Le consommateur d’assurance ne recherchera qu’une chose au cours des prochaines années : la facilité. Pour se démarquer, les assureurs ne pourront plus uniquement compter sur la qualité du service, car les consommateurs iront vers les noms qu’ils connaissent. Les assureurs devront ainsi standardiser les normes des fournisseurs avec qui ils traitent pour garantir la qualité de leur prestation de services.Internet aura aussi un grand rôle à jouer. Les assureurs directs seront les mieux placés pour l’utiliser. Quant aux courtiers, ils auront toujours leur place dans l’industrie. Toutefois, l’adaptation sera plus difficile pour eux, compte tenu de leurs ressources financières limitées et de la transformation que vit ce réseau.

Ces affirmations viennent d’Alain Thibault, qui vient de quitter son poste de vice-président principal et président du conseil d’administration du Groupe financier Banque TD. Visage bien connu de l’industrie, il dispose d’une expérience rare en assurance : il a oeuvré dans le courtage, chez un assureur direct ainsi qu’une banque.

Il a débuté sa carrière en assurance en 1975. C’est en 1987 qu’il joint le cabinet de courtage Meloche Monnex. Il contribue toutefois à transformer cette entreprise en assureur direct quelques années plus tard. Au début des années 2000, Meloche Monnex devient une filiale de la Banque TD. L’entreprise est maintenant connue sous le nom de TD Assurance.

M. Thibault amorce maintenant un nouveau chapitre de sa carrière. Il a pris sa retraite de chez TD. Son dernier mandat était d’intégrer les activités d’assurance de dommages et de personnes sous une même marque. Il agit maintenant à titre de consultant pour diverses entreprises, dont TD. Il a accepté de livrer au Journal de l’assurance ses impressions sur les tendances qui marqueront l’industrie.

Le consommateur aura le contrôle

La facilité de transiger donne un nouveau pouvoir aux consommateurs : ce sont eux qui contrôlent leur achat. « Ils peuvent maintenant acheter en personne, par téléphone ou par Internet. Les assureurs devront être capables de travailler de ces différentes façons. Avec Internet, le client peut magasiner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Ils sont en contrôle de la recherche d’information », dit-il.

Le rapport qualité prix demeurera important selon M. Thibault. « C’est quelque chose qui va toujours demeurer, car les gens n’aiment pas payer cher pour leurs assurances », dit-il.

Ces derniers devront toutefois accorder une importance particulière à leur marque de commerce. « Les gens iront vers les noms qu’ils connaissent. Ce ne sera plus nécessairement le courtier qui fera le choix pour eux. On en voit certains s’afficher de plus en plus pour accroitre leur notoriété. Les autres devront faire plus d’efforts », dit-il.

Quant à la qualité du service, elle n’est plus aussi primordiale qu’avant selon M. Thibault. Elle est devenue un minimum auquel les consommateurs s’attendent. « Le consommateur voudra suivre ses dossiers sur le Web. Voilà pourquoi les assureurs devront porter une attention particulière à leurs liens avec leurs fournisseurs. Ils voudront que les consommateurs voient le tout comme une chaine. Ce sera critique pour l’assureur, car le service du fournisseur devient une extension du sien », dit-il.

Ainsi, si le fournisseur ne fait pas bien son travail, c’est l’assureur qui écopera, dit M. Thibault. « Plus que jamais, il devra gérer des normes, des performances et des suivis », dit-il.

En assurance aux entreprises, M. Thibault affirme que le niveau de conseil et de professionnalisme offert fera la différence aux yeux du client. « Ce n’est plus assez d’inviter le client au restaurant ou aller voir un match des Canadiens pour être à la hauteur », dit-il.

La performance liée aux détails

Les assureurs performants seront ceux qui porteront une attention particulière aux détails, dit M. Thibault. « Notre industrie n’a pas toujours été la meilleure à ce chapitre. C’est pourquoi les assureurs devront mettre en place des processus efficaces. Chez TD, on a mis beaucoup d’emphase là-dessus. On était une exception. Des assureurs ne portaient pas attention aux délais pour compléter une transaction, compte tenu que ça coutait trop cher, disaient-ils. L’accent était plutôt mis sur le tarif et la souscription. Toutefois, pour donner un bon service à la clientèle, ça prend de bons processus. Ça demande une discipline! », dit-il.

Les assureurs doivent aussi bien comprendre leurs risques. « Ils ont maintenant des outils d’analyse très performants. Ça prend toutefois une expertise pour les analyser. Voir comment on peut offrir son produit pour que les gens l’achètent ne se fait pas tout seul. Le marketing devient tellement sophistiqué qu’il en devient une science », dit M. Thibault.

Les compagnies d’assurance devront aussi démontrer qu’elles sont flexibles. Particulièrement face aux différents réseaux de distribution. « Si un assureur met tous ses oeufs dans le même panier, la question se pose : est-il vulnérable? Il ne faut pas fermer les yeux à ce qui se passe autour de nous », dit-il.

La qualité de la main d’oeuvre revêtira aussi une importance primordiale, dit M. Thibault. La bataille à cet effet est déjà lancée, souligne-t-il.

« Les assureurs devront offrir des emplois intéressants et de la formation continue. Les entreprises qui réussiront à attirer les meilleures ressources auront une avance sur les autres », dit-il.

Les directs encore là

M. Thibault dit aussi croire que la montée des directs se poursuivra à l’échelle canadienne. « Depuis 15 ans, ils vont chercher un à deux points de parts de marché par année, ce qui représente 200 000 clients qui vont du courtage vers les directs. Pourquoi? Plusieurs raisons l’expliquent. Tout d’abord, les assureurs directs mettent beaucoup d’efforts pour promouvoir leur nom. De plus, leur réseau coute moins cher. Ça leur donne un avantage au niveau de la tarification, ce qui attire les gens », dit-il.

Autre avantage pour les directs : le virage Internet leur sera plus facile à assimiler. « On le voit chez TD depuis cinq ans : Internet prend plus de place dans les nouvelles affaires. Le client fait toute sa transaction sur le Web, y compris sa recherche d’information. Ça ne va pas aller en diminuant », dit-il.

Il ajoute que le virage Internet sera plus complexe à prendre pour le courtage. « Qui peut avoir cette présence sur le Web? L’assureur ou le courtier? Je ne crois pas que le courtier puisse se le permettre. TD a une équipe à temps plein consacrée au Web. Il y a même des gens qui surveillent Twitter », dit-il.

Quant aux agents captifs, M. Thibault croit que leur croissance sera plus difficile que les assureurs directs purs et durs. « C’est un réseau qui coute cher parce qu’il est lourd en gestion. Ce n’est pas facile pour eux de croître. Pour grandir, ils doivent faire grandir leur réseau. C’est dispendieux! Ça coute cher d’aller chercher une nouvelle affaire. La première année, tu perds de l’argent. C’est pourquoi le renouvellement est maintenant critique. C’est encore plus marqué pour les captifs », dit-il.

Toujours de la place pour les courtiers

Lorsqu’on lui demande quel sera l’avenir des courtiers, M. Thibault répond d’emblée qu’il est biaisé dans sa réponse, étant donné qu’il a contribué à transformer Meloche Monnex en assureur direct. Il affirme toutefois que les raisons qui ont poussé l’entreprise à agir ainsi tiennent encore aujourd’hui.

« On se voyait plus comme un détaillant. En changeant, on voulait avoir plus de contrôle sur le produit et l’offre. On trouvait aussi qu’il y avait beaucoup de duplication d’efforts entre le détaillant et le manufacturier. En devenant nous-mêmes manufacturier, on a éliminé beaucoup d’ouvrage et réduit nos couts. Notre structure est devenue plus concurrentielle. On pouvait aussi s’ajuster plus rapidement, selon ce qui s’y passe », dit-il.

Il ajoute qu’une perte d’un à deux points de part de marché par année peut sembler peu. Toutefois, au bout de dix ans, ça fait une différence.

« Les courtiers ont encore un quasi-monopole en assurance aux entreprises. Ce sera encore le cas pour longtemps. Toutefois, en assurance des particuliers, ce sera difficile pour eux d’éviter la décroissance », dit-il.

M. Thibault ajoute qu’il n’existe pas de formule magique pour croitre. Il faut investir dans ses moyens, car sinon, c’est la stagnation ou le déclin.

« Un courtier qui reçoit 12 % de commissions n’a pas beaucoup d’argent pour faire croitre son entreprise. Même s’il avait toutes les ressources pour le faire, financièrement, ce sera difficile pour lui. En outre, le réseau de courtage ne rajeunit pas. Les enjeux de succession font en sorte que le réseau est en transformation », dit-il.

Les courtiers ne disparaitront pas, précise-t-il. « Il y aura toujours une place pour eux. Ils vont s’adapter d’une certaine façon et développer des outils plus performants en s’arrimant avec les assureurs. Toutefois, de tels changements ne peuvent se faire aussi vite que cela. L’érosion se produit et les directs grugent des parts. Ces derniers progressent aussi au Canada anglais. Néanmoins, il y aura toujours des gens qui vont préférer faire affaire avec un courtier », dit-il.