Le Collège des médecins du Québec (CMQ) craint l’appétit des assureurs pour la médecine privée au Québec. Plus il y aura des médecins qui abandonneront le régime public pour aller pratiquer au privé comme on le vit depuis quelques années et plus les compagnies d’assurance lorgneront ce marché.
C’est l’avertissement que son président, le Dr Mauril Gaudreault, a servi au ministre de la Santé, Christian Dubé, lors de la commission parlementaire consacrée au projet de loi 83. Cette loi forcerait les jeunes médecins à signer un contrat d’engagement avant le début de leur résidence et à pratiquer au moins cinq ans dans le régime public avant de choisir de devenir non participants.
Le ministre Dubé a dit voir dans son projet de loi 83 l’occasion du débattre du privé en médecine et souligné la nécessité de considérer ce secteur comme une avenue complémentaire et non comme une alternative concurrente au réseau public.
Le Québec en tête de file au Canada
Le 31 décembre dernier, la province comptait un peu moins de 27 000 médecins en règle. De ce groupe, quelque 800 s’étaient retirés du régime public. Ce sont en majorité des omnipraticiens.
Le privé en médecine connaît un développement accéléré au Québec. Le nombre de médecins qui ne sont plus participants est en croissance rapide et la province bat tous les records de cette catégorie au pays. En 2021-2022, il n’y en avait que 18 dans l’ensemble des autres provinces canadiennes.
« Cette situation, estime le Collège dans son mémoire, est attribuable, selon nous, à la largesse des règles d’encadrement en vigueur. En effet, seulement cinq provinces permettent aux médecins de se désaffilier de l’assurance publique et de facturer des honoraires directement aux patients. De ces provinces, seuls le Québec et la Saskatchewan permettent encore aux médecins non participants de réclamer des honoraires plus élevés que ceux facturés dans le réseau public pour les mêmes services. »
Au Québec, a souligné la Conférence des doyens des facultés de médecine, cette différence de facturation du public au privé pour un même service rend la pratique privée plus attrayante.
Si la tendance se maintient
« Si la tendance se maintient, a dit craindre le Dr Gaudreault, les assureurs proposeront bientôt des couvertures de soins privés à leurs clients, ce qui nourrira davantage le développement du secteur », ce qu’il ne voit pas d’un bon œil.
« Il faut cesser l’expansion du privé. Il faut agir maintenant », a-t-il martelé devant les élus.
Plus il y aura de médecins non participants, a-t-il ajouté, plus les compagnies d’assurance reluqueront la médecine privée et plus la pression en faveur d’une couverture d’assurance sera forte.
Il y voit une nécessité de légiférer avant qu’il ne soit trop tard. Déjà, a-t-il déploré, l’accroissement du réseau privé nuit significativement à l’accès aux soins en réduisant la main-d’œuvre disponible dans le réseau public.
Or, prétend le Collège, à moyen et long terme, le privé n’améliore pas l’accès et ne rend pas les soins moins coûteux. Il réclame donc la disparition du statut de médecins non participants au Québec ainsi que l’élimination de l’écart de rémunération entre le privé et le public pour un même service.
« Si cette assurance pour la médecine privée prend forme et que des contribuables aisés y ont accès, cela confirmera l’acceptation explicite d’un système à deux vitesses. Ce sera la fin du réseau public tel qu’on le connaît », a prévenu le Dr Gaudreault.
L’Ontario interdit à ses médecins de se désaffilier du régime public. Le CMQ souhaite que le Québec imite la province voisine, ce qui éliminerait l’obligation pour les nouveaux médecins québécois de pratiquer au moins cinq ans dans le régime public et rayerait les très fortes amendes financières prévues au projet de loi à l’égard des contrevenants.
Rémunération des médecins au Québec
Entre le Ier avril 2022 et le 31 mars 2023, la rémunération annuelle moyenne brute (incluant les frais de cabinets et les primes) des médecins spécialistes au Québec rétribués par le régime public s’établissait à 432 184 $ dans les spécialités médicales, à 514 077 $ dans les spécialités chirurgicales et à 618 302 $ dans les spécialités de laboratoire. C’était il y a deux ans.
Les cinq spécialités les mieux rémunérées la même année étaient :
- La radiologie : 891 828 $
- L’ophtalmologie : 734 186 $
- La cardiologie : 595 330 $
- La chirurgie cardio-vasculaire et thoracique : 580 993 $
- La radio-oncologie : 535 804 $
Au 31 décembre 2023, selon les chiffres de la Régie de l’assurance maladie du Québec, 2 467 contrôles avaient été effectués auprès des médecins spécialistes et la Régie devait récupérer 690 000 $ auprès de membres de ce groupe.
Pour leur part, les médecins de famille ont touché en moyenne 342 245 $ entre le Ier avril 2022 et le 31 mars 2023.
La médecine en chiffres au Québec
Au 31 décembre 2024 :
– 26 396 médecins étaient inscrits au Collège, mais parmi eux 3 100 étaient inactifs pour diverses raisons
– Ils se répartissaient comme suit : 11 750 médecins spécialistes et 10 695 médecins de famille
– 55 % des médecins sont des femmes et la moyenne d’âge des médecins québécois est d’un peu plus de 48 ans
– 4 000 médecins ont moins de 35 ans. Le plus jeune était âgé de 25 ans et le plus vieux de 93 ans
– Plus de 85 % des médecins pratiquant dans la province sont diplômés du Québec. Les autres l’ont été au Canada ou dans d’autres pays.
– On dénombrait un peu plus de 4 000 médecins résidents et plus de 4 500 étudiants en médecine, dont une majorité est des femmes.