Selon les résultats du rapport rendu public mardi 28 septembre, les entrepreneurs québécois ont été nombreux à tirer leur épingle du jeu pendant la pandémie de COVID-19, même si le taux d’entrepreneurs émergents au Québec a chuté de 17,3 % en 2019 à 12,1 % en 2020.

L’étude intitulée Situation de l’activité entrepreneuriale québécoise : rapport 2020 du Global Entrepreneurship Monitor a été produite par les professeurs Étienne St-Jean et Marc Duhamel, qui sont reliés à l’Institut de recherche sur les PME (INRPME) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Les deux professeurs ont dévoilé les résultats lors d’un événement virtuel auquel participaient plus de 200 personnes.

Incertitude

L’enquête 2020 du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) a été menée quelques mois après le début de la pandémie et le sérieux ralentissement économique qui en a découlé. Marc Duhamel rappelle quelques indicateurs qui montraient une surchauffe de l’économie québécoise en février 2020, qui affichait alors un taux de chômage de 4,5 %.

Du côté de l’entrepreneuriat émergent, le Québec continue de se maintenir dans le groupe de tête, souligne M. Duhamel, malgré le contexte de l’inflation des salaires et de la situation de quasi-plein emploi.

L’indice d’incertitude économique, développé par les chercheurs Scott Baker, Nick Bloom et Steven Davis en 2016, a atteint un sommet historique en mai 2020, à 430 au niveau mondial, soit un niveau deux fois pire que pendant la grande crise financière de 2008. Au Canada toujours en mai 2020, le sommet a atteint 679.

Les mesures de confinement ont rendu le démarrage plus difficile, ce que confirment 66,8 % des entrepreneurs émergents du Québec, comparativement à 62,8 % pour le reste du Canada. Par ailleurs, seulement 33,8 % des répondants du même groupe au Québec disent que la croissance de leur entreprise a été rendue difficile à cause de la pandémie, comparativement à 42,8 % hors Québec.

« Les turbulences économiques activent les neurones entrepreneuriales », indique le professeur Duhamel. Quelque 48,5 % des entrepreneurs émergents du Québec ont exploité de nouvelles opportunités, soit une proportion assez similaire à celle observée dans les autres provinces (49,6 %).

Peur de l’échec

Les intentions d’entreprendre des adultes ont chuté au Québec en 2020, comme partout ailleurs dans le monde. Ce taux est passé de 21,1 % en 2019 à 18,2 % en 2020, un déclin similaire à ce qui a été observé ailleurs dans le monde et aussi hors Québec (17,6 % en 2020), comme on peut le constater à la figure 32 du rapport.

Le resserrement du marché du travail est surveillé par l’équipe du GEM Québec depuis trois ans, car on estime que cela a un effet négatif sur l’intérêt envers l’entrepreneuriat, reconnaît M. Duhamel.

La peur de l’échec continue de freiner les intentions d’entreprendre et cette crainte a grimpé avec la pandémie, atteignant une proportion de 53,7 % en 2020. Ce taux, qui est le plus élevé observé jusqu’à maintenant, était de 42,8 % en 2019. Selon le rapport GEM 2020, quelque 29 % des adultes au Québec disent connaître personnellement un entrepreneur qui a fermé à la suite de la pandémie de COVID-19. « Il est possible que cela ait généré une plus grande peur de l’échec », souligne Marc Duhamel, qui ajoute que cette donnée sera à surveiller dans les prochaines années.

Parité hommes/femmes

Selon Étienne St-Jean, si la pandémie a eu raison de l’augmentation constante de l’entrepreneuriat féminin au Québec depuis 2013, « les femmes sont peut-être plus résilientes relativement aux contraintes contextuelles d’une pandémie ».

Le taux d’entrepreneuriat émergent chez les femmes, qui est passé de 7,3 % à 13,2 % entre 2013 et 2019, a baissé à 12,1 % en 2020, à parité avec celui des hommes. Les chercheurs rappellent que le taux d’entrepreneuriat émergent chez les hommes atteignait 21,4 % en 2019.

Chez les établis

Selon la méthodologie du GEM, l’entrepreneur est qualifié d’établi lorsqu’il verse des salaires depuis au moins 42 mois (trois ans et demi). Cette catégorie a aussi subi un léger déclin en raison de la pandémie, passant de 5,3 % en 2019 à 5,0 % en 2020.

Dans ce groupe, quelque 45,7 % des participants disent que la pandémie a affecté leur croissance, ce qui constitue l’une des plus faibles proportions parmi les territoires comparables participants.

Plus de la moitié des entrepreneurs établis (54,7 %) disent avoir profité des occasions créées par la pandémie. De plus, quelque 73,2 % d’entre eux estiment que les gouvernements ont adopté des mesures efficaces durant cette période de ralentissement économique. Selon Étienne St-Jean, les entrepreneurs du Québec « ont réussi à s’adapter aux mesures sanitaires et à l’incertitude qui entoure la pandémie de COVID-19. Pour certains, cela a même été profitable et leur a permis de conquérir de nouveaux marchés », dit-il.

La pérennité

Par ailleurs, le Québec semble mieux réussir le transfert d’entreprises comparativement au reste du pays. Le taux de sorties entrepreneuriales est passé de 7,7 % en 2019 à 5,1 % en 2020. Les entrepreneurs qui ont quitté la direction de leur entreprise ont réussi à maintenir l’activité de leur compagnie dans une plus grande proportion (30 %) que ceux qui ont dû fermer leur entreprise de manière définitive (12,5 %).

Dans le reste du Canada, la proportion est plutôt inverse. Seulement 12,1 % des sorties entrepreneuriales ont été suivies d’un transfert visant la continuité de l’entreprise, tandis que 24,3 % des sorties ont mené à la fermeture définitive. « L’accompagnement aux transferts d’entreprise est mieux structuré au Québec que dans les autres provinces canadiennes. Cela devrait favoriser la croissance et la prospérité de l’économie québécoise », estime Marc Duhamel.

Entrepreneuriat hybride

Ces dernières années, les chercheurs de l’Institut suivent l’évolution de l’entrepreneuriat hybride. Dans cette situation, l’entrepreneur démarre ou dirige une entreprise tout en maintenant un emploi de salarié dans une autre entreprise dont il n’est pas propriétaire.

Parmi le groupe d’experts invités par l’UQTR à commenter les résultats du rapport GEM 2020, Maxime Vincent dit lui-même avoir été un entrepreneur hybride. Tout en étant dirigeant de Gin Wabasso, il a préparé son projet de distillerie tout en travaillant dans une autre entreprise.

M. Vincent raconte que son entreprise a profité des premiers mois de la pandémie, une fois passée la brève incertitude où les succursales de la SAQ ont été fermées. La SAQ a d’ailleurs passé la plus grosse commande de l’histoire de l’entreprise au printemps 2020, ce qui a permis à la distillerie d’investir plus de 200 000 $ dans ses installations.

À une question portant sur les besoins de formation des entrepreneurs, Maxime Vincent parle de l’évaluation du risque. « L’entrepreneur peut avoir une bonne idée, mais il n’est pas nécessairement la bonne personne quand vient le temps de la concrétiser. Il est donc important de s’entourer des personnes compétentes dans les domaines où l’entrepreneur est moins performant. Il faut former une bonne équipe autour de soi. La COVID-19 a permis de comprendre ce besoin de mieux évaluer le risque entrepreneurial », dit-il.

Méthodologie

Le rapport du GEM 2020 a la même méthodologie dans plus de 100 pays participants. L’enquête doit inclure un échantillon représentatif d’au moins 2 000 répondants. Produit depuis 1999, il a été repris par l’INRPME au Québec depuis 2013. L’enquête menée au Canada a joint 2 439 répondants, dont 563 du Québec. Les entrevues ont été menées en août et septembre 2020, au moment où l’incertitude de la deuxième vague de la pandémie grimpait avec la rentrée automnale.

On trouve dans le rapport plusieurs indicateurs de l’activité entrepreneuriale de même que les attitudes à l’égard de l’entrepreneuriat : les intentions de démarrer une entreprise dans les trois prochaines années, les opportunités perçues qui ouvrent la voie vers la création d’une entreprise dans les six prochains mois, les compétences perçues qui sont requises pour démarrer une entreprise, et enfin la peur de l’échec qui paralyse trop souvent l’intention d’entreprendre.