L’intelligence artificielle et l’apprentissage profond pourraient faire bénéficier les participants d’un conseiller qui les accompagnent 24 heures sur 24, en plus de détecter la fraude à l’assurance. Pour réaliser cette vision, les assureurs devront apprendre à utiliser les données.
Chef de l’équipe du centre d’analyse des données au Conseil national de recherches Canada (CNRC), Stéphane Tremblay se spécialise entre autres en apprentissage automatique. Le centre d’analyse aide des entreprises de tous les secteurs à faire face à l’enjeu des données massives. Le CNRC investit annuellement un milliard de dollars en recherche et développement.
Entité particulière, le centre d’analyse compte environ 80 personnes, dont 30 experts en apprentissage automatique. « Notre mandat est très proche des entreprises privées. Ce sont elles qui nous paient pour nos services. Nous avons d’ailleurs fait quelques projets avec des compagnies d’assurance », a-t-il révélé, lors du Colloque en assurance collective de la firme Segic.
M. Tremblay s’est interrogé sur la position de l’industrie par rapport à d’autres secteurs, en matière d’intelligence artificielle. « Les assureurs ont consenti plus d’investissements que la moyenne à la recherche. La mise en œuvre des solutions est plus lente que dans les autres secteurs. »
Est-ce la culture stable de l’industrie qui entraine une résistance au changement, qu’elle perçoit comme un risque ? Le chercheur ne peut le dire avec certitude.
Il ajoute toutefois que les assureurs sont très actifs dans l’expérimentation et l’évaluation du risque. Ils peuvent user de ces forces pour mieux détecter la fraude et mieux recueillir l’information des clients. Ça les aidera à diminuer leurs couts, dit M. Tremblay. « Les assureurs devront réaliser une plus grande automatisation des tâches s’ils veulent véritablement passer à l’intelligence artificielle », prévient-il toutefois.
Si les assureurs parviennent à surmonter ces enjeux, ils pourraient en arriver au conseiller qui travaille 24 heures sur 24, a-t-il lancé. L’assureur qui relève le défi devra recueillir en plus de ses données internes des données externes qui viennent des réseaux sociaux ou d’appareils connectés », énumère le chercheur.
Il devra aussi traiter des données non structurées. Pour expliquer ce concept, Stéphane Tremblay a partagé une expérience vécue avec une entreprise qui souhaitait analyser son taux d’absentéisme. « En prenant des photos aériennes d’un stationnement, nous pouvions voir une croissance sensible du taux d’absentéisme les lundis et vendredis, et à l’approche des jours fériés. Nous avons été capables d’observer le même phénomène en mettant un capteur à la porte d’entrée. Nous pouvions aussi observer une variation de la température à l’intérieur de l’édifice. Ce ne sont pas des analyses très intrusives. Elles n’ont pas d’impact sur la vie privée », décrit M. Tremblay.
De même, les employés disposant d’une carte d’identité munie d’une puce RFID (radio-frequency identification) ou d’une montre Fitbit pouvaient être suivis dans leurs déplacements, sans poser d’enjeux particuliers à l’égard de la protection de la vie privée, selon l’expert.
La fraude : enjeu global
Doté de toutes les données nécessaires, le conseiller 24/24 pourra aider les assureurs à faire face aux enjeux de fraudes et de vie privée, croit M. Tremblay. « La fraude est devenue un enjeu global pour les assureurs, qui en font une haute priorité », affirme-t-il.
Il existe plusieurs exemples d’applications et d’études sur la fraude dans d’autres secteurs, a-t-il précisé. Quant à la résistance des décideurs, M. Tremblay croit que s’il peut être difficile de convaincre la haute direction d’investir dans l’intelligence artificielle pour augmenter l’efficacité des opérations courantes, il sera beaucoup plus facile d’y parvenir au sujet de la fraude. « C’est une solution gagnant-gagnant », a-t-il dit en faisant référence au retour sur l’investissement.
Pour mieux convaincre, le projet devrait se donner comme objectif d’évaluer mensuellement le risque de fraude de tous les adhérents. Le tout sera atteint en recueillant des données internes, historiques et annotées. « Les données annotées donnent des exemples de fraude. Tout l’historique derrière ces données permet de modéliser les cas de fraudes. Une fraude n’arrive jamais de façon unique, même si elle ne sera pas toujours perpétrée de la même manière à travers plusieurs exemples », explique M. Tremblay.
Le partage des données entre assureurs ajoutera à la faisabilité du projet, ainsi que l’accès aux données des réseaux sociaux, des caméras publiques et d’autres données ouvertes, a précisé le chef du centre d’analyse des données. Il ajoute que modéliser se fera alors aisément. Ce qui prendra plus de temps est le nettoyage et la transformation des données. « Il faut convaincre que cela prendra trois mois à développer une idée qui prend une minute à exprimer. Après la modélisation et le déploiement viennent aussi l’amélioration et l’automatisation du modèle. »
Des adhérents suivis à la trace
Ensuite, le courtier 24/24 doit être positionné par l’assureur comme quelqu’un qui accompagne tous les adhérents à un régime collectif, non seulement une fraction d’entre eux, dit M. Tremblay. « Nous observons souvent ce fractionnement en matière de fraude, lorsque l’assureur inspecte un échantillon. Le faire pour tous aide davantage à détecter et abaisser les risques et la fraude, dit-il. De même, le modèle permettra d’informer les adhérents des risques de santé et de promouvoir les saines habitudes de vie auprès de chacun, selon ses particularités. »
Pour un meilleur succès, il suggère de fusionner des données internes avec une collecte de données transparente effectuée à partir d’appareils intelligents. « Si le promoteur de régime est capable de convaincre les adhérents de porter une montre Fitbit, par exemple, cela permettrait de déterminer les facteurs de risque. Il pourra évaluer le risque de façon individuelle et ainsi réduire les couts par employés. »
L’assureur ou le promoteur de régime qui se lance dans l’aventure doit s’attendre à investir à long terme de manière importante. « Allez vers l’approche du prototype, à petits pas. Implantez une culture de l’automatisation. »
Ce qui est plus facile à dire qu’à faire, reconnait le chercheur. « Lorsque j’ai voulu automatiser les processus de Statistique Canada, dont plusieurs se faisaient encore à la main, j’ai fait face à beaucoup de résistance. Plusieurs croient que l’intelligence artificielle sert à éliminer des emplois alors qu’en réalité, elle permet à des experts de réaliser leur plein potentiel plutôt que de s’ennuyer à des tâches répétitives », dit M. Tremblay.
Il invite les entreprises à se doter d’une stratégie de données de façon à augmenter leur « maturité analytique ». L’entreprise mature aura des données internes structurées en silos, mais aussi des données externes et non structurées. Il y annexera ensuite des données hybrides, soit des données internes intégrées à des données externes. Ses capacités analytiques jusque là descriptives deviendront prescriptives, en passant par les diagnostics et les prédictions. Le système pourra prendre des décisions en temps réel et automatisées..