Entre 2006 et 2009, le marché d’assurance automobile au Royaume-Uni a subi une tempête parfaite. L’entrée en scène des agrégateurs et des sites Web où l’on compare les tarifs d’assurance a complètement chamboulé le marché.Paul Fletcher, premier vice-président stratégie, chez Aviva Canada, a travaillé en 2011 avec une petite équipe d’Aviva plc, au Royaume-Uni, pour comprendre ce qui s’était passé dans le marché britannique. Il en avait fait la nomenclature lors de la dernière Journée de l’assurance de dommages. Le Journal de l’assurance est revenu sur le sujet avec lui.

En 2006, une compagnie d’assurance automobile avait un volume de 2 milliards de livres (G£), relate M. Fletcher. Une partie du volume venait du courtage, l’autre, de la distribution directe. À la fin de 2009, son volume était passé à 1,4 G£. En 2006, leurs clients restaient avec eux 5,8 ans en moyenne. En 2009, cette proportion était en deçà de trois ans. « Pouvez-vous imaginer la pression que vivaient les employés de cette compagnie ? »

Comment une telle rupture a-t-elle pu se produire au Royaume-Uni ? Il est normal qu’assureurs et courtiers aient leurs hauts et leur bas, dit M. Fletcher, mais dans le cas du Royaume-Uni, un nouveau compétiteur a émergé. Il y a eu des gagnants, mais aussi des perdants.

« En bout de ligne, le problème que cette compagnie a vécu est qu’elle a tenté de résoudre des problèmes d’aujourd’hui avec des solutions d’hier. Ils ont utilisé tous les trucs connus pour pallier le tout, mais dans un environnement vivant un profond changement. À la fin du compte, ils ont tous simplement creusé davantage leur tombe », dit-il.

Au début de ce cycle, la majorité des assureurs s’en tiraient bien et généraient des rendements intéressants. « Ils faisaient de l’argent. Il faut aussi tenir compte du fait que le marché anglais est l’un des moins règlementés au monde. C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose », dit-il.

Cinq évènements sont survenus dans ce marché et c’est le dernier qui a tout fait basculer. Tout d’abord, l’économie du Royaume-Uni était moribonde depuis un certain temps. Même avant le krach de 2008, les Britanniques se sentaient plus pauvres qu’ils ne l’étaient auparavant, dit M. Fletcher.

Un nouveau sport est ainsi apparu : magasiner et comparer, que ce soit pour la facture de chauffage ou d’électricité. « Les gens s’en parlaient aussi entre eux. »

Au même moment, Internet haute vitesse à large bande devenait beaucoup plus accessible. « Ça a eu un impact dans les échanges entre assureurs et courtiers. Leurs échanges étaient dorénavant standardisés. Il était devenu courant pour eux de transférer des données en temps réel. C’est devenu facile de transiger entre eux depuis », dit M. Fletcher.

Ce n’est toutefois pas ces quatre éléments qui ont fait basculer le marché d’assurance au Royaume-Uni. L’arrivée des agrégateurs a marqué un tournant.

C’est en 1999 que ce nouveau modèle a pris forme. « Des entrepreneurs ont vu une occasion d’affaires. Ils sont embarqués en assurance. Ils se sont répandus à la vitesse de l’éclair. Au point tel qu’en 2006, il était possible d’acheter un kit pour bâtir son propre agrégateur, pour seulement 250 £. Certains leur faisaient même de leur garage », relate M. Fletcher.
Générer du trafic

Tout ce qu’ils avaient à faire était de générer du trafic sur leur site. M. Fletcher donne l’exemple de supermoneymarket.com, où l’on comparait non seulement de l’assurance, mais aussi des téléphones cellulaires, des cartes de crédit, des voyages ou de l’électricité. « Ils vendaient aux consommateurs qu’ils pouvaient leur faire sauver des centaines de livres par année », dit-il.

Le Québec est un marché très compétitif, mais ce n’est rien lorsqu’on le compare à ce qu’a été le Royaume-Uni. « J’y ai trouvé une page Web, que j’ai sélectionnée au hasard, et je n’ai jamais pu arriver à la fin pour voir combien d’agrégateurs proposaient leurs services en assurance. Certaines de ces marques appartenaient à des courtiers. D’autres à des banques. J’y ai aussi trouvé un ou deux supermarchés d’alimentation. J’y ai même trouvé un détaillant de silencieux pour les automobiles ! Il avait sa marque et tentait de me vendre de l’assurance. C’est ce qu’on appelle de la compétition !

« J’ai rempli ma demande et j’ai eu 58 propositions de soumission sur-le-champ. Et je faisais ma demande du Canada ; il y en a donc 33 de plus qui attendaient pour m’en faire une, mais qui ne le faisaient pas sur-le-champ, vu le décalage horaire. Je me suis donc retrouvé avec un potentiel de 91 soumissions d’assurance. Et le prix qu’ils m’offraient correspondait à celui que j’aurais payé il y a dix ans », dit-il.

Les rabais qu’ils offraient étaient assez substantiels, souligne M. Fletcher. « Un consommateur qui faisait appel à un agrégateur pour la première fois pouvait facilement économiser 250 £ grâce à son magasinage. La deuxième année, il pouvait sauver un autre 100 £. Le marché était très sain au début de cette vague. Les assureurs disposaient d’une bonne marge de manœuvre », dit-il.
L’arrivée des agrégateurs a stimulé la demande, mais ça n’explique pas en totalité pourquoi le marché britannique a été chamboulé. « Au début de 2006, les plus gros joueurs étaient Aviva et trois joueurs directs du marché automobile, relate M. Fletcher. En 2007, ils ont dépensé entre eux 31 millions de livres (M£) pour promouvoir leur image de marque dans les médias. Leurs compétiteurs ont probablement dépensé un montant similaire. C’est à l’image de ce qu’on voit au Québec, avec les campagnes de Desjardins Assurances et de BélairDirect, entre autres. »

« Ce qu’il y avait d’intéressant au Royaume-Uni, c’est que 25 joueurs à la fois investissaient les médias en même temps. La réponse d’Aviva et des trois autres joueurs a été d’investir 100 M£ chacun dans les médias de masse, en disant aux consommateurs de magasiner leur assurance et d’ensuite venir les voir pour économiser de l’argent. À un moment où les gens se sentaient plus pauvres, qu’ils avaient accès à Internet à haute vitesse, ça a été un autre tournant », dit-il.

En fin de compte, il n’est resté que deux joueurs dominants dans le marché britannique automobile : Aviva et un joueur direct. En 2006, on retrouvait 18 joueurs directs. La plupart se sont collés à des agrégateurs », dit M. Fletcher.

Les joueurs qui ont le mieux su lire le marché ont compris que les agrégateurs étaient là pour rester, affirme aujourd’hui M. Fletcher. Ils ont donc adopté leur offre en conséquence. « Les perdants de la période de 2006 à 2009 ont été les assureurs directs. Les gagnants ont été les courtiers, mais ils ont dû accepter de revoir leur modèle d’affaires et leur rôle d’intermédiaire ».

Les assureurs ont alors commencé à revoir quelle valeur ajoutée ils offraient aux clients. Certains ont offert du financement de primes. Ils ont dû revoir leur offre, dit M. Fletcher.

« Ça n’a toutefois pas été suffisant pour plusieurs. Le marché était sous pression, car une grande partie du volume de primes s’était envolée, vu la chute des tarifs. Les courtiers ont dû accepter d’être flexibles sur leurs commissions. Certains ont même accepté d’avoir des commissions négatives pour gagner des clients. La compétition en était rendue à ce point », dit-il.

Ça a forcé le marché à innover, souligne M. Fletcher. « Les standards de service à la clientèle ont augmenté substantiellement. Les assureurs se sont aussi attardés à faire des efforts pour réaliser des ventes croisées. C’était devenu essentiel pour survivre. Ils ont aussi cherché à réduire leurs couts. Sous-traiter des centres d’appels en Inde est tout à coup devenu très populaire. Les assureurs ont aussi revu leur image de marque. Il y avait beaucoup de créativité. Les assureurs adoptaient des couleurs vives dans leur image pour attirer des clients », dit-il.

Cette nouvelle donne a toutefois entrainé des dérapages au niveau des réclamations. « Tout le monde s’y arrachait les clients. Les carrossiers payaient même les assureurs pour avoir leurs clients. Les assureurs leur vendaient des références. Le régulateur s’est d’ailleurs attardé sur la question », dit M. Fletcher.

Qu’est-il arrivé au marché ? « Les assureurs ont dû changer. Ils ont dû s’adapter aux agrégateurs. Quant aux courtiers, plusieurs ont décidé de se concentrer sur l’assurance aux entreprises et certains clients VIP en assurance des particuliers. Plusieurs ont décidé de vendre et de quitter le marché. D’autres ont pris le virage technologique pour concurrencer les assureurs directs restants. J’ai même rencontré un courtier qui a fait passer son volume de primes de 20 à 200 M£ en quatre ans, simplement en croissance organique », dit-il.

Les grands gagnants ont toutefois été les consommateurs, souligne M. Fletcher. « Le produit est devenu une commodité. Ils avaient plus d’informations, étaient plus confiants et avaient plus de choix. Il pouvait traiter de la façon qu’ils voulaient, que ce soit en personne, par Internet ou par téléphone. »