assurance. Il y en aura d’autres. »
Rupture possible
M. Dupont souligne que la façon de distribuer l’assurance tourne autour d’où se situe la relation avec le client. « C’est un risque pour l’assureur que ça bouge. Si le tout va vers des contrats directs lors de l’achat d’un produit, il peut perdre beaucoup. Ça peut être une rupture dans la chaine d’assurance. On peut faire entrer là-dedans des éléments liés à la technologie, comme ce qui se développe avec l’intelligence artificielle. On pourra aller beaucoup plus vite et avoir des analyses beaucoup plus complètes. On pourra aussi automatiser plus de choses. »
Le PDG d’April Dommages dit que le rêve d’une assurance automatisée seulement avec des machines est une utopie. « Il pourrait y avoir un grave biais à tout standardiser. C’est contre ce qu’expriment les individus qui ont besoin de se sentir considérés dans leurs besoins particuliers. On doit innover selon les besoins de chacun. »
Mais encore là, cette réflexion amène un important paradoxe, dit M. Dupont. L’assurance a été créée dans un esprit de mutualisation et de solidarité, alors qu’aujourd’hui, on tente de plus en plus d’individualiser le risque. « Si on sort un tarif pour chacun, nous ne sommes plus dans cette mécanique de mutualité et de solidarité. Il n’est pas certain que ce soit la bonne voie. »
Pour appuyer ses dires, il donne en exemple le cas des personnes qui ont des problèmes de santé. « Si on pousse l’individualisation à l’extrême, si on sait que la personne va mourir dans huit ans et quatre jours, on ne l’assurera pas. Ça contrevient pourtant au rôle de l’assurance. L’assureur doit continuer à jouer ce rôle de protection, que la mutualisation des risques lui permet de jouer. »
Mais avec tout cela, l’assurance n’est-elle pas à risque de devenir un produit de commodité ? On n’en est pas loin, croit M. Dupont. « Lorsque nous sommes rendus au point d’être capables de calculer précisément combien ça coute, c’est de la commodité. Ça ne vaut toutefois pas pour l’entreprise qui, si elle est incendiée, peut devoir fermer ses portes pendant trois ou quatre mois. L’assurance permet de planifier cela. Elle joue ainsi un rôle stratégique. »
La valeur de l’assurance se mesurera ainsi au niveau de service rendu, dit M. Dupont. « Si on subit un dégât des eaux, on veut que la maison soit remise en état. Si notre voiture tombe en panne, on veut qu’elle soit réparée. Ça doit être fluide. »
M. Dupont rappelle qu’il y a eu des cassures en assurance et qu’il y en aura encore. Il fait toutefois remarquer que l’assurance est l’apanage des sociétés riches. « À travers le monde, il y a 40 % des gens qui n’ont pas un accès très connecté à Internet. Il y a encore des choses qui vont se faire à l’extérieur d’Internet. Il se recréera des niches. Il y aura un espace pour des gens qui veulent quelque chose de plus personnalisé. Cette vague deviendra plus permanente. »
Et M. Dupont prévient que la vague de la bancassurance n’est peut-être pas finie. « Elle a pris une part de marché au fil des ans. Si les banques se mettent sur le sujet, elles ont du potentiel pour se développer en assurance. »
Les petits courtiers resteront
M. Dupont voit aussi de l’avenir pour les petits intermédiaires de marché. « Ça fait 20 ans que je suis dans le marché de l’assurance et ça fait 20 ans que j’entends que les petits courtiers vont disparaitre. Pourtant, ils sont toujours là. J’admire la résilience de cette profession. Ils ont su se transformer. Ceux qui restent ont adopté le Web, les réseaux sociaux, mais servent aussi le client de passage dans leur boutique. Ça évolue et ça évoluera. »
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