De nombreux courtiers au Québec risquent de se transformer d’ici peu en courtiers « captifs d’un assureur », met en garde Aviva. L’assureur est à ce point inquiet, qu’il vient de lancer une campagne pour aider les courtiers à demeurer indépendants.C’est l’âge des propriétaires de cabinets de courtage qui accentuera la transformation du réseau, soutient Aviva. Arrivés au seuil de la retraite, des courtiers vendront leur entreprise provoquant une vague de transactions.

Cette vague d’acquisitions sera exacerbée par une surenchère du montant des offres d’achat en assurance aux particuliers parce qu’elles seront de plus en plus financées par des assureurs, soutient Aviva. Nombre de courtiers seront alors tentés de céder à un assureur qui fait appel à la concentration des affaires.

Cette tendance met en danger l’indépendance même du service conseil aux consommateurs, clament Bob Fitzgerald, vice-président et chef de l’exploitation et Patricia St-Jean, vice-présidente principale, région du Québec, d’Aviva Canada.

« Nous sommes d’avis que le client est mieux servi par un courtier indépendant, soutient M. Fitzgerald. On sent que celui-ci est en danger et nous sommes donc arrivés avec une stratégie pour que le réseau indépendant puisse survivre. Nous voulons que les courtiers comprennent qu’ils ont un choix. Nous disons aux courtiers que nous ne voulons pas les détenir, et qu’ils ont une autre option pour demeurer indépendants. »

« Le risque de voir les courtiers devenir captifs est bel et bien présent, renchérit Mme St-Jean. Il n’est pas trop tard pour l’éviter, car il reste encore suffisamment de courtiers. »

Mme St-Jean dit avoir observé des acquisitions fréquentes de cabinets par des courtiers qui concentrent alors avec un assureur. Les consommateurs reçoivent bien un avis de divulgation lors de leur renouvellement, mais elle déplore que le rôle conseil du courtier soit altéré.

Cette situation augmente d’autant les parts de marché des directs versus le courtage, avance Mme St-Jean. « En automobile, les directs détiennent plus de 50 % du marché. Si on ajoute le volume de primes des cabinets qui concentrent, ce pourcentage monte à combien? », s’interroge-t-elle.

Champ de bataille

Aux courtiers qui veulent voir le réseau continuer à se développer, Aviva propose un plan de solutions en quatre points. Le financement pour une acquisition, le paiement du montant de l’écart face à une offre faite par une autre compagnie d’assurance, l’assistance pour la planification de la relève et l’entreposage temporaire. Ce dernier point consiste à acheter un cabinet et à le garder le temps de jumeler un acheteur et un vendeur.

Aviva a également dressé le portrait du courtier avec qui elle veut faire affaire. C’est d’abord et avant tout un courtier pilier. Le principal critère recherché est qu’il n’a pas de « tatous », ce qui veut dire qu’il n’est pas captif d’un assureur.

« Le courtier pilier est un partenaire de confiance qui n’a pas de “tatous” l’identifiant à un assureur, souligne Mme St-Jean. Il désire croître et est prêt à acquérir d’autres courtiers. Il a une stratégie enlignée avec celle d’Aviva et est prêt à en faire un engagement. »

Mme St-Jean dit qu’Aviva a déjà dessiné le champ de bataille (war map) en identifiant les joueurs sur le terrain. Aviva connaît les préférences des courtiers et a commencé à guider certains d’entre eux vers des transactions. « On fait des mariages », dit-elle.

Aviva défend que sa proposition ne contient aucune condition de concentration de volume, d’actionnariat ou d’attaches de quelque nature que ce soit.

Elle craint que plusieurs courtiers en assurance des particuliers déjà captifs d’un assureur fassent de même dans le « petit commercial ».

Elle affirme qu’il ne passe plus un jour sans qu’un courtier ne l’appelle pour parler de l’avenir de son cabinet. Mme St-Jean souligne que la majorité des courtiers sont dans la mi-cinquantaine et qu’ils s’inquiètent de l’avenir de leur cabinet.

« Ceux-ci veulent se faire guider. Chaque requête est différente. Ils ne sont pas prêts à vendre dans le moment. Ils veulent voir quel support ils peuvent avoir pour que leur cabinet demeure indépendant. Ils veulent voir où le réseau s’en va », explique la vice-présidente d’Aviva au Québec.

Mme St-Jean révèle même qu’un courtier l’a appelée en juin pour qu’Aviva achète son cabinet. Aviva a refusé tout comme elle lui a dit qu’elle n’achetait pas de cabinets.

« Nous réagissons ainsi face à ceux qui mettent un chèque sur la table. Certains courtiers ont reçu des offres lucratives l’an dernier. Bon nombre ont refusé parce qu’ils ne sont pas prêts à vendre, mais aussi parce qu’ils ne savent pas si c’est le bon prix qu’ils peuvent avoir », laisse entendre Mme St-Jean.

Elle ne cache pas qu’un des problèmes des courtiers indépendants est que leur réseau est plus limité, du fait qu’ils sont indépendants des gros assureurs. Aviva doit donc les aider en ce sens. Un autre problème se profile dans la démarche d’Aviva. Il y a beaucoup de capital dans le marché et les courtiers ne sont pas à même de mesurer la valeur de leur cabinet.

« Nous avons fait des prêts allant de 300 000 à 5 M$. C’est une variation qui est énorme. Notre stratégie a suscité beaucoup d’activités. Nous avons manqué des occasions au début, mais maintenant on est prêts», précise Mme St-Jean.

50 dossiers

M. Fitzgerald affirme que la même situation se produit à l’extérieur du Québec. Il croit que la montée des directs continuera à un rythme plutôt lent dans tout le Canada. Selon lui, la situation n’est pas pire au Québec que dans les autres provinces. « Cette montée a commencé plus tôt au Québec. C’est sûr que les courtiers du reste du Canada vivront la même chose », affirme-t-il.

Aviva a d’ailleurs déjà commencé à financer certains courtiers, mais elle n’a pas eu à recourir à l’entreposage temporaire ou à payer l’écart entre des prix d’achat. Il affirme que 50 dossiers sont ouverts à travers le Canada et que ce chiffre augmente quotidiennement.

Aviva utilise d’ailleurs la réserve que la compagnie avait mise de côté en 2005 pour financer les courtiers qui le désirent. C’est d’ailleurs à partir de ce fonds qu’Aviva a financé la fusion de Dale-Parizeau LM et de Morris-Mckenzie.

Selon M. Fitzgerald, ce fonds contient des centaines de millions de dollars, sans préciser le montant exact. « Nous utilisons ce fonds pour protéger le réseau indépendant et lui permettre de prospérer », mentionne-t-il. Le vice-président d’Aviva croit également que les courtiers devraient étudier la possibilité de se fusionner entre eux et ainsi consolider le réseau.