Au Canada anglais, Alister Campbell est reconnu comme étant un grand défenseur du courtage. Il pose néanmoins un regard critique sur les actions des courtiers et leur attentisme des dernières années.

Il souligne qu’il y a une grande différence entre être un assureur et être un courtier. « Comme assureur, on joue avec l’argent des autres. Le courtier joue avec son propre argent. Son regard sur leur marché ne peut donc être que meilleur. C’est particulièrement vrai pour des assureurs de niche comme la nôtre. Ils connaissent leur communauté et savent cibler leur clientèle. Ils comprennent aussi les besoins de leurs clients. Pour un assureur, traiter avec un courtier a du sens dans une stratégie de distribution, surtout pour un spécialiste comme nous », dit M. Campbell.

Le PDG de La Garantie, Compagnie d’assurance de l’Amérique du Nord, ne sous-estime toutefois pas la menace que pose Internet sur le courtage. « Comme dans bien des cas, le marché du Québec a été en avance sur le Canada quant à la distribution d’assurance. On l’a vu avec la montée des directs, la prise de contrôle de certains assureurs sur des cabinets et la distribution par des banques. On le voit encore avec la télématique, d’ailleurs. On regarde le reste du pays rattraper ce retard », dit-il.

Avec tous ces changements, les courtiers ne peuvent pas se permettre de regarder passer la parade, dit M. Campbell. « Les attentes des clients évoluent sans cesse. Les clients s’attendent à pouvoir nous parler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, par l’entremise de leur téléphone intelligent ou encore en regardant le football, le dimanche après-midi. Comme Internet donne la possibilité aux gens de magasiner, de comparer et de transiger instantanément, les courtiers doivent faire un meilleur travail et démontrer leur valeur au client. Ils ont beaucoup travaillé au cours des dernières années pour améliorer leurs marges de profits. Ça les a éloignés de leur clientèle », dit-il.

Les courtiers absents en réclamation

M. Campbell critique aussi le fait que les courtiers ne soient pas présents davantage dans le processus de réclamation. « Ça a du sens au niveau de l’efficience, mais pour ce qui est de la démonstration de leur valeur, je n’en suis pas certain. Le réseau doit démontrer davantage sa valeur ajoutée », dit le PDG de La Garantie.

Daniel Richard, vice-président, Québec, de La Garantie, dit avoir rencontré un courtier de Québec qui a décidé de donner cette flexibilité à sa clientèle. « Il reçoit autant d’appels entre 17 h et 21 h qu’entre 8 h et 17 h. Le courtier qui ferme son bureau à 17 h n’aura pas ses appels », dit-il.

Dans la même veine, M. Campbell donne l’exemple de la Banque TD, qui a été la première à prolonger ses heures d’ouverture et qui s’est retrouvée au deuxième rang des plus grosses banques au Canada.

M. Campbell a poussé l’exercice plus loin. Un dimanche matin, il a appelé 50 bureaux de courtage à travers le Canada, dont des cabinets de grande taille, pour voir combien répondraient. Seulement deux l’ont fait.

« Chaque bon courtier est différent. Chaque mauvais cabinet est toutefois identique. Juste en mettant les pieds dans le bureau, on s’en rend compte. Le bon courtier se distingue par la variété de ses approches, les programmes qu’il développe et la façon dont il développe son entreprise. On voit aussi cette flexibilité dans de petits cabinets qui identifient un besoin et bâtissent un programme autour. Il y aura toujours de la place pour eux », dit-il.

Il donne aussi en exemple un courtier de Toronto qu’il connaissait très bien et à qui il était allé porter son chèque de contingence en mains propres, puisqu’il était dans les sept chiffres. « Lors du souper, je lui ai remis le chèque en lui disant qu’il pourrait se payer de belles vacances avec cela. Un lourd silence a suivi. J’ai tout de suite senti que j’avais dit quelque chose de déplacé. On m’a alors expliqué la philosophie du cabinet. Chaque dollar que ce cabinet tire de ses commissions de contingence sert à financer les activités de charité qu’ils soutiennent. Les profits et les vacances proviennent des commissions régulières », relate M. Campbell.

Il va sans dire que ce courtier domine outrageusement la région dans laquelle il est présent. « Ils sont soit présidents ou vice-présidents des conseils des œuvres qu’ils soutiennent. Leur cabinet est en constante croissance. Ils n’ont aucune menace sur leur territoire, même si plusieurs s’y sont aventurés et s’y sont cassé les dents », ajoute M. Campbell.

Pour réussir, le courtier devra trouver l’endroit où il sera concurrentiel et où Internet ne pourra le battre. M. Campbell note que les courtiers du Québec ont dû s’ajuster plus rapidement, avec la montée de Desjardins. Il mentionne aussi que le marché québécois présente un plus haut pourcentage de cabinets gérés par un assureur. Il dit croire que cet état de fait se débattra sur la place publique, avec le temps. « Ça reste un débat d’industrie, pour le moment. Il est toutefois inévitable qu’il devienne public, selon moi », dit-il.

L’innovation chez les assureurs

Comment un assureur peut-il aider un courtier? M. Campbell souligne tout d’abord que les assureurs devront être plus ouverts à l’innovation. « Peu importe votre taille, vous devez avoir de la discipline. Il faut être ouvert aux idées des gens », dit-il.

L’assureur pourrait mettre en place des portails et des solutions de tarification en temps réel, ou encore aider les courtiers à se trouver une niche.

M. Campbell émet toutefois une mise en garde : parfois, vaut mieux ne pas trop aider les courtiers. « L’assureur n’est pas un bon vendeur. Il demeure une machine de souscription. Il vaut mieux laisser l’entrepreneur se charger de la vente », dit-il.

Ayant commencé sa carrière dans le domaine des services financiers, M. Campbell dit qu’il y a une chose que les courtiers pourraient apprendre des conseillers financiers : ne jamais arrêter de vendre. « S’ils arrêtent de vendre, il n’a plus de revenus. Certains ont essayé de faire les deux, mais ça demeure avant tout une vision plus romantique qu’autre chose. Ceux qui ont réussi l’ont fait par l’entremise des avantages sociaux, puisqu’ils vendent aux mêmes décideurs », souligne-t-il.