Si l'Autorité des marchés financiers se montre sévère et coercitive envers les fraudeurs, c'est pour que le public ait le sentiment que justice soit rendue envers leurs victimes. Voilà la seule façon de maintenir la confiance du public dans le système financier, croit l'organisme.C'est ce qu'a affirmé Nathalie Drouin, la directrice générale aux affaires juridiques et secrétaire de l'Autorité, au cours d'une entrevue qu'elle a accordée au Journal de l'assurance, le 29 septembre dernier.

Mme Drouin se dit satisfaite de son année 2008, où le service juridique de l'Autorité a déposé le nombre record de 3 317 chefs d'accusation devant les tribunaux. « Nous avons augmenté nos ressources au cours des dernières années et ça a porté fruit. L'Autorité a maintenant 122 personnes affectées à la lutte contre les crimes économiques, comparativement à 83 en 2007 et 47 en 2005. Notre délai d'enquête moyen se maintient à douze mois. On sort toutefois plus de dossiers et nous avons toujours une centaine d'enquêtes en cours », mentionne-t-elle.

Priorité

La directrice générale de l'Autorité affirme que l'application de la loi (enforcement) a toujours été une priorité pour le régulateur.

C'est l'une des raisons qui pousse l'Autorité à être de plus en plus présente devant les tribunaux. Mme Drouin souligne que le tiers des dossiers portés devant les tribunaux au Canada le sont par l'Autorité.

« Nous avons toutefois des avantages que certaines autres provinces n'ont pas. Dans certains cas, les organismes de réglementation doivent se présenter devant les procureurs de la province pour obtenir le droit de poursuivre une société ou un individu. On pourrait faire comme eux et faire plus de règlements hors cour. Toutefois, nous croyons qu'obtenir des peines plus dissuasives donne un sentiment de justice aux victimes de crimes financiers. C'est essentiel pour maintenir la confiance dans le système. On le voit avec Norbourg. Je suis en désaccord avec les personnes qui disent que les peines obtenues contre Vincent Lacroix ne changent rien. Le maintien de la confiance du public dans le système passe par des peines plus sévères », explique-t-elle.

« Pas le droit à l'erreur »

L'Autorité des marchés financiers maintient aussi un taux de réussite de 95 % devant les tribunaux. « Nous travaillons très fort à monter nos dossiers. On ne lésine pas sur les experts et les juriscomptables. Nous n'avons pas le droit à l'erreur. Certains vont dire qu'on traite des dossiers faciles. Ce n'est pas vrai. Nous plaidons toujours en fonction des facteurs aggravants et on ne demande jamais la peine minimale. On va toujours hors des sentiers battus. À l'Autorité, il n'y a pas de business as usual. Chaque dossier est différent et a son importance. On les prend tous au sérieux », assure Mme Drouin.

Cette dernière ajoute qu'il y a un endroit où l'Autorité s'est particulièrement améliorée, soit à l'étape de la pré-enquête. Le délai d'attente en pré-enquête est maintenant de trois mois, comparativement à sept mois il y a deux ans. C'est là que le premier tri des plaintes se fait. Pour la centaine de dossiers qu'elle a sous enquête, Mme Drouin dit en avoir 200 en pré-enquête.

« On a travaillé fort à revaloriser cet aspect. Le tri fait à la pré-enquête est primordial. Les gens affectés à ce département ont le lourd fardeau de déterminer si un dossier présente un risque élevé. Si c'est le cas, il devient prioritaire. C'est aussi à cette étape qu'on peut demander des interdictions et des blocages », dit la directrice générale de l'Autorité.

Mme Drouin donne d'ailleurs en exemple le traitement du dossier d'Earl Jones. Environ 72 heures après la réception de la première plainte, le Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières (BDRVM) a prononcé ses premières ordonnances de blocage. Le dossier a passé 48 heures dans les mains de l'équipe de pré-enquête et 24 heures supplémentaires au BDRVM.

« C'est un feu roulant. Il faut comprendre que les gens sont parfois dans une situation de détresse importante quand ils nous appellent. Dans le cas d'Earl Jones, nous n'aurions pas pu agir plus vite et nous avons pris la situation très au sérieux », dit-elle.

Cybersurveillance

L'Autorité veut prendre tous les moyens à sa disposition pour attraper les fraudeurs. Le dernier moyen en lice est la cybersurveillance. L'Autorité a mis la main sur le logiciel LazyChamp, qui lui permet de faire des recherches sur 125 moteurs de recherche à la fois. Parmi les sites visités, on retrouve les Pages Jaunes, le Registraire des entreprises du Québec et le site Web d'annonces classées lespac.com.

Au printemps, l'Autorité a entamé un projet-pilote avec ce logiciel, qui visait à débusquer des activités et des comportements à risques. Parmi eux, des faux appels à l'épargne et des cas de défiscalisation de REÉR. Ce dernier est typique, dit-elle. On propose de sortir de l'argent de ses REÉR en évitant de payer de l'impôt. Bien souvent, ces firmes demandent un montant avoisinant les 1 000 $ pour débuter leurs recherches. Au bout du compte, la victime perd bien souvent son argent et ses REÉR.

L'Autorité s'est dit satisfaite des résultats obtenus par son projet-pilote et entend maintenant l'étendre à plus grande échelle. Mme Drouin n'a pas voulu dévoilé combien d'activités de défiscalisation des REÉR ont été débusquées, mais a mentionné que le projet-pilote avait permis d'en trouver un peu partout au Québec. Elle mentionne aussi que ce genre d'enquêtes risque de les amener à enquêter hors de la province.

L'Autorité a ainsi mis en place une équipe de renseignement intégrée avec la Sûreté du Québec (SQ) et la Gendarmerie Royale du Canada (GRC). Les trois organismes pourront ainsi mettre en commun leurs connaissances sur les activités frauduleuses liées aux crimes financiers. Cette équipe est en place depuis le 1er mai et travaille sur trois aspects : la détection de nouvelles stratégies frauduleuses, la mise en commun de renseignements et l'identification de situations et d'individus à risque.

Une escouade mixte a aussi été mise en place entre l'Autorité, la SQ et la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP). L'objectif de cette équipe est de s'occuper des crimes financiers qui sont des infractions aux lois québécoises. Elle se spécialisera dans les crimes où ce sont des investisseurs qui sont des victimes.

« C'est une première au Canada. C'est la seule escouade spécialisée dans les crimes financiers où ce sont les investisseurs qui sont victimes. Nous voulons éviter de dédoubler nos efforts, bien que ça puisse être justifié parfois. Notre objectif est de maximiser nos forces pour faire le plus de dossiers possibles », dit Mme Drouin.

Lacroix

Questionnée à savoir s'il était encore possible de voir des poursuites pénales être déposées avant des poursuites criminelles, comme ce fut le cas pour Norbourg, Mme Drouin a répondu que ce n'était pas impossible. De nombreuses voix s'étaient élevées pour le lui reprocher. La directrice générale a défendu l'action de l'Autorité dans le dossier Norbourg.

« Au moment où on a déposé les accusations, on a pris grand soin de prendre des infractions qui ne nuiraient pas à la cour criminelle, défend Mme Drouin. Deuxièmement, on n'avait pas la certitude et la garantie que des accusations seraient déposées au niveau criminel. Il y avait aussi la possibilité que la DPCP fasse arrêter les procédures pénales, mais ce n'est pas arrivé. »

Mme Drouin fait remarquer que l'Autorité a déposé ses accusations en mars 2006 et que les accusations criminelles l'ont été 33 mois après. « L'Autorité était prête. La preuve était là. Ne pas sortir l'histoire alors qu'on la connaissait aurait été louche. Quand on perquisitionne, c'est dans le but de déposer des accusations pénales. On ne peut perquisitionner juste parce qu'on a un doute et stocker la preuve ensuite. On peut faire toutes sortes de spéculations, mais il reste que Vincent Lacroix a eu son procès pénal, qu'il a plaidé coupable au criminel et qu'il aura une sentence criminelle. En bout de piste, justice sera rendue dans son cas », affirme-t-elle.

« L'objectif est de maximiser les forces pour faire le plus de dossiers possibles. Pour Norbourg, serait-il possible de faire mieux au niveau criminel ? C'est ce qu'on espère faire avec la nouvelle escouade mixte. »

Jurisprudence

Nathalie Drouin dit aussi bien progresser dans son objectif de créer une jurisprudence pour obtenir des peines plus lourdes. « Quand nous avons commencé devant les tribunaux en 2004, on ne pouvait jamais obtenir plus que les amendes minimales. Maintenant, les dossiers qu'on gagne avec une sanction supérieure à l'amende minimale sont majoritaires. Nous n'avons pas encore atteint pleinement cet objectif, mais on y arrive à petits pas. On a développé énormément le concept des facteurs aggravants. Il faut travailler plus la preuve, car pour trouver un facteur aggravant, il faut trouver une infraction à la loi, mais aussi les dommages causés aux investisseurs. Ça nous permet d'aller chercher des amendes et des sentences plus importantes », dit-elle.

Pour la directrice générale de l'Autorité, le plus gros défi du régulateur est de faire comprendre que les infractions en valeurs mobilières sont graves, puisqu'elles causent des préjudices importants aux investisseurs. Selon Mme Drouin, le préjudice n'est pas causé uniquement à la victime d'une fraude, mais aussi à l'ensemble du marché, parce que ça fait diminuer la confiance dans le système.

« C'est pourquoi on doit continuer à le répéter devant les juges pour que les crimes financiers soient pris au sérieux au même titre que les crimes commis contre la personne. Les peines dissuasives donnent un sentiment de justice aux investisseurs. Ce sentiment de justice est essentiel pour maintenir la confiance dans le système. C'est ce message qu'il faut continuer à porter sur différentes tribunes. Les services financiers sont un système où la sévérité des peines est extrêmement importante pour l'équilibre du marché », dit-elle.

Surveiller le Québec

Encore aujourd'hui, un peu plus de 50 % des dossiers d'enquête de l'Autorité sont des placements illégaux ou des cas de pratique illégale. Les chefs les plus souvent soumis aux tribunaux sont pour de l'information fausse ou trompeuse, une transaction réalisée avec de l'information privilégiée ou un délit d'initié.

La méconnaissance de la loi et la mauvaise foi demeurent les deux principales raisons des malversations en valeurs mobilières. L'appel public à l'épargne est souvent un problème. Mme Drouin dit régulièrement voir des entrepreneurs avoir une « bonne idée » rechercher des capitaux pour la financer. L'entrepreneur approche donc son réseau d'affaires. Il a toutefois encore besoin d'argent et est rendu à contacter l'ami de l'ami. Il n'a pas l'impression qu'il fait du placement illégal. Il pense qu'il ne fait que rechercher des fonds pour le deuxième projet de sa compagnie.

« Ce n'est pas nécessairement de la mauvaise foi, mais un manque de rigueur. Dans le but de sauver des sous, il ne s'entoure pas de conseillers. Il tombe dans un cercle vicieux, car il a approché famille et amis. Ça va même jusqu'à publier une annonce classée. Son projet ne fonctionnera pas et sans le savoir, il a fait du placement illégal. Entre temps, des gens auront été lésés et auront déposé une plainte à l'Autorité. On ne pourra jamais tout attraper ça, car il faudrait surveiller toutes les entreprises du Québec », souligne-t-elle.

L'Autorité se retrouve donc à devoir traiter des cas d'entrepreneurs et de particuliers qui n'ont aucune notion de placement.

C'est pour cette raison que la notion d'éducation des investisseurs est aussi importante selon Mme Drouin. « On veut donner beaucoup au niveau de la détection, mais ce n'est pas vrai qu'on pourra tout détecter. La première police d'assurance, c'est l'investisseur lui-même. C'est pourquoi on travaille beaucoup à outiller les investisseurs. Ils sont la première barrière et les premiers à pouvoir détecter des choses. Ils ne faut pas les responsabiliser de tout, mais ils doivent développer des réflexes en ce sens », dit-elle.

Peines plus lourdes en assurance ?

En assurance, l'application des peines est différente, vu les distinctions entre la Loi sur la distribution des produits et services financiers et la Loi sur les valeurs mobilières. Les cabinets d'assurance sont rarement amenés devant les tribunaux. Comme sanction, l'Autorité leur impose plus des amendes, des plans de redressement ou des radiations. En 2008, l'Autorité a fait 88 recours administratifs du genre. Mme Drouin affirme toutefois que ce traitement pourrait changer dans le futur, mais n'a pas de plan pour se lancer vers une avenue plus dissuasive à court terme.

Mme Drouin note aussi que l'adoption du projet de loi 64 en mai 2008 a été bien utile au service juridique de l'Autorité, notamment les mesures permettant d'obtenir des peines d'emprisonnement sans l'obligation d'obtenir des peines financières et celles leur permettant d'aller chercher des informations auprès des vérificateurs. « Ça nous donne une souplesse supplémentaire. On doit faire un bilan de tout ça, mais ce sont des modifications intéressantes pour nous. L'entrée en vigueur de la réforme de l'inscription (31-103) aidera aussi avec l'inscription des gérants de fonds », dit-elle.

Mme Drouin considère que le système financier québécois est un système sain. « La centaine de dossiers avec lesquels je me retrouve sont une minorité dans les milliers de transactions qui se font à chaque jour dans l'industrie. Il y a un paquet de bons cabinets et de bons conseillers. Il est important que l'industrie des services financiers sache qu'on est partenaire avec eux. Le réseau de distribution est un pilier important dans l'industrie. C'est la première sentinelle pour la protection des investisseurs. On voit quelle peut être la conséquence de faire affaires avec des non-inscrits. Il y a beaucoup d'attention sur les malversations ces temps-ci, mais ça montre le besoin d'éducation des investisseurs et on multiplie nos efforts en ce sens. Ça ne veut surtout pas dire que l'industrie est en mauvais état », note-t-elle.