Pour Yanick Labrie, chercheur associé à l’Institut canadien des politiques de santé (CHPI), le portrait de l’assurance santé est tronqué, puisqu’on y focalise l’accent sur les couts et les dépenses sans considérer la valeur du médicament.

Selon M. Labrie, ce déficit d’information incite les décideurs à axer leurs efforts sur la réduction des couts, sans considérer les conséquences de leurs décisions. Les régimes en viennent à couvrir des soins courants, peu couteux par individu, mais dont la récurrence est certaine, ce qui pervertit le rôle de l’assurance. Ces dépenses devraient plutôt servir à améliorer la couverture pour des risques plus substantiels, estime-t-il.

M. Labrie, qui est aussi consultant en économie de la santé, a tenu ses propos lors de la quatrième édition de la conférence québécoise de Médicaments novateurs Canada. L’évènement a eu lieu à Québec, le 30 novembre. Le Journal de l’assurance y a assisté.

M. Labrie y a ajouté que l’État a les moyens d’imposer le prix du médicament au marché, et le gouvernement ne s’en prive d’ailleurs pas. « S’il fallait que les honoraires facturés au privé baissent au même niveau que ceux du public, ça se traduirait par une baisse des services en pharmacie, et il faut à tout prix éviter cela », dit-il.

Participant aussi au débat, Sébastien Lavoie, d’Aon Hewitt, a rappelé que l’assurance doit couvrir le risque associé à un évènement fortuit et imprévisible. Les employeurs sont prêts à inclure dans les régimes collectifs la couverture pour des médicaments couteux, même pour les maladies chroniques. Mais ils veulent aussi que le médicament prescrit permette de réduire l’absentéisme, afin d’obtenir un certain « retour sur l’investissement », dit-il. Les employeurs réclament des règles claires qui leur permettront de gérer le risque lié à l’assurance santé.

Il ajoute que les employeurs approuvent la couverture des vaccins et des soins paramédicaux, dont le besoin peut varier d’un salarié à l’autre. « Je ne crois pas que ça soit ces éléments qui mettent en péril la pérennité du régime », dit-il.

La valeur de l’innovation

Lors du même évènement, Jean Lachaine, professeur titulaire de la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal, a affirmé qu’il était temps de se préoccuper de la valeur apportée par les nouveaux médicaments.

Il a rappelé qu’en 2005, au Canada, seulement 14 médicaments coutaient 10 000 $ ou plus par année. Ce nombre a grimpé à 124 en 2015, incluant 20 produits à 50 000 $ et plus et 45 autres traitements à 20 000 $ et plus.

La portion des dépenses consacrées aux médicaments les plus couteux (50 000 $ et plus par année), qui était de 1 % en 2005, a atteint 7,4 % en 2015. Ces mêmes médicaments couteux, réclamés par trois personnes par 100 000 assurés en 2005, sont désormais prescrits à 48 personnes sur un groupe similaire. La part des couts totaux en assurance médicaments pour les traitements coutant de 20 000 à 49 999 $ représentait 13,9 % des couts totaux en 2015, comparativement à seulement 4,2 % en 2005.

En oncologie, les nouveaux médicaments sont bien plus efficaces et mieux ciblés. Le cout mensuel moyen des nouveaux traitements inscrits aux États-Unis entre 2011 et 2013 atteignait 10 761 $ US.

La valeur du médicament est fonction de divers éléments, dit M. Lachaine : le besoin de santé à combler, la disponibilité d’autres alternatives de traitement, les caractéristiques du nouveau médicament et la qualité des évidences cliniques qui appuient l’appréciation du produit. On doit aussi mesurer la nature de l’effet du traitement et son ampleur, de même que la population visée.

Pour l’assureur ou l’employeur privé, la valeur du médicament se mesure par l’impact sur la santé et sur la productivité de l’employé et sur les couts assumés par l’employeur via la couverture collective. L’équation n’est pas simple à résoudre. M. Lachaine cite Hubert Doucet, du Conseil du médicament : « Quel volume de ressources est-il raisonnable de consacrer à un problème particulier, considérant l’ensemble des besoins de santé de la population ? »

La recherche en milieu de pratique réelle demeure à faire dans plusieurs cas, si l’on veut mesurer la valeur du médicament dans le privé. De nombreux projets sont en cours au Canada et ailleurs, a souligné M. Lachaine. On y vise à confirmer dans un contexte réel de pratique les bénéfices du nouveau médicament sur la population ciblée, a-t-il ajouté.