Vu la forte variabilité du climat qui l’affecte, le Canada ressentira particulièrement les effets du réchauffement climatique, plus que bien d’autres régions du globe. On peut donc s’attendre à des tempêtes plus violentes dans le futur, mais pas nécessairement à une augmentation du nombre de celles-ci. L’humanité joue ainsi à la roulette russe avec ses comportements actuels, qui affectent grandement le climat.C’est le portrait qu’a présenté Philippe Gachon, chercheur scientifique au centre canadien de la modélisation et de l’analyse climatique d’Environnement Canada et professeur adjoint à l’Université du Québec à Montréal, lors de la Journée de l’assurance de dommages 2014. Il a fait une revue des principaux indicateurs montrant que le réchauffement planétaire ne ralentit pas, et comment le tout affectera le Canada.

M. Gachon a lancé un véritable cri d’alarme en ce qui au trait au réchauffement planétaire. « Si on a des changements à faire dans nos habitudes, il faut les faire tout de suite. Autrement, il sera trop tard », dit-il.

Les modèles du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de l’Organisation des Nations Unies (ONU) démontrent déjà que le réchauffement sera de plus de deux degrés Celsius en 2050, dit M. Gachon. « Le réchauffement se poursuivra au-delà de 2100, même si on stabilise certains scénarios. On vivra de fortes intervariabilités au niveau régional. Ça veut dire qu’on aura de plus fortes fluctuations, donc plus de tempêtes violentes. On peut s’attendre à ce que ce soit plus fort au Canada », dit-il.

Il faut donc réévaluer la façon de prévoir le climat, ajoute-t-il. « Les données annuelles que nous récoltons sur le climat ne sont plus garantes de l’avenir. Plusieurs raisons expliquent maintenant les augmentations d’une année à l’autre », a-t-il prévenu.

Philippe Gachon

M. Gachon a commencé sa présentation par les taux d’émission de gaz à effet de serre (CO2) dans l’atmosphère. Les chercheurs peuvent mesurer leur évolution grâce à diverses techniques. L’un des indicateurs les plus fiables est la mesure des carottes de glaces dans l’Antarctique, qui permet de remonter des centaines de milliers d’années dans le passé.

« Depuis le milieu du 19e siècle, on mesure des données jamais enregistrées dans l’histoire de l’humanité. On est passé de 275 parties par million (ppm) de CO2 à plus de 400 ppm maintenant. C’est une augmentation de concentration de gaz à effet de serre jamais observée depuis 400 000 ans », dit M. Gachon.

Les scientifiques utilisent aussi des modèles d’intégration pour se projeter dans le futur, notamment pour le taux de CO2. « C’est une mesure que le GIEC suit attentivement. Des chercheurs européens se sont demandé si l’augmentation du taux de CO2 aurait un effet sur réchauffement du climat. Trois scénarios en ont découlé, et les trois pointent vers une réponse affirmative. Le pire, qui parle d’une augmentation de 85 degrés Celsius d’ici 2050, ferait grimper le taux de CO2 dans l’atmosphère à 900 ppm, soit plus du double du niveau actuel », dit M. Gachon.

Désastres naturels

M. Gachon s’est aussi penché sur l’évolution des désastres naturels au 20e siècle, notamment les ouragans, les tornades et les inondations. « On voit une augmentation constante et substantielle. Si on fait la distinction entre les différents évènements météorologiques et autres, on voit que le nombre d’évènements hydrologiques majeurs augmente. En termes de couts, ça atteint maintenant les milliards de dollars (G$). On n’a qu’à penser à l’ouragan Katrina, dont la facture pour la société a dépassé les 100 G$ », dit-il.

Aux États-Unis, de 1960 à 2005, les évènements les plus couteux ont été, dans l’ordre, les ouragans, les inondations, les sècheresses, les érosions côtières, les tempêtes sévères (notamment de neige) et les tornades. « On parle souvent de tornades aux États-Unis, mais ce ne sont pas les phénomènes les plus couteux. Les phénomènes reliés à l’eau le sont beaucoup plus », dit M. Gachon.

Au Canada, on voit aussi une augmentation des évènements couteux. Les tempêtes sévères, les inondations et les feux de forêt arrivent en tête de liste. On en comptait moins d’une dizaine dans la décennie 19001910. La cinquantaine a été atteinte dans les années 1960. La centaine, dans les années 1980. Pour la décennie 20002010, on en a dénombré près de 170.

Températures en forte hausse au Canada

M. Gachon a aussi abordé la question de l’évolution des températures. D’après le plus récent rapport du GIEC, depuis 1850, la Terre a enregistré des fluctuations de température d’année en année. Une augmentation a été enregistrée au début du 20e siècle. Le tout s’est stabilisé durant les années 1950. Depuis les trois dernières décennies, on observe une augmentation constante, dit le scientifique.

« L’augmentation va en s’accélérant. Le GIEC affirme que l’effet humain est discernable sur les 50 dernières années. Le réchauffement est en grande partie lié aux activités humaines. Les trois dernières décennies, soit de 1980 à 2010, sont les plus chaudes jamais enregistrées depuis 1850 », dit M. Gachon.

Il ajoute que tous les indicateurs liés à la température sont en hausse : température de l’air, des océans et de l’air au-dessus des océans. « Ces augmentations sont particulièrement observables dans les régions au nord du globe terrestre, pas uniquement au Canada, mais aussi en Scandinavie. L’impact le plus fort est toutefois au Canada », dit M. Gachon.

Il en prend en exemple l’augmentation de la température de l’air. « En moyenne, à travers le monde, l’augmentation est de 0,8 degré Celsius depuis 1948. C’est le double au Canada. Si on prend uniquement le nord du Canada, on parle alors du triple de la moyenne mondiale », dit-il.

Il ajoute que pour les 30 dernières années, les moyennes de température enregistrées au Canada sont anormales par rapport aux moyennes antérieures. « En janvier, novembre, et décembre, on observe des taux de réchauffement dans l’est du Canada qu’on ne retrouve pas ailleurs au pays. On parle de trois degrés Celsius de plus par décennie. On a observé des taux de neuf degrés de plus dans la baie d’Hudson et le golfe du St-Laurent. Il n’y a aucun équivalent ailleurs dans le monde. Ça n’existe pas, même en Sibérie. C’est particulier à l’est du pays », dit-il.

Que nous réserve le futur? M. Gachon souligne tout d’abord qu’on continue à battre des records de chaleur d’une année à l’autre. L’année 2013 est d’ailleurs la deuxième année la plus chaude de tous les temps, rappelle-t-il.

Le scénario futur le plus pessimiste parle d’un réchauffement qui s’amplifie en moyenne de six à sept degrés Celsius dans le Nord canadien, en 2050. « Ce réchauffement est toutefois plus fort en hiver qu’en été. C’est un peu plus chaud dans le sud l’été, soit de deux à quatre degrés. Pour le Nord, à l’été, on parle d’un réchauffement moyen de cinq degrés. C’est dû à la fonte de la glace et de la couverture de neige », dit M. Gachon.

Biodiversité menacée

Le chercheur note toutefois que ces fontes ont une importance capitale dans la stabilité de la biodiversité. Or, au cours des 30 dernières années, on a observé une fonte de 50 % du couvert de glace au Canada, en juin. C’est aussi vrai pour le couvert neigeux, avec un recul de 34 % sur 30 ans, en juin.

« Depuis 1968, la fonte du couvert de neige par décennie est de 11 % à 17 % plus élevée que ce qu’on observe ailleurs dans le monde en moyenne. C’est vrai dans le Labrador, mais aussi dans le nord du Canada », dit-il.

Autre source d’inquiétude : la glace multiannuelle qu’on retrouve dans les océans canadiens a fortement diminué. « Ça favorise moins de glace, d’année en année. La glace multiannuelle est plus lente à fondre, car elle est plus épaisse que celle qui se forme chaque année. On en viendra un jour à un point où il n’y aura plus de glace multiannuelle. Ça aura impact majeur sur biodiversité. Il y a des algues qui sont présentes dans les écosystèmes uniquement à cause de la glace multiannuelle. Certaines formes de phytoplancton dépendent de ces algues, et ainsi de suite », dit-il.

Pourquoi ces changements sont-ils plus marqués au nord du Canada? « Si on change la couverture de neige ou de glace, la radiation solaire devient plus importante sur les océans. Si on enlève de la glace, l’océan absorbe beaucoup plus de chaleur, qu’elle restitue pour retarder l’englacement en hiver. Aussi, lorsqu’il y absence de glace, la mer, ou encore l’océan, qui est à peu près de zéro degré près de la glace, est un four pour la Terre », dit-il.

Précipitations stables, mais avec plus d’anomalies

La moyenne des accumulations de précipitations ne devrait pas subir de grandes variations dans le futur, dit M. Gachon. Toutefois, d’une année à l’autre, elle pourra varier d’un extrême à l’autre. « Depuis 1970, on voit que les quantités de précipitations liées aux anomalies météorologiques sont plus importantes et fréquentes. Pour le futur, certains scientifiques parlent d’une nouvelle hausse pouvant aller de 20 % à 50 % pour ces anomalies », dit-il.

Comme exemple d’anomalie, il mentionne celle ayant affecté les Maritimes et l’est du Québec en décembre 2010. « À ce moment, la température était de 10 degrés Celsius de plus que la normale dans ces régions. L’apparition de la glace avait eu trois semaines de retard sur la moyenne dans la baie d’Hudson. Tout cela a été à l’origine d’une tempête particulière, non pas par son intensité, mais par son anormalité », dit M. Gachon.

Une dépression s’était formée sur le Colorado. Elle avait suivi une trajectoire normale, mais une fois dans l’océan, elle était revenue vers la terre ferme. Ainsi, le 6 décembre 2010, elle a repassé l’estuaire du St-Laurent.

À Rimouski, on a alors enregistré une marée haute d’un mètre au-dessus de la normale, avec des vagues dévastatrices d’une hauteur de cinq mètres. « Cette tempête avait causé énormément de dommages. Dans l’histoire, seulement trois tempêtes de ce genre sont survenues. Tout cela causé par le fait qu’il faisait plus chaud dans l’océan », dit M. Gachon.

Est-ce que de telles tempêtes vont se produire plus souvent? « Quand on regarde l’évolution des tempêtes depuis 1979, sur la côte Atlantique, on voit qu’il y a une forte variabilité, d’année en année. Ce qu’on en dégage, c’est que les tempêtes ne sont pas plus nombreuses. Elles sont toutefois plus intenses », dit-il.

« D’ici 2070, les modèles prévoient toutefois que les tempêtes seront un peu plus fréquentes. Il y aura aussi une plus grande intervariabilité d’une année à l’autre. Il n’y a pas de changement en ce qui a trait à l’intensité », dit-il.

Roulette russe

Pour M. Gachon, il ne fait aucun doute que l’humanité joue actuellement à la roulette russe. « On expérimente quelque chose que la Terre n’a jamais vécu en 400 000 ans. On croyait qu’on avait un système stable. On voit que ce n’est pas le cas. On déstabilise le système, en ce moment. Si on change l’équilibre, on peut se retrouver dans un autre système. On se retrouverait alors dans une période où il y a de fortes fluctuations; donc, de fortes anomalies. Les changements peuvent être extrêmement abrupts », prévient-il.

Il en tient pour preuve certaines découvertes faites dans des carottes de glace en Antarctique, qui ont démontré qu’à la fin de la dernière période glaciaire, il y a eu de forts retours au froid ou des réchauffements marqués en seulement quelques décennies. « Ces fluctuations peuvent être très abruptes et très rapides dans les phases où on est en train de déstabiliser le système. En quoi ces changements vont-ils affecter ces fluctuations? C’est un débat que nous avons dans la communauté scientifique », dit-il.