Selon une analyse de DBRS Morningstar, les assureurs seront de plus en plus nombreux à déserter les régions côtières les plus vulnérables au fur et à mesure que la température des océans augmente, ce qui provoque des ouragans de plus en plus violents.
La note de l’agence d’évaluation financière, publiée le 21 octobre dernier, est intitulée No calm before the storm: U.S. coastal communities at risk of becoming uninsurable as storm activity scares insurers. Ses auteurs sont Victor Adesanya, Steven Jellinek et Marcos Alvarez.
Ils rappellent que les dommages causés par les tempêtes majeures sont en hausse constante depuis le début de la décennie 1990. La température en hausse des océans et l’élévation du niveau de la mer menacent particulièrement les régions côtières.
Les assureurs ont réagi en haussant les primes et les montants de franchise, et parfois ont déserté le marché, laissant les propriétaires résidentiels et les commerces avec peu d’options pour assurer leurs biens.
En conséquence, l’agence s’attend à ce que les programmes gouvernementaux, comme le National Flood Insurance Program (NFIP) et le Florida’s Citizens Property Insurance Corporation, soient de plus en plus mis à contribution en cas de sinistre.
À plus long terme, les auteurs estiment que la valeur des propriétés immobilières dans les États côtiers soit en baisse si l’assurance n’est plus abordable ou accessible. Pour l’instant, l’exposition au risque des assureurs américains demeure correctement gérée et leur note de crédit n’est pas encore affectée.
L’eau chaude
Le consensus scientifique grandit concernant l’impact du réchauffement climatique sur la température des océans et la sévérité des ouragans qui menacent les côtes de l’Amérique du Nord. Les données fournies par Swiss Re depuis 40 ans confirment la prédominance des sinistres associés aux tempêtes tropicales, aux ouragans, aux inondations et aux orages convectifs majeurs dans les résultats des assureurs.
Parallèlement, les assureurs sont de plus en plus exposés aux risques dans les régions côtières où les valeurs assurables ont grimpé en raison d’une croissance plus élevée de la population. C’est particulièrement le cas de la Floride, où la croissance de la population est la plus spectaculaire parmi tous les États côtiers durant la période 1970-2020.
Selon l’Agence météorologique et atmosphérique des États-Unis (NOAA), quelque 40 % de la population des États-Unis vit dans des régions côtières. En excluant l’Alaska, ces régions côtières où travaillent quelque 58,3 millions de personnes produisent des biens et services estimés à 9 500 milliards de dollars (G$), dont 3 800 G$ en salaires.
Depuis la crise financière de 2008, le marché immobilier s’est rétabli dans les États côtiers, souligne DBRS Morningstar. La demande excédant l’offre, les prix de l’immobilier ont grimpé. Les propriétaires immobiliers ne veulent pas vendre, car ils ont signé leur hypothèque à long terme à un taux d’intérêt très bas, ce qui limite le volume de maisons sur le marché de la revente.
En combinant cette hausse des valeurs foncières à l’augmentation de l’inflation et des coûts de reconstruction, les valeurs assurables sont en hausse. Cela force les assureurs à se doter des capacités financières en conséquence. Les assureurs peuvent ajuster les primes au moment des renouvellements, mais l’abordabilité de l’assurance devient un problème pour les propriétaires.
La fuite
Certains assureurs ont commencé à déserter les États les plus fréquemment frappés par les sinistres climatiques, comme la Californie, la Louisiane et la Floride. En juillet 2023, le quotidien The Washington Post rapportait que la compagnie Farmers Insurance s’ajoutait à cette liste en informant la Floride qu’elle n’allait plus y couvrir de risques en assurance de dommages.
Les assureurs toujours présents sont forcés de hausser les primes en raison de la demande plus élevée, car ils doivent recourir aux réassureurs pour couvrir les limites qui dépassent leurs capacités. D’autres assureurs réduisent les limites de couverture.
Selon The Insurance Information Institute, les primes d’assurance habitation pourraient connaître une hausse moyenne de 40 % pour la seule année 2023. Cela forcera un nombre grandissant de propriétaires à recourir au NFIP et aux autres assureurs publics.
Déjà en février 2020, quelque 42 % des polices émises par le NFIP couvraient des immeubles en Floride, selon les données présentées par DBRS Morningstar. Comme les polices d’assurance habitation ne couvrent pas le risque d’inondations, cette proportion du portefeuille du NFIP établi en Floride pourrait encore grimper.
Le marché immobilier
Selon les auteurs de la note, la vigueur du marché immobilier dans les États côtiers est menacée par une « bulle climatique » si rien n’est fait pour combler l’écart de couverture associé au départ des assureurs privés.
Les lois et règlements qui restreignent les hausses de tarifs que les assureurs peuvent imposer les incitent aussi à déserter certains marchés. En Californie, une hausse de 7 % ou plus provoque la tenue d’une audience publique où l’assureur doit faire approuver la nouvelle tarification par l’organisme réglementaire. « Cela complique la capacité des assureurs à tarifer leurs produits en fonction de leur exposition au risque, et encore plus dans le contexte où les dommages augmentent avec les sinistres liés au climat », écrivent les auteurs.
La note est accompagnée d’un graphique sur l’évolution des prix de l’immobilier entre 2000 et 2023 dans quatre États : Floride, Caroline du Sud, Texas et Californie. Depuis l’éclatement de la bulle immobilière en 2007-2008 et la stagnation qui a duré quelques années, la hausse des prix a été constante depuis 2013, mais elle s’est arrêtée en 2023. La seule exception est la Caroline du Sud, où la hausse du prix moyen se poursuit en 2023, mais à un rythme plus lent. Dans cet État, le marché immobilier n’a redécollé qu’à partir de 2015.
Les experts de l’agence insistent : la sortie du marché des assureurs privés dans les États vulnérables au risque de catastrophes climatiques continuera de creuser l’écart de couverture et forcera les assureurs publics à intervenir davantage si l’on veut éviter l’effondrement du marché immobilier.
Ils estiment très élevée la probabilité qu’un sinistre majeur survienne chaque année à la suite du passage d’un ouragan dans les États bordés par l’océan Atlantique.
L’ouragan Otis surprend Acapulco
La note de DBRS Morningstar a été publiée trois jours avant que l’ouragan Otis frappe la province du Guerrero, sur la côte occidentale du Mexique, le 24 octobre dernier. En moins de 24 heures, la tempête tropicale s’est transformée en ouragan de catégorie 5, ce qui a laissé très peu de temps aux autorités locales pour ordonner l’évacuation de la région d’Acapulco.
Otis est le premier ouragan de catégorie 5 à toucher terre après s’être formé dans la région nord-est de l’océan Pacifique, selon le modélisateur principal James Cosgrove, de Risk Management System (RMS). La pression barométrique a chuté de 50 millibars (mb) en 12 heures dans le centre de l’ouragan et atteignait 923 mb.
M. Cosgrove ajoute que l’accélération de l’intensité des vents dans un si court délai n’est même pas prévue dans les modèles prévisionnistes. La hausse de la vitesse des vents a dépassé par trois fois la norme requise pour être qualifiée d’aggravation rapide.
Dans son bulletin hebdomadaire sur les catastrophes naturelles du 26 octobre 2023, Aon confirme que Otis est l’ouragan le plus puissant de l’histoire à avoir frappé le Mexique. Le gouvernement de l’État rapportait 27 décès dans ses premières estimations. Le week-end suivant, le bilan a grimpé à 48 morts et 36 personnes disparues, dont 43 décès à Acapulco.
Aon confirme que cette région du Mexique n’a jamais été frappée par un ouragan de catégorie plus élevée que le niveau 2. Même s’il est trop tôt pour estimer les dommages, ceux-ci devraient se compter dans les milliards de dollars et pourraient lourdement affecter les assureurs nationaux.
L’ouragan Norma, de catégorie 4, avait frappé l’État du Sinaloa, au nord-ouest du Mexique, le 19 octobre. Les dommages sont qualifiés de mineurs, mais les médias locaux rapportaient néanmoins trois décès causés par la tempête.