En planification financière, on constate que nombreux sont les Canadiens et les Québécois qui vivront plus longtemps que ne dureront leurs épargnes. L’utilisation de produits d’assurance vie arrive en première place des moyens proposés par trois spécialistes.

Au fil des ans, comme le montre une étude du CIRANO, les régimes de pension privés ont pris de plus en plus d’importance dans les revenus de retraite des hommes, mais aussi des femmes. Une partie de cette progression a permis de compenser les contributions moindres provenant des régimes publics, mais aussi des revenus de placements, a souligné Yves L. Giroux, directeur principal en développement des affaires pour le Québec et l’Atlantique chez BMO Assurance. Il a aussi été président du conseil de l’Institut québécois de planification financière (IQPF) de 2012 à 2014.

Cette part des revenus de placements a chuté rapidement, et celle-ci n’est pas toujours transférable au conjoint après le décès. Trop souvent, la personne survivante du couple se retrouve avec une rente réduite de manière importante. Par ailleurs, des clients estiment n’avoir pas besoin d’assurance vie une fois arrivés à la retraite, et cette perception doit changer, dit M. Giroux.

En 2010, au Québec, on comptait près de 650 000 le nombre de retraités alors âgés de moins de 70 ans. La grande majorité d’entre eux seront frappés par une réduction de revenus au décès du conjoint. « Je ne suis pas certain que les retraités actuels sont parfaitement conscients de ce fait », dit M. Giroux.

Étude de cas

Nathalie Bachand, actuaire de formation et planificatrice financière, exerce depuis 2002 au sein du cabinet Bachand Lafleur, Groupe conseil. Elle a présenté le cas d’un couple qui a été l’un de ses premiers clients à l’ouverture de son cabinet. Les deux sont des retraités de la fonction publique et tirent leurs revenus du Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (RREGOP). L’homme a 60 ans et tire une rente de 56 000 $. La femme est âgée de 58 ans et sa rente est de 28 800 $. Les deux verront leur rente privée être réduite en arrivant à 65 ans, afin d’intégrer la partie versée par la Régie des rentes du Québec (RRQ).

Comme bien d’autres régimes, en cas de décès du rentier, la rente au conjoint survivant correspond à 50 % de la rente que recevait le retraité. Les deux conférenciers ont analysé si ce seul facteur pouvait créer un manque à gagner à la retraite. Advenant le décès du mari après 65 ans, la femme ne toucherait que 22 250 $ comme rente de survivante, soit la moitié de la pension de retraite à laquelle on soustrait la rente versée par la RRQ (11 500 $).

Le cout de vie du couple après impôt est de 65 000 $. On estime qu’en cas de décès, il faut maintenir de 75 % à 80 % de cette somme pour couvrir les besoins du survivant, soit 52 000 $ dans ce cas. En additionnant l’ensemble des revenus de retraite, publics et privés, et les revenus de REER provenant du legs du conjoint, la dame se retrouvait avec des revenus nets de 46 971 $, soit un manque à gagner de 5 029 $ par année, après impôt. À près de 100 $ par semaine, on ne parle pas d’un montant négligeable. « Il faut le dire au client et il doit penser à assurer ce besoin », dit Mme Bachand, qui est aussi présidente du conseil d’administration de l’IQPF pour la période 2014-2015.

Ce manque à gagner aura pour effet de gruger le capital de la retraite. Selon les nouvelles tables de mortalité, sur un groupe de 1000 hommes âgés de 60 ans, il y en aura encore 500 en vie à 84 ans. « Si on fait une planification en se disant que l’espérance de vie est de 84 ans, ça veut dire qu’il y a une chance sur deux que ma planification fonctionne, mais il y a une chance sur deux que la personne survive à son capital », dit-elle.

Pour pallier ce risque, l’IQPF suggère d’utiliser la probabilité à 25 %, dont une chance sur quatre que le rentier soit toujours en vie. Pour ce même bassin d’hommes de 60 ans, on vient de repousser l’espérance de vie à 91 ans, et à 95 ans pour les femmes. Le décaissement des actifs doit tenir compte de cette réalité, insiste-t-elle. La rente viagère est un produit à considérer dans le contexte de cette cliente en particulier.

Les assureurs offrent un tel outil pour déterminer ce besoin de rente viagère, précise M. Giroux. Dans ce cas, les deux experts suggèrent au conjoint de maintenir son assurance vie ou en souscrire une pour remplacer le revenu de retraite manquant. Le risque que Monsieur décède avant Madame est très réel, et cette dernière pourrait aussi décider de réduire son mode de vie afin de trouver la somme requise à même son budget.

Une partie de ce risque peut être transféré à l’assureur par la souscription d’une assurance temporaire. Dans le cas du couple dans l’exemple cité par Mme Bachand, une assurance temporaire 100 ans couterait 2 785 $ par année. Cette dépense permettrait de réduire le risque du manque à gagner de Madame à 80 $ par mois (960 $ par an), ce qui est déjà plus vivable, dit-il.

Dans le cas de ce couple, le manque à gagner était inférieur à 10 % de la rente, note Mme Bachand. Mais il arrive aussi que la réduction soit bien plus élevée, surtout dans le cas où un seul des deux membres du couple touche une rente. La rente viagère prescrite est un produit complémentaire, utilisé aussi pour calculer le besoin d’assurance vie. Cette cliente aura besoin d’un capital assuré de près de 105 000 $ pour combler son manque à gagner en cas de décès du conjoint pour le reste de sa vie.

La rente viagère prescrite est un produit assez peu recommandé et mal vendu, selon Mme Bachand. Elle précise que les planificateurs financiers peuvent et doivent mieux l’expliquer. Lors des échanges, elle ajoute que les clients semblent réticents à confier tout leur capital au même gestionnaire qui, en échange, leur fournira le revenu mensuel dont ils ont besoin.

M. Giroux ajoute que les clients sont souvent préoccupés par le besoin de léguer un héritage à leurs enfants, mais le capital résiduel est alors plus lourdement imposé. Au-delà des besoins de revenus à la retraite, il faut trouver d’autres actifs plus performants si l’on pense à sa succession, constate-t-il. « Les gens pensent à la rente viagère seulement lorsqu’ils prennent une rente assurée, ils ne la voient pas par elle-même », dit-il.

Les rentes assurées profitent de règles fiscales particulières prescrites qui changeront à partir de 2017. Une partie plus importante de la rente viagère prescrite deviendra un revenu imposable. M. Giroux dit comprendre l’hésitation du conseiller à proposer la rente viagère à son client, s’il ne peut plus lui-même gérer ces actifs. « Selon mon expérience, il a toujours été rentable pour le représentant de donner le bon conseil », dit-il. La BMO offre un produit d’assurance aux clients admissibles jusqu’à 85 ans. Il demeure plus facile de souscrire une assurance vie avant d’avoir atteint 70 ans, rappelle-t-il.