Le dégel du prix des médicaments a déjà entraîné à la hausse les primes d’assurance collective, impact qui continuera de se faire sentir en 2008. Du coup, les innovations et les améliorations aux régimes existants s’en trouvent d’autant freinées.En vigueur depuis seulement quelques mois, la politique du médicament, qui a mis fin au gel des prix, fait déjà grincer les dents des assureurs en collectif. « L’effet Couillard » comme on se plaît à l’appeler dans l’industrie a en effet créé une inflation qui se répercute dans la plupart des régimes.
L’impact est d’autant plus important que le coût des médicaments représente actuellement de 70 à 75% du coût total de l’assurance maladie au sein des régimes collectifs. À la suite du dégel, la hausse moyenne des coûts de médicaments au sein des régimes collectifs atteindra 3%, estiment les assureurs.
SSQ Groupe financier, comme ses concurrents, constate déjà l’effet de ce dégel, et croit que la tendance à la hausse se maintiendra l’an prochain. « En 2008, on peut s’attendre à une hausse des primes d’assurance collective à cause de l’augmentation du coût des médicaments », indique Carl Laflamme, vice-président ventes et marketing, développement national chez l’assureur.
André Simard, vice-président ventes, assurance pour les groupes et les entreprises pour Desjardins Sécurité financière (DSF) soutient que des hausses ont d’ores et déjà eu lieu. Il estime toutefois qu’il est un peu tôt pour connaître l’impact à plus long terme que ce dégel aura sur tous les régimes. « On évalue à 3% les hausses entraînées par l’effet Couillard. Dans les dossiers majeurs, la hausse peut atteindre jusqu’à 15%. Mais on ne peut encore mesurer l’impact du dégel des prix des médicaments », dit-il.Directeur principal, ventes et relations avec la clientèle à la Croix-Bleue Medavie, Pierre Marion estime pour sa part à 2% la hausse entraînée par le dégel. Même à ce niveau plus modeste, l’augmentation demeure un irritant chez les preneurs de régimes qui doivent sans cesse mettre la main à leur portefeuille depuis plusieurs années, ajoute-t-il.
Résultats de la hausse, actuelle et future : la demande pour de nouvelles garanties collectives fléchit chez les employeurs, déplore-t-on dans l’industrie.
Pour André Simard, cette hausse vient freiner l’innovation dans les régimes puisque les preneurs ont déjà atteint la limite de leur capacité de payer. « Les preneurs ont demandé des innovations à leurs régimes au cours des dernières années et nous nous sommes rendu compte qu’ils avaient déjà du mal à en assumer les coûts », ajoute M. Simard.
Les prestations du vivant constituent un bon exemple d’innovations qui se trouvent freinées dans leur lancée par cette hausse, estime quant à lui Carl Laflamme de SSQ. Les soins de longue durée, les maladies graves et les services de référencement offerts par Best Doctors n’ont pas décollé en assurance collective parce que les groupes ne sont pas prêts à payer plus, croit-il.
« Les employeurs se montrent inquiets des coûts des régimes collectifs. Ils nous disent : "Ces produits sont accessibles sur une base individuelle, les employés peuvent donc se les offrir eux-mêmes." », entend M. Laflamme.
De son côté, Ken Fraser, le président de Fraser Group, constate aussi un manque d’innovation causé par des coûts trop élevés pour les preneurs de régimes.
Fraser Group analyse chaque année les résultats de l’industrie en assurance collective au Canada et au Québec. Bien que la hausse des coûts attribuable au dégel touche uniquement le Québec, M. Fraser croit que les coûts continueront de croître pendant au moins une dizaine d’années partout au Canada.
Selon lui, les coûts grimperont jusqu’à ce que tous les boomers aient quitté le marché du travail. Par la suite, il devrait y avoir, un fléchissement. Toutefois, d’autres facteurs de hausses pourraient survenir d’ici là, estime M. Fraser.
Selon Pierre Marion, les preneurs n’auront pas le choix d’améliorer leur régime s’ils veulent en réduire les coûts. Et ces améliorations pourraient venir de nouveaux services de gestion offerts par les assureurs.
Par exemple, M. Marion prône une gestion optimale de la portion médicaments des régimes. « L’assureur doit passer de rembourseur à gestionnaires », croit-il. Il doit effectuer un meilleur contrôle de l’utilisation des médicaments avant de payer, et déterminer la méthode de remboursement la plus adéquate (à 100%, application d’une franchise, etc.). Aussi, les assureurs ont tout intérêt à vérifier que le médicament prescrit est celui qui correspond le mieux à l’intention thérapeutique, ajoute-t-il.
M. Marion esquisse d’ailleurs un parallèle entre assurance médicaments et assurance invalidité, une autre couverture dont les coûts sont constamment à la hausse. « En invalidité comme pour les médicaments, l’assureur doit veiller à ce que seuls ceux qui ont le droit à la prestation la reçoivent. En gestion des réclamations, au lieu de payer sans nous poser de question, nous regardons comment le processus aurait pu être optimisé. » C’est dans cette optique que Croix Bleue Medavie a développé un outil appelé « Gestion optimale des régimes d’assurance médicaments ».
Chez SSQ Vie, on croit aussi qu’il devient nécessaire de mettre en place des stratégies de gestion des coûts. Or, ces stratégies sont encore trop peu répandues, déplore Carl Laflamme. Il aperçoit toutefois une lueur d’espoir. « Les employeurs veulent en entendre parler davantage. »
Selon Ken Fraser, on est encore loin de la coupe aux lèvres dans ce domaine. Il note un attrait certain de la part des employeurs pour une meilleure gestion, notamment des médicaments. Toutefois, les services de ressources humaines demeurent frileux quand vient le moment de mettre concrètement en place des mesures restrictives. Les directeurs de ressources humaines ne veulent pas nuire aux relations qu’ils entretiennent avec leurs employés, explique-t-il.
« Parfois ces stratégies sont perçues comme si l’employeur s’ingère dans la vie privée des employés, alors il préfère ne pas y recourir », souligne M. Fraser.
L’ouest créatif
L’innovation semble occuper une plus grande place dans l’ouest du pays, notamment en Alberta et en Saskatchewan. « Dans ces deux provinces, on retrouve plus de produits de soins de longue durée ainsi que de maladies graves dans les régimes collectifs », fait remarquer Cyril Bendahan, vice-président régional, assurance collective, région du Québec à la Financière Manuvie.
M. Bendahan ajoute que les régimes de santé flexibles ont la cote dans l’ouest et particulièrement en Alberta, où la rareté de la main-d’œuvre donne aux employés un rapport de force pour exiger des employeurs plus de flexibilité au sein de leur programme d’assurance collective.
DSF a aussi des activités en Alberta, et André Simard constate pour sa part que les employeurs de cette province ont les moyens de rehausser leurs régimes. Toutefois, ils ont peu de temps à consacrer à cette activité, croit M. Simard. Par exemple, ils n’ont pas le temps de magasiner auprès de différents assureurs pour voir s’ils peuvent réaliser des économies. « Les entreprises manquent de personnel pour s’occuper des régimes d’assurance collective », explique-t-il en général.
Selon lui, un employeur québécois sauterait sur l’occasion d’économiser 7% ou 8% en « allant au marché ». À Calgary, on se demandera plutôt qui aura le temps de s’occuper des changements qu’entraîne la transition d’un groupe d’assurés d’un assureur à l’autre.
Les boomers et l’assurance collective
La génération des travailleurs baby-boomers approche massivement de l’âge de la retraite. Plusieurs pensent qu’il y a là une porte ouverte à la créativité en matière d’assurance collective. Cette créativité viendra, d’une part, d’un désir des assureurs d’accommoder les futurs retraités avec des produits adaptés, et d’autre part des employeurs qui voudront inciter ces travailleurs à rester dans l’entreprise. Chaque assureur a d’ailleurs déclaré faire ses devoirs en regard des besoins particuliers de cette clientèle.
Quant à La Financière Sun Life, elle s’adresse directement à l’assuré pour l’inciter à prolonger sa protection d’assurance au-delà de la retraite. Ainsi, depuis juin 2007, un employé qui approche l’âge de la retraite reçoit une proposition de Sun Life l’invitant à profiter d’un régime d’assurance collective après avoir quitté son travail.Le groupe sur lequel se fonde le régime est constitué des assurés de Sun Life retraités. Ceux-ci cotisent dans un
pool commun. « Le retraité peut se prévaloir de l’offre de Sun Life dans les 60 jours qui suivent le début de sa retraite (donc à la fin de son régime). Il aura alors droit à des garanties collectives, par exemple des soins dentaires, une protection de médicaments ou d’assurance vie. Cette offre est déjà en place pour certains de nos clients », souligne Josée Dixon, vice-présidente régionale, expansion commerciale, est du Canada, garanties collectives.
Même si la demande ne se fait pas encore pressante pour ce type d’offre, cela ne tardera pas, croit quant à lui Pierre Marion. Si les entreprises tiennent à conserver cette main-d’œuvre qualifiée en poste, les paradigmes de l’assurance collective devront changer, soutient-il. « Le régime qui s’arrête à 65 ans, l’assurance salaire qui cesse après 65 ans, tout cela devra être révisé pour garder à l’emploi les gens plus âgés », affirme-t-il.
Cyril Bendahan pense aussi que l’industrie devra faire preuve de créativité pour séduire cette nouvelle vague de travailleurs. « Il y aura sous peu une demande pour des produits de retraite et pour des types de régimes d’assurance que nous n’avons pas encore ».
Pour sa part, Carl Laflamme estime qu’il y aura éventuellement un regain d’intérêt pour les maladies graves et pour les soins de longue durée en raison de cette vague démographique. Les prestations du vivant pourraient en effet s’avérer une aubaine pour retenir les boomers au travail après l’âge de la retraite, ajoute-t-il.
Chez Manuvie, on vient d’ailleurs de lancer un tout nouveau produit d’assurance soins de longue durée individuel, lequel pourrait éventuellement être adapté à l’assurance collective, soutient M. Bendahan.
Pour sa part, Ken Fraser observe que les choses bougent toujours très lentement en collectif. Mais le vieillissement de la population est une réalité démographique avec laquelle assureurs et employeurs devront composer, dit-il.
Responsabiliser
Le marché des PME est une avenue privilégiée par la Financière Sun Life pour le développement de ses affaires d’assurance collective. En avril 2006, l’assureur signe une entente avec la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). Celle-ci est destinée à offrir des produits d’assurance aux travailleurs autonomes et aux dirigeants de PME.
Selon Mme Dixon, ce marché offre du potentiel car ce ne sont pas tous les entrepreneurs qui offrent l’assurance collective à leurs employés. En revanche, ils en reconnaissent la valeur ajoutée auprès des employés, surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. « Les entrepreneurs en reconnaissent l’importance, mais ils trouvent les coûts difficiles à assumer. » Mme Dixon observe que les employeurs lui demandent d’innover et parfois même de faire participer davantage l’employé aux coûts du régime.
Josée Dixon pense que la tendance future dans ce secteur sera en effet d’impliquer davantage l’assuré, comme cela s’est passé dans les régimes de retraite. « Avant, on voyait beaucoup de régimes à prestations déterminées. À présent, il y en a de moins en moins. Ils ont été remplacés par des régimes à cotisations déterminées », note-t-elle. Dans ces régimes, les participants sont responsables de leurs choix de placement. Le même phénomène de responsabilisation se produira en assurance collective, croit-elle.
On voit donc à l’heure actuelle que les employeurs désirent partager plus de coûts avec le participant, ce qui pourrait pousser l’assureur à remodeler certains produits. « Actuellement, les employeurs réclament un plus grand partage des coûts avec le participant. Plus le participant est impliqué dans les coûts, plus il se responsabilise dans sa façon d’utiliser les garanties offertes par son régime. C’est là que Sun Life doit apporter des produits qui répondront à ces nouveaux besoins », souligne Mme Dixon.