Les percées technologiques qui ont cours dans l’industrie de l’assurance feront pencher la balance du pouvoir entre consommateurs et assureurs en faveur des clients. La firme de consultation américaine Ovum, spécialisée en technologie, croit ainsi que le pouvoir d’achat des consommateurs surpassera le pouvoir de vente des assureurs.Selon Barry Rabkin, analyste principal, technologie en assurance, chez Ovum, les assureurs devront en faire plus pour se distinguer des autres secteurs des services financiers. « La balance du pouvoir en assurance s’en va chez les consommateurs. L’environnement d’affaires change pour devenir un environnement digitalisé. On voyait déjà que l’informatique prendrait plus de place, mais il est de plus en plus évident que les appareils mobiles en prendront de plus en plus aussi. Les assureurs doivent s’adapter et le faire maintenant », dit-il.

M. Rabkin rappelle que son expertise couvre principalement ce qui se fait aux États-Unis. Il souligne toutefois que le Canada est souvent perçu comme le 51e État au sud de la frontière, et que les changements qui ont cours aux États-Unis frappent inévitablement leurs voisins du Nord.

Ovum a récemment réuni 20 dirigeants d’assureurs pour discuter de leurs orientations futures. M. Rabkin leur a demandé la compétence dans laquelle ils voulaient exceller. La grande majorité a répondu la gestion des couts.

« Ça m’a déçu, dit M. Rabkin, surtout quand on pense à l’importance que prend l’expérience client de nos jours. Au moins, en deuxième lieu, ils m’ont dit qu’ils devaient s’attaquer à revoir leurs systèmes informatiques maison (legacy systems). Il faut dire que certains assureurs ont les mêmes systèmes qu’il y a 40 ou 50 ans. Ils savent donc qu’ils doivent offrir une meilleure expérience aux consommateurs, mais on voit qu’ils ne savent pas comment. »

Il donne aussi en exemple ce que lui a confié un grand assureur vie, qui avait mené un exercice interne. « Ils ont tenté de voir ce qu’ils devaient faire pour offrir la pire expérience client possible. Ils se sont malheureusement rendu compte que les pires pratiques soulevées étaient exactement celles qu’ils offraient à leurs clients. Ils ont approché leur PDG à cet effet, mais il leur a dit de ne pas toucher, sous aucune considération, au legacy system », dit-il.

Il avait aussi demandé aux 20 dirigeants d’assureurs rassemblés par Ovum comment ils comptaient ajouter de la valeur dans le marché. « Ils m’ont dit qu’ils avaient la capacité de prendre des risques. Les banques le peuvent aussi! Ils m’ont aussi dit qu’ils pouvaient facturer. Les compagnies téléphoniques le peuvent aussi! Comment l’assurance se démarque-t-elle des autres segments d’affaires? Je ne vois rien pour le moment, mais ils devront le trouver », dit M. Rabkin.

Il ajoute qu’il faut cesser de penser aux concepts de canaux de distribution, ainsi que de front office et de back office. « Peu importe le secteur d’affaires dans lequel vous œuvrez, vous devez avoir deux priorités : aller chercher des clients et les garder. Que vous vendiez des journaux ou des avions, tous les aspects de votre stratégie doivent supporter ces deux priorités. Ce n’est pas différent en assurance. Même chose pour les projets technologiques, qui n’en sont pas vraiment, car à la base, ça demeure des projets d’affaires. La technologie les impactera grandement, comme leurs canaux », dit-il.

Il ajoute qu’un problème propre au secteur de l’assurance vie est le manque de contacts fréquents entre assureurs et consommateurs. « Bien souvent, la seule interaction que les deux auront est pour un changement d’adresse. Si jamais le consommateur veut changer d’assureur, il peut le faire, mais comme il a vieilli, la police lui coutera plus cher, ce qui n’est pas un incitatif pour changer », dit-il.

En assurance de dommages, ce constat est moins vrai, dit M. Rabkin. « Il y a une prestation de services plus fréquente qui est offerte. Néanmoins, si vous avez beaucoup de réclamations, ils vont vouloir se débarrasser de vous comme client. La prestation de services se résume souvent à un flash, en assurance de dommages. Ce n’est pas comme ça que vous allez chercher des ventes croisées », dit-il.

La règlementation est un autre obstacle pour les assureurs. « Elle est très serrée. Il faut avoir un permis dans chaque juridiction dans laquelle vous œuvrez pour exercer. Approcher le consommateur en devient autant complexe. Les assureurs de dommages ont tout intérêt à accorder plus d’attention au déroulement de leurs processus de réclamations, mais aussi à leur image de marque. En réclamation, des alertes pourraient être envoyées au consommateur pour voir où en sont les travaux. Ils devront aussi porter attention aux médias sociaux. Le contenu qui s’y trouve a un impact réel. Ils ne peuvent l’ignorer », dit-il.

L’orientation « produits » qu’ont les assureurs tire aussi à sa fin, dit M. Rabkin. « Ça va changer. Je ne sais pas combien de temps ça va prendre, mais ça va se faire. Certains assureurs y sont déjà, notamment USAA », dit-il.

Quant aux canaux de distribution, ils devront s’adapter à la réalité des consommateurs et se coller davantage aux assureurs, tant les courtiers que les agents. « Ça doit être une situation gagnante pour tous. Au début, quand les assureurs ont pris ce virage, aux États-Unis, les agences de courtage étaient très inquiètes. L’intention des assureurs était de les rendre plus riches, mais ils avaient besoin de l’information sur les clients. Les assureurs les ont alors aidées à cibler avec quels clients elles pouvaient réaliser davantage de ventes. Ça a pris du temps, mais les courtiers de ces agences ont compris, avec le temps. Je connais même un courtier qui a pris la décision de ne faire affaire qu’avec les gens qui ne traiteraient qu’avec lui électroniquement », relate M. Rabkin.

Il ajoute que dans la société multitâche dans laquelle nous vivons, il est normal que les clients s’attendent à obtenir une réponse rapide. « Ce sera un test pour les assureurs. En Asie-Pacifique, on peut acheter son assurance à partir de sa télévision. En Europe, il y a des agrégateurs qui font en sorte qu’on peut acheter sa couverture d’assurance dans son supermarché ou dans une station d’essence », dit-il.

« En bout de ligne, c’est le client qui paie la facture des assureurs. Je n’ai jamais vu un courtier ou un agent envoyer de l’argent chez un assureur. Ils demeurent des parts importantes de la distribution. Dans un monde où les médias sociaux prennent plus de place, il faut y réfléchir. L’environnement d’affaires change. Les assureurs doivent cesser d’avoir un mode de pensée consacré à la vente pour en avoir un qui porte sur l’engagement, ce qui touchera à la fois la gestion de la marque, sa réputation et sa capacité de répondre. Ce sera difficile. Des canaux fusionneront, mais ce qui préoccupe le consommateur », dit-il.