L'industrie de l'assurance reconnait qu'il existe des activités où elle pourrait intervenir davantage, mais rien ne bougera tant que la fiscalité ne le favorisera pas.C'est en ces termes que deux représentants de l'industrie de l'assurance de personnes ont fait valoir les raisons qui expliquent le peu d'empressement des assureurs privés à occuper davantage de place dans les soins de santé lors du débat du 13 novembre au Congrès de l'assurance et de l'investissement 2009. Il s'agit d'Yves Millette, vice-président principal des affaires québécoises à l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes (ACCAP), et Claude Leblanc, premier vice-président de la Standard Life,
M. Millette a rappelé que le système canadien de santé est au cœur de l'identité nationale. Mais ce système ne correspond plus aux besoins de la population, affirme-t-il, car il a été établi à une époque où il y avait beaucoup plus de gens jeunes et les soins offerts étaient principalement de courte durée. La situation démographique est tout autre de nos jours. Les changements à apporter passent donc par la réallocation des ressources, estime-t-il.
Le secteur privé a de la place dans cette réorganisation, poursuit-il. L'assurance privée est déjà disponible pour des services complémentaires à ceux couverts par la Loi sur l'assurance maladie du Québec (LAMQ) et « ça doit rester comme ça », estime Yves Millette, rejoignant l'avis exprimé plus tôt par le Dr Philippe Couillard (voir autre texte en page 24).
Yves Millette a présenté les grandes lignes du mémoire soumis par l'ACCAP en juin dernier au ministre fédéral de la Santé. L'Association y suggère quatre approches pour favoriser l'évolution du système de santé.
La première consiste à établir que le système de santé est axé sur le patient. Pour ce faire, l'argent doit suivre le patient, au lieu d'être alloué aux établissements. Cette approche est assez bien reçue et pas seulement dans l'industrie de l'assurance, dit-il, et ressemble à ce qui se pratique déjà dans les cliniques médicales privées. Dans ces milieux, les patients utilisent leur carte-soleil pour avoir accès aux médecins, lesquels sont ensuite remboursés par le régime public.
La deuxième proposition vise à veiller à un meilleur contrôle du cout des médicaments pour que ceux-ci restent abordables pour les patients. Au Québec, la situation diffère des autres provinces depuis l'instauration du régime public d'assurance médicaments, où la participation de l'assuré est plafonnée à 954 $ par année. Les efforts consentis par l'industrie de l'assurance pour participer à ce système sont méconnus, estime Yves Millette, notamment en répartissant sur l'ensemble du groupe les dépassements de cout pour certains médicaments plus onéreux.
La troisième solution proposée par l'ACCAP est d'accentuer les efforts en matière de prévention. L'équation est simple, explique-t-il, pour chaque dollar investi en prévention, on économise trois dollars en soins.
Enfin, l'ACCAP recommande de mieux soutenir les soins de longue durée. À certains égards, cette activité est souvent considérée davantage comme une politique sociale que comme une politique de santé. Mais l'industrie peut jouer un rôle accru en cette matière en poursuivant la vente de certains produits comme l'assurance pour les maladies graves ou pour les soins de longue durée.
Favoriser le retour au travail
Claude Leblanc, de la Standard Life, s'est dit d'accord avec les propos de MM. Couillard et Millette. Mais il ajoute que si le système de santé canadien fonctionne, il est tout de même le deuxième plus cher au monde selon les données de l'OCDE. Les soins de santé représentent déjà 45 % de toutes les dépenses de programmes du budget québécois, et les projections actuarielles annoncent la catastrophe si rien n'est fait pour contrôler la hausse des couts.
L'industrie de l'assurance doit continuer de jouer son rôle complémentaire, convient-il. L'assurance duplicative ne peut progresser beaucoup puisque cette approche est basée sur la sélection de la clientèle, et il est peu probable que les assureurs développent de nouveaux produits en ce sens tant qu'ils n'arriveront pas à les financer.
M. Leblanc croit qu'il est possible de maintenir l'intégralité du système tout en essayant de changer des façons de faire. Le secteur privé a réussi à créer des produits de qualité comme l'assurance médicaments et l'assurance voyage. Dans le cas du régime québécois d'assurance médicaments (RQAM), il le qualifie même comme étant le seul partenariat public-privé (PPP) qui ait vraiment bien fonctionné au Québec. Des éléments du RQAM doivent être améliorés, comme le cout unitaire du produit, un secteur où les assureurs privés peinent à contrôler la hausse des coûts.
La fiscalité à revoir
Tous les changements proposés vont dans le bon sens, mais il manque toujours un partenaire à la table pour en discuter, soit l'Agence canadienne du revenu (ACR). Même si les assureurs privés disposent de l'espace nécessaire pour prendre de l'expansion et que le financement mixte du système est déjà bien établi, les citoyens du Québec sont pris dans une trappe fiscale, dit M. Leblanc.
Toute contribution des employeurs aux régimes collectifs est considérée comme un revenu imposable et est lourdement taxée, ce qui coute très cher aux contribuables québécois comparativement aux autres législatures en Amérique du Nord. L'ACCAP a déjà fait des représentations en ce sens, mais sans succès.
Le dossier patient est devenu une nécessité, et cette responsabilité relève du régime public, dit-il. Mais pour les assureurs privés qui veulent offrir des polices partout au pays, il est difficile de les harmoniser avec les 19 régimes publics distincts pour une population de 34 millions de Canadiens. « Être malade, peu importe où l'on se trouve au pays, ça veut dire la même chose et il y a surement moyen de simplifier tout ça. »
M. Leblanc observe qu'avec le vieillissement de la population, il est également nécessaire de favoriser la « machine productive ». Cela pourrait signifier d'accorder la priorité aux personnes qui contribuent à la productivité nationale dans l'accès aux soins de santé, de manière à ce qu'ils puissent retourner au travail plus rapidement. En assurance invalidité, l'industrie fait des efforts considérables pour accélérer le processus et mieux accompagner les malades, souligne-t-il.
Approche à imiter
Le système public devrait imiter cette approche sans qu'on l'accuse pour autant de discriminer les malades. « Si on ne fait pas cela, ça voudra dire qu'on transfère sur un nombre réduit de travailleurs les pressions de l'augmentation constante des couts sans pour autant que ceux-ci en profitent. » Claude Leblanc insiste pour dire que cette façon de faire est nécessaire si l'on veut que le système public continue de fonctionner.
Au début de l'atelier, l'animateur André Vincent, vice-président au Québec de la Croix Bleue Medavie, a souligné que le fardeau financier que représente le budget voué aux soins de santé menace toute l'activité gouvernementale, au Québec et ailleurs.
Historiquement, la progression des couts en santé grimpe de trois fois supérieure à celle de l'indice des prix à la consommation (IPC). Chez nos voisins américains, M. Vincent rappelle que les dépenses en santé représentent 16 % du produit intérieur brut (PIB), et que cette proportion atteindra 25 % du PIB en 2025. Au Canada, cette part du PIB vouée à la santé est légèrement supérieure à 10 %, mais elle devrait atteindre 16 % en 2025.
M. Vincent mentionne aussi que le secteur privé, par l'entremise des cotisations des employés et des employeurs à leur régime privé, paie déjà 30 % de la facture totale des soins de santé. Cette proportion était d'environ 20 % il y a 30 ans. « On peut penser que les facteurs que je viens d'énumérer vont faire augmenter cette part du privé dans le financement des soins de santé. »
Durant les échanges qui ont suivi, André Vincent a demandé au Dr Philippe Couillard d'apporter une précision concernant le Règlement d'application de la Loi sur l'assurance maladie du Québec, qui définit les services qui ne sont pas couverts par le régime public. L'ex-ministre estime que l'article 22 de ce règlement permet aux employeurs de développer des approches nouvelles, notamment en matière de prévention.
Yves Millette croit également que des produits d'assurance peuvent être développés en respectant cette disposition de la LAMQ, mais il estime que le secteur le plus évident est celui de la réinsertion des travailleurs en arrêt de maladie. Claude Leblanc ajoute de son côté que des médecins sont déjà présents en milieu de travail pour tous les aspects liés à la prévention et que le système d'assurance est déjà adéquat.
M. Leblanc croit aussi qu'il est possible de créer des produits en assurance invalidité, mais pas dans le secteur des soins de longue durée. Il y a de moins en moins de personnel affecté à la production sur le marché du travail. Dans une entreprise composée essentiellement de cols blancs, bien des employeurs ne voient plus la nécessité d'avoir recours à un médecin. C'est surtout le volet invalidité psychologique qui préoccupe davantage les assureurs.
Un courtier a fait observer qu'il est de plus en plus difficile de convaincre les assurés de dépenser 25 cents pour couvrir les soins paramédicaux alors que l'assurance médicaments prend trop de place dans leur régime collectif. Philippe Couillard affirme que le principal avantage du régime public d'assurance médicaments, pour la population, est la mutualisation des risques, alors que les risques ne sont pas aussi bien répartis dans les régimes privés. Par contre, cela augmente les dépenses de l'État de manière singulière et la taxation des régimes privés d'assurance n'aide guère à simplifier le système, reconnait-il.
« Le problème, ajoute M. Couillard, est que comme on fait semblant que le système privé n'existe pas, on l'ignore et on le laisse se développer de manière parallèle et on empêche la population d'y avoir accès. » Il a récemment participé à un débat similaire à Montréal, auquel participait aussi un Français. Ce dernier disait ne pas comprendre la pertinence du débat en cours au Canada. « En France, le citoyen a accès à l'ensemble des prestataires, publics, privés sans but lucratif, privés à but lucratif, et tout cela est couvert par la Sécurité sociale. » Pour que des changements significatifs surviennent, il faut sortir de cette ornière, dit-il.
Yves Millette a conclu les échanges en répétant qu'il est peu probable que le système canadien se rapproche de ce qui se fait chez nos voisins américains, mais qu'il y a certainement des choses à imiter du côté européen. Pour cela, des changements de mentalité seront requis, insiste-t-il. Claude Leblanc ajoute qu'un certain corporatisme, professionnel ou syndical, teint ce débat, entre le public et le privé. Cela fausse le débat et les médias créent de la désinformation dans leur couverture du débat. Il souhaite un peu plus de maturité de la part de tous les intervenants.