Les retraités canadiens ont besoin de plus de conseils et de produits mieux adaptés à une tendance qui prend de l’ampleur : le décaissement de plusieurs centaines de milliards de dollars d’actifs, parqués sous diverses formes d’épargne retraite.

Dans une étude réalisée en aout, LIMRA a voulu tâter le pouls de ce segment vieillissant et cerner les occasions d’affaires qu’il recèle pour les conseillers. Dans 2010 Retirement Income and Spending in Canada, l’organisme de recherche a sondé le segment des 55 à 75 ans à la retraite depuis un à huit ans et disposant d’au moins 100 000 $? à investir. Son principal constat: les retraités ont besoin de l’assistance de leur conseiller financier.

Les trois quarts des retraités qui ont un conseiller ont dit à LIMRA avoir reçu des conseils sur la façon de préserver leurs actifs la vie durant, par exemple. Ils ont aussi confié qu’ils auraient dû aller chercher encore plus de conseils à ce sujet (53?%). D’ailleurs, un retraité sur quatre ne sait pas s’il aura assez d’argent pour générer un revenu la vie durant.

De plus, 51?% des retraités qui ont reçu des conseils auraient aimé en savoir davantage sur la façon de choisir les produits d’investissement dont ils tireront leur revenu de retraite. Car, si huit retraités sur dix disent avoir un plan pour gérer revenus et dépenses à la retraite, la majorité de ces plans ne sont pas structurés. Les conseillers ont ainsi la clé pour faire passer les intentions des Canadiens au plan concret et les inciter à passer à l’action, suggère LIMRA.

Si ce passage à l’action veut dire pour le conseiller se déplacer, il lui promet aussi une récompense de taille?: vendre un produit, voire plusieurs. Par exemple, 46?% des retraités traitant avec un conseiller auraient aimé demander plus de conseils sur les produits de revenus dans lesquels convertir leur REER. En fait, 56?% d’entre eux n’avaient pas encore converti leur REER au moment du sondage, qui a été réalisé de mars à aout 2010.

Les agents généraux doivent s’adapter au décaissement
(AT) Directeur général d’Investissements Excel, Normand Morin parle du décaissement comme d’un point de rupture qui pourrait jouer en faveur des conseillers?: à ce stade, les clients sont plus disponibles et mieux disposés à donner des renseignements. «?À une époque pas si lointaine, les gens s’intéressaient peu à la gestion de leurs placements. Ils rencontraient leur conseiller pendant une heure, une heure et demie et ils en avaient assez. Maintenant, ils sont plus ouverts à une planification et des conseils étendus?», estime-t-il.

Les agents généraux et leurs conseillers ont d’ailleurs dû s’adapter en vitesse aux nouvelles dispositions de leurs clients. Directeur investissement et retraite au Groupe Cloutier, Robert Lachance constate que cette conversion s’est réalisée plus rapidement chez les consommateurs que dans l’industrie.

«?Les représentants en valeurs mobilières doivent aussi s’adapter rapidement. Il nous arrive d’arracher des clients à ceux qui ne sont pas en mesure d’offrir des produits spécifiques au stade du décaissement, par exemple les rentes viagères ou les rentes variables?», note-t-il.

Il se dit d’ailleurs surpris de voir la rente viagère connaitre de bonnes ventes malgré les bas taux d’intérêt. «?C’est un volume important de nos affaires. Il n’est pas rare de voir des cotations de rente individuelle qui atteignent le million de dollars?», révèle le directeur de l’investissement.

Il note aussi la popularité des fonds communs de série T. Ces fonds versent un remboursement du capital selon un pourcentage choisi au départ. Ces remboursements sont réévalués annuellement à la lumière du capital disponible au 31 décembre, explique M. Lachance. Aussi, plus de la moitié des ventes de fonds distincts du Groupe Cloutier proviennent des produits à garantie de retraits à vie (GRV).

M. Lachance suggère aussi une répartition étagée de tous ces produits. La fondation des revenus du retraité proviendront des régimes gouvernementaux et de la rente d’employeur s’il en a une. Si ces régimes ne suffisent pas à éponger les dépenses de base, il suggère d’y adjoindre une rente viagère. D’autres produits tels les fonds communs et distincts ainsi que les rentes variables compléteront l’édifice.

L’État ne pourra combler tous les besoins de la plupart des retraités, estime pour sa part M. Morin, d’Excel. «?Cette réalité entraine la popularité de produits comme les GRV et aussi les fonds cycles de vie. De plus en plus de conseillers se sont mieux outillés en allant chercher le double permis?», remarque-t-il.

Les gens sont aussi de plus en plus conscients de l’importance des produits de maladies graves et de soins de longue durée pour préserver leur portefeuille de retraite d’une baisse de revenus. «?On voit de plus en plus les enfants souscrire le produit de soins de longue durée parce qu’ils savent qu’ils n’auront pas le temps de s’occuper d’un parent en perte d’autonomie et aussi parce qu’ils veulent préserver le patrimoine familial?», observe-t-il.-

Solliciter plus de conseils

L’étude fait aussi ressortir les besoins de cette population pour des produits d’assurance destinés à protéger le patrimoine lors du transfert aux héritiers ou en cas de problèmes de santé.

«?Les participants auraient souhaité solliciter plus de conseils en raison d’un mélange de différents facteurs, dont l’incertitude économique et la chute des marchés. Les retraités ont aussi vu leurs revenus diminuer dans 41?% des cas et leurs dépenses augmenter dans 36?% des cas. De plus, 30?% d’entre eux ne savent pas si leur actif durera toute leur vie?», a observé Sally Bryck, analyste principale spécialisée en produits d’investissement et de rentes chez LIMRA.

Mme Bryck en conclut que les conseillers ont là une niche de choix. Elle leur suggère de revoir leurs clients plus âgés pour revoir leur portefeuille et détecter où ces personnes peuvent avoir besoin d’aide. Cette niche est d’autant plus prometteuse qu’elle va en grandissant.

Selon Statistique Canada, près de quatre millions et demi de Canadiens avaient 65 ans et plus en 2007. Ce groupe sera constamment alimenté dans les prochaines années puisque toujours en 2007 près de neuf millions de Canadiens avaient entre 45 et 64 ans. Les Canadiens de plus de 45 ans représentaient donc près de 41?% d’une population totale de 33 millions de personnes. La marée vieillissante ne peut donc que continuer à prendre de l’ampleur.

Spécialisé dans ce segment d’affaires depuis bientôt 20 ans, Hélène Gagné a vu venir la vague. Auteure de Votre retraite crie au secours, parue en 2009, l’associée gestionnaire de portefeuille chez PWL Capital a réalisé tôt que ce segment de clientèle aurait besoin de conseils de façon continue, et beaucoup plus fréquemment que durant leur période active de travail.

«?Je ne suis pas surprise des résultats de LIMRA. La volatilité est l’amie des investisseurs en phase d’accumulation, mais l’ennemie de ceux qui entrent en phase de décaissement?», dit-elle. Un ennemi d’autant redoutable que la retraite dure maintenant plus longtemps que jamais, parfois 30, 35 ans, souligne-t-elle.

En période de volatilité, les retraits minimums exigés du fonds enregistré de retraite (FERR) ont un double effet négatif lorsqu’ils sont effectués en période de volatilité, explique Mme Gagné. Premièrement, on retire des placements qui ont subi des pertes, et lorsque les marchés reprennent, ces placements ne sont plus là pour fructifier. «?Ces deux facteurs peuvent raccourcir considérablement la vie d’un portefeuille de placements?», dit-elle.

Son conseil?: actualisez fréquemment la planification financière de vos clients à la retraite. «?On ne peut plus proposer une seule planification. Pour ma part, je suggère un plan souple qui sera revu en focalisant sur la durée estimée du décaissement. Il ne faut pas se leurrer, ce segment de clientèle nécessite plus de temps que vos clients en phase d’accumulation?», croit Mme Gagné.

Planificateur financier à honoraires qui offre ses services aux entreprises lors de mises à la retraite d’employés ou de rationalisation, Michel Brisebois ne vend pas de produits financiers. Il n’en constate pas moins le besoin criant de ce segment de la population pour une planification adaptée à cette transition vers le décaissement.

En 25 ans de pratique, il a constaté le nombre croissant de Canadiens qui ne bénéficient pas d’un régime à prestations déterminées ou d’une rente d’employeur. De plus en plus, ils doivent gérer leur actif de retraite seuls. «?Ces gens auront besoin de plus de conseils, surtout sur les aspects fiscaux du décaissement, prévoit-il. Les gens ne veulent pas devenir fiscaliste à la retraite, ils veulent se faire tenir la main.?»

M. Brisebois insiste sur l’importance de bien équilibrer les retraits entre placements REER et non REER, pour en minimiser l’impôt ou le reporter le plus longtemps possible. «?Plusieurs croient qu’il est bon de retirer tous les placements hors REER en premier. C’est une erreur. Mieux vaut un mélange entre les deux que le conseiller déterminera au cas par cas?», dit-il.

« Nous devons trouver le discours pour que les gens nous écoutent » — Bruno Michaud

En gestion de risques de portefeuille, Hélène Gagné considère que l’année 2008 a amené les investisseurs à focaliser sur le risque de marché. «?Les gens sont encore très concentrés sur le risque de marché alors qu’ils sous-estiment le risque de longévité, qui devient plus important que jamais?», croit-elle.

Or, elle constate que plusieurs fournisseurs positionnent leur produit comme la solution à tous les maux. «?Aucun produit ne permet d’éliminer ces deux risques à lui seul. Par exemple, avec une rente viagère, je tiens compte du risque de longévité et avec un portefeuille de répartition de l’actif, je tiens compte du risque de marché. Vous devez travailler avec différents produits, car aucun n’est parfait?», dit-elle.

Selon Mme Gagné, les produits sont parfois mal adaptés au marché du décaissement. Elle se montre ainsi réticente envers les fonds à garantie de retraits. «?Ces produits à cout exorbitant offrent très peu de flexibilité?», déplore-t-elle. Elle ne vend pas non plus de fonds communs traditionnels. Elle penche plutôt pour les titres obligataires, les actions privilégiées, les fonds négociés en bourse et les fiducies de revenu.

Elle se méfie des produits qui arrivent en masse sur le marché. «?C’est signe qu’il y a une demande, mais plus du même produit veut souvent dire moins de qualité. Il faut être très sélectif. Souvenez-vous de l’épisode des billets à capital protégé. Tout le monde en offrait jusqu’à tout récemment. Maintenant, on n’en entend plus parler. Ils ne font plus rien et les investisseurs attendent juste de récupérer leurs billes?», dit-elle.

Manuvie n’en démord pas

Les fournisseurs de produits sont toutefois convaincus d’avoir la bonne solution entre les mains. Premier à transplanter le concept de rente variable au Canada, la Financière Manuvie ne démord pas de l’utilité de son produit.

«?Notre produit de garantie de retraits RevenuPlus demeure une catégorie de fonds très importante pour nos affaires et les clients continuent d’en alimenter la demande?», constate Paul Lorentz, vice-président adjoint, produits d’assurance et d’investissement chez Manuvie.

La récente révision du capital règlementaire a forcé les assureurs à modifier leurs produits de garantie de retraits pour atteindre un meilleur équilibre, convient M. Lorentz. «?Les caractéristiques étaient trop riches, mais le produit dans son état actuel offre encore une très bonne valeur?», estime-t-il. Si RevenuPlus fait encore un malheur malgré tout, M. Lorentz s’enthousiasme de la résurgence des ventes du côté des rentes viagères, malgré les bas taux d’intérêt. «?Cette année a été la meilleure en 15 ans pour ce vieux produit traditionnel?», lance-il.

Jacques Lépine pense que la phase de décaissement nécessite un nouveau regard dans l’industrie. «?Dans la phase d’accumulation, la répartition d’actif est importante, mais dans la phase de décaissement, c’est la répartition par produits qui le devient?», rappelle le vice-président des ventes, marché individuel pour la région de l’Est chez Standard Life.

L’assureur prévoit d’ailleurs lancer bientôt sa propre mouture de produit de garantie de retrait à vie, après des années de préparation et de valse-hésitation. «?Nous voulons être sûrs de pouvoir le maintenir intact à long terme?», dit-il.

De son côté, le vice-président régional des ventes et du recrutement chez SFL Partenaires de Desjardins Sécurité financière estime que l’évolution est en cours, mais que toutes les énergies doivent être mises en ce sens. Michael Rogers suggère que les conseillers préconisent une approche globale pour s’assurer de faire surgir chez leurs clients des questions auxquelles ils n’auraient peut-être pas pensé autrement. «?L’impôt au décaissement, le transfert d’actifs entre générations, le fait que le chalet dans les Laurentides soit taxable à la vente, ce sont des choses auxquelles les clients ne pensent pas toujours. À la retraite, les clients ont davantage besoin de conseils que de produits?», insiste M. Rogers.

Les clients devront s’impliquer

Pour sa part, Bruno Michaud croit que cette évolution ne pourra se faire sans que les clients eux-mêmes s’impliquent. Le vice-président principal, administration et ventes de l’Industrielle Alliance demeure ainsi fidèle à sa philosophie de conscientisation des clients. Plus tôt cette année, il avait en effet créé un précédent dans l’industrie en expédiant dans les relevés d’investissement des clients un document pour les sensibiliser à leur part de responsabilité envers la conformité des transactions avec leur conseiller.

Même s’il ne prévoit pas poster ce genre de document pour parler de décaissement, M. Michaud n’en croit pas moins qu’il faut éduquer les consommateurs face aux défis que pose cette transition. «?Il y a une partie du travail qu’on aurait pu mieux faire, mais il y en a une autre partie que nos clients n’ont pas faite. Nous ne mettrons pas de pression, mais nous inciterons les gens à passer à l’action. Souvent, les gens voient leur maison bruler et leur auto se renverser, mais ils ne se voient pas à la retraite?», dit-il.

Selon lui, tout passe par l’éducation et la destruction de certains mythes. «?La règle des projections de placement à 10?%, cela ne marche plus. Le remplacement de 70?% du revenu à la retraite, ce n’est pas toujours vrai. Des dépenses diminueront, mais d’autres augmenteront. Nous devons trouver le discours pour que les gens nous écoutent?», lance M. Michaud.